Toute connaissance rationnelle, soit enseignée soit acquise, dérive toujours de notions antérieures. L'observation démontre que ceci est vrai de toutes les sciences; car c'est le procédé des sciences mathématiques, et de tous les autres arts sans exception. C'est encore le procédé de tous les raisonnements de la dialectique, aussi bien de ceux qui sont formés par syllogisme que de ceux qui sont formés par induction. Les uns et les autres, en effet, tirent toujours l'instruction qu'ils donnent de notions antérieures; les premiers, en supposant ces notions comprises et accordées; les autres, en démontrant l'universel par l'évidence même du particulier. C'est également par cette méthode que les raisonnements de rhétorique produisent la persuasion; car ils y arrivent, soit par des exemples, ce qui n'est que l'induction; soit par des enthymèmes, ce qui n'est que le syllogisme. Les notions antérieures ne peuvent être nécessairement que de deux espèces : ou bien, c'est l'existence même de la chose qu'il faut préalablement connaître: ou bien, c'est le nom seul de la chose qu'il faut comprendre; parfois aussi, il faut savoir tout ensemble et l'existence de la chose et le nom qu'elle porte. Ainsi pour cette proposition : De toute chose quelle qu'elle soit, il doit être vrai soit de l'affirmer, soit de la nier, ce qu'on sait nécessairement tout d'abord, c'est que cette proposition est vraie. Pour le triangle, il faut savoir, au contraire, que le mot de triangle signifie telle chose spéciale. Enfin pour l'unité, il faut savoir à la fois, et la chose qu'exprime ce mot, et l'existence de cette chose. On voit que dans chacun de ces cas, le mode de la connaissance n'est pas du tout le même pour nous.Du reste on peut connaître les choses, tantôt en en connaissant d'autres antérieurement à celles-là, tantôt en les apprenant simultanément avec d'autres, comme par exemple on sait tous les cas particuliers compris sous l'universel dont on possède la notion. Ainsi, l'on sait préalablement que la somme des angles de tout triangle est égale à deux droits, et l'on sait, que cette figure comprise dans une demi-circonférence est un triangle, à l'instant même qu'on la voit. C'est qu'en effet il est des choses dont on acquiert la connaissance de cette façon. L'extrême est alors connu sans le secours d'un terme moyen; et ce sont précisément les choses individuelles, qui ne peuvent jamais être attribuées à un sujet. Mais avant même que ce triangle n'ait été produit ou que le syllogisme en forme n'ait eu lieu, la propriété de cette figure, on peut dire, est connue en un sens, et en un autre sens, elle n'est pas connue. En effet, d'une chose dont on ne sait pas absolument qu'elle existe, comment pourrait-on savoir absolument qu'elle a ses angles égaux à deux angles droits? Pourtant il est certain qu'on le sait en ce sens qu'on la connaît d'une manière générale, mais il est certain aussi qu'on ne la connaît pas d'une manière absolue. Autrement, la théorie du Ménon serait juste; et alors, ou l'on n'apprendrait rien, ou l'on ne ferait qu'apprendre ce que l'on sait déjà. On ne peut d'ailleurs du tout admettre la solution proposée par quelques-uns: « Savez vous, disaient-ils, que tout nombre binaire est pair ou ne le savez vous pas? Si l'on répondait : oui, je le sais, ils vous montraient une dualité que 72 vous ne connaissiez pas, et dont, par conséquent, vous ne saviez pas non plus qu'elle fût paire. C'est qu'en effet ils affirment qu'on ne sait pas que toute dualité est paire, mais qu'on ne le sait que de la dualité qu'on connaît comme telle. Toutefois l'on sait ce dont on possède la démonstration, ou ce qu'on accepte pour démontré. Or, l'on n'a pas admis la démonstration seulement pour tout ce dont on sait que c'est un triangle ou que c'est un nombre. L'on a entendu parler absolument de tout nombre et de tout triangle; car jamais la proposition n'a eu cette forme: Le nombre que vous connaissez, la figure rectiligne, que vous connaissez, etc. ; » la proposition s'est toujours appliquée à tout triangle, à toute figure rectiligne.A mon avis, rien ne s'oppose à ce qu'on sache d'une façon et qu'on ignore d'une autre, ce qu'on apprend. L'absurde est de dire, non pas qu'on sait de quelque façon ce qu'on apprend, mais qu'on le sait de la façon même et dans les termes où on l'apprend.
Nous pensons savoir les choses d'une manière absolue et non point d'une manière sophistique, purement accidentelle, quand nous pensons savoir que la cause par laquelle la chose existe, est bien la cause de cette chose, et que par suite nous pensons que la chose ne saurait être autrement que nous la savons. Ce qui prouve bien que savoir est à peu près cela, c'est qu'entre ceux qui ne savent pas et ceux qui savent, il n'y a que cette différence, que les premiers pensent être et que ceux qui savent sont réellement dans ce cas, que la chose dont ils ont la connaissance absolue ne peut point du tout être autrement qu'ils la savent. . Qu'il y ait encore une autre manière de savoir, c'est ce que nous dirons plus tard; mais ici, nous disons qu'on peut savoir aussi par démonstration. Or j'appelle démonstration le syllogisme qui produit la science; et j'entends par syllogisme qui produit la science, celui qui par cela seul que nous le possédons, nous fait savoir quelque chose. Si donc savoir est bien ce que nous avons dit, il s'ensuit nécessairement que la science démonstrative procède de principes vrais, de principes primitifs, de principes immédiats, plus notoires que la conclusion dont ils sont cause et qu'ils précèdent. C'est à ces conditions, en effet, qu'ils seront aussi les principes propres du démontré. Car il pourra bien y avoir syllogisme sans ces conditions, mais il n'y aura pas démonstration sans elles; parce qu'alors le syllogisme ne produira pas la science.Il faut donc que les principes soient vrais, parce qu'on ne peut point savoir ce qui n'est pas; par exemple que le diamètre est commensurable. Il faut ensuite que les primitifs dont on part soient indémontrables; car on ne les saurait pas puisqu'on n'en posséderait pas la démonstration, et que savoir autrement que d'une façon accidentelle les choses dont la démonstration est possible, c'est en posséder la démonstration. II faut de plus que les principes soient causes de la conclusion, qu'ils soient plus notoires qu'elle et antérieurs à elle : causes, parce que nous ne savons une chose qu'après en avoir connu la cause : antérieurs, puisqu'ils sont causes : et préalablement connus, non pas seulement en tant qu'on connaît le mot qui les exprime, mais en outre parce qu'on sait qu'ils sont. Antérieurs et plus notoires peut s'entendre en deux sens; car il ne faut pas confondre l'antérieur par nature et l'antérieur pour nous, 72a pas plus que le plus notoire par nature, et le plus notoire pour nous. Je nomme antérieur et plus notoire pour nous, ce qui est le plus rapproché de la sensation; mais d'une manière absolue, le primitif le plus notoire est ce qui s'en éloigne le plus; car le plus éloigné de la sensation est précisément le plus général, le plus rapproché est le particulier; et toutes ces choses sont opposées entre elles.Partir des principes propres à la chose, c'est partir des primitifs de cette chose; car je confonds primitif et principe. Le principe de la démonstration, c'est la proposition immédiate; et la proposition immédiate est celle qui n'a point d'autre proposition avant elle. La proposition est d'ailleurs l'une des deux faces de l'énonciation, exprimant une seule chose d'une seule autre chose: dialectique, quand elle prend indifféremment l'une ou l'autre; démonstrative, quand elle n'en prend spécialement qu'une seule pour vraie. L'énonciation est l'une ou l'autre des deux parties de la contradiction; la contradiction est l'opposition qui par elle-même n'a pas de moyen terme possible. L'une des parties de la contradiction est l'affirmation qui attribue une chose à une autre; et l'autre partie, c'est la négation qui nie une chose d'une autre chose.J'appelle thèse d'un principe syllogistique immédiat, la proposition qui ne peut pas être démontrée, et qu'il n'est pas indispensable de connaître pour apprendre quelque chose; celle au contraire que l'on doit nécessairement connaître pour apprendre la chose quelle qu'elle soit, je la nomme axiome; car il y a certaines propositions de ce genre; et c'est à celles-là que nous réservons habituellement ce nom. La thèse qui prend l'une quelconque des deux parties de l'énonciation, c'est-à-dire, qui affirme ou qui nie l'existence de l'objet, reçoit le nom d'hypothèse. La thèse qui est dénuée de ces conditions, est une définition. La définition, en effet, est une sorte de thèse, et c'est ainsi que l'arithméticien pose par exemple cette thèse : Que l'unité est ce qui, sous le rapport de la quantité, est indivisible. Mais elle n'est pas du tout une hypothèse; car dire ce qu'est l'unité et dire que l'unité est, ce n'est pas la même chose. Puis donc que pour croire et savoir une chose, il faut posséder ce syllogisme que nous appelons démonstration, lequel syllogisme n'existe que parce que les choses dont il est le syllogisme existent aussi, il y a nécessité, non seulement de connaître antérieurement les primitifs, soit en totalité soit en partie, mais encore on les connaît nécessairement plus que tout le reste. Car ce par quoi une chose existe existe aussi plus qu'elle; et par exemple ce par quoi nous aimons est encore plus aimé que l'objet que nous aimons : et de même si nous savons et croyons les choses au moyen des primitifs, nous savons et croyons ces primitifs bien plus encore que les choses : car ce n'est que par eux que nous savons et croyons tout le reste. Or, il n'est pas possible de croire moins les choses qu'on sait que les choses qu'on ne sait pas, et à l'égard desquelles on n'est pas dans une position meilleure qu'on ne serait si on les savait ; et pourtant c'est ce qui aura lieu si, se fiant à la démonstration, on n'avait point de notions antérieures à elle; car on ajoute nécessairement plus de foi aux principes, soit tous, soit quelques-uns, qu'on n'en ajoute à la conclusion qu'ils donnent. En outre, celui qui doit acquérir la science tirée de la démonstration, doit, non seulement plus connaître les principes, et les croire plus que le démontré, 73 mais encore, il n'y a rien de plus croyable ni de plus notoire pour lui, que les opposés de ces principes, d'où l'on tirerait le syllogisme de l'erreur contraire à la démonstration, attendu que celui qui sait réellement ne peut failli
De ce qu'il faut savoir les primitifs, quelques-uns en concluent qu'il n'y a pas de science possible; et d'autres, tout en admettant la possibilité de la science, croient cependant que tout peut se démontrer; deux opinions qui ne sont ni vraies ni nécessaires. § 2. Quand on admet que la science est impossible, c'est qu'on croit qu'il y a progrès à l'infini; et l'on dit alors avec raison qu'on ne peut pas savoir des choses postérieures par des antérieures qui n'en sont pas les primitifs; et en effet il est bien impossible de parcourir l'infini. Mais, ajoute-t-on, si l'on s'arrête et qu'il y ait des principes, ces principes mêmes sont inconnus, puisqu'il n'y a pas de démonstration pour eux, et que la démonstration est, à ce qu'on suppose, le seul moyen de connaître. Que, s'il est interdit de connaître les primitifs, ajoute-t-on encore, il n'est pas davantage possible de connaître absolument et proprement ce qui en dérive, et l'on ne peut le connaître qu'en posant hypothétiquement l'existence des primitifs. § 3. D'autre part, on admet bien la possibilité du savoir; car on dit que c'est par la démonstration seule qu'on sait, mais on prétend aussi qu'il n'y a aucun obstacle à ce que tout se démontre, attendu que la démonstration peut être circulaire; et que les choses se prouvent les unes par les autres. § 4. Pour nous, nous soutenons, d'abord, que toute science n'est pas de démonstration, et que les propositions immédiates sont connues sans démonstration. Et que cela soit de toute nécessité, c'est ce qu'on voit sans peine; car s'il est nécessaire de savoir les choses antérieures et celles dont se forme la démonstration, et que de plus on puisse trouver un point d'arrêt dans les propositions immédiates, il s'ensuit, bien certainement, que celles-là sont indémontrables. Nous soutenons donc qu'il en est ainsi, et que non seulement la science existe, mais qu'il y a pour la science un principe, en tant que nous connaissons les termes même dont la science se sert. § 5. Quant à la démonstration circulaire, l'impossibilité absolue en est frappante, s'il est vrai que la démonstration doit toujours partir de choses antérieures et plus notoires. En effet, il est impossible que les mêmes choses soient à l'égard des mêmes choses antérieures et postérieures tout à la fois, si ce n'est sous un point de vue différent : par exemple, en les prenant tantôt par rapport à nous, tantôt dans leur existence absolue; et l'induction nous donne la science sous le premier rapport. Mais, s'il en est ainsi, la science n'est pas unique et nous l'avons mal définie; il faut alors reconnaître qu'elle est double; ou bien il faudrait repousser absolument cette autre démonstration qui se tire de choses plus notoires par rapport à nous. § 6. Non seulement les partisans de la démonstration circulaire commettent la faute que nous indiquons ici, mais au fond ils se bornent à dire qu'une chose est si elle est. De cette façon-là, rien n'est plus facile que de démontrer tout. Pour prouver la vérité de ceci, il suffit de poser trois termes; car peu importe que la démonstration revienne sur elle-même par un plus grand nombre ou un moins grand nombre de termes; par plus de deux termes ou par deux termes seulement. En admettant donc que A existant, il y a nécessité que B existe, et que B existant, il y a nécessité que C existe aussi; A existant, C existera. Mais si A étant, il y a nécessité que B soit, et que celui-ci étant A soit réciproquement 73a, car c'est là précisément la démonstration circulaire, on peut supposer A à la place de C. Ainsi dire que B étant A est aussi, c'est dire que C est également; et cela revient encore à dire que A existant, C existe; car C se confond avec A. On voit donc que, quand on soutient que la démonstration est circulaire, on arrive simplement à dire que A existant, A existe. A ce compte, on peut aisément tout démontrer. § 7. Mais la démonstration circulaire n'est même possible que pour les termes qui se suivent réciproquement comme les attributs propres. En effet, il a été démontré que, quand on ne suppose qu'une seule chose, on n'en peut jamais conclure nécessairement qu'une autre soit; et j'entends qu'une seule chose ne suffit pas, soit terme unique, soit proposition isolée. Il faut primitivement, tout au moins, deux propositions pour pouvoir conclure, si toutefois l'on veut faire un syllogisme. Si donc A est conséquent de B et de C, et que ces deux derniers termes soient conséquents l'un de l'autre ainsi que de A, on pourra démontrer, les uns par les autres, tous les termes admis, dans la première figure, comme on l'a fait voir dans le Traité du syllogisme. Il a été démontré, en outre, que dans les autres figures, il n'y a pas de syllogisme circulaire, ou que, du moins, il n'y en a pas pour les propositions données. Quant aux termes qui ne sont pas susceptibles d'être attribués réciproquement les uns aux autres, on ne peut pas du tout les démontrer circulairement. Or, comme il y a dans les démonstrations fort peu de termes de ce genre, c'est évidemment soutenir quelque chose de vide de sens et d'impossible, que de dire que la démonstration est réciproque, et qu'il peut y avoir démonstration de ce genre dans tous les cas.
§ 1. Puisqu'une chose qu'on sait absolument ne peut point être autrement qu'on ne la sait, il en résulte que ce qui est su de science démontrée est nécessaire, la science démontrée étant celle que nous possédons, par cela même que nous en avons la démonstration. Donc la démonstration est le syllogisme tiré de propositions nécessaires. § 2. Voyons donc de quelle espèce de propositions se composent les démonstrations et à quoi elles s'appliquent; et d'abord définissons ce que nous entendons par ces expressions: attribué à tout, essentiel et universel. § 3. Je dis d'une chose qu'elle est attribuée à toute une autre chose, quand elle ne petit pas être attribuée à telle partie, et n'être pas attribuée à telle autre partie de cette chose; quand elle ne peut pas lui être attribuée dans tel moment, et ne le lui être point dans tel autre moment. Ainsi, par exemple, animal étant attribué à tout homme, s'il est vrai de dire que tel être est un homme, il est vrai aussi de dire qu'il est animal; et si l'un des deux est actuellement, l'autre est à titre égal. Ou bien encore, si l'on dit que le point est dans toute ligne, le raisonnement est tout pareil. La preuve de ceci, c'est que pour les objections, nous regardant comme interrogés sur la totalité de la chose, nous les faisons toujours, en soutenant ou qu'elle n'est pas à telle partie, ou qu'elle n'est pas en tel temps. § 4. Essentiel se dit des choses qui sont dans la chose en tant qu'elle est ce qu'elle est, comme la ligne dans le triangle, et le point dans la ligne. En effet, l'essence du triangle et de la ligne se compose de ces éléments; et ces éléments entrent dans la proposition qui exprime ce que sont le triangle et la ligne. On appelle encore essentielles toutes les choses dont la définition essentielle ne peut être donnée qu'au moyen des choses mêmes dont elles sont essentiellement les attributs. Par exemple, droit et courbe s'applique essentiellement à la ligne: pair et impair s'appliquent au nombre aussi bien que premier et multiple, carré 74 et scalène; et pour toutes ces choses, dans la proposition qui exprime ce qu'elles sont, se retrouvent, ici la ligne, là le nombre. Je pourrais citer bien d'autres exemples analogues, et dans chaque cas, j'appelle essentielles les choses de ce genre. Au contraire, j'appelle accident les choses qui ne sont ni de l'une ni de l'autre façon. Ainsi musicien ou blanc, ne sont que des accidents par rapport à l'animal. § 5. Une chose est encore dite essentielle, quand elle ne peut être attribuée à aucun sujet. Par exemple marchant, suppose toujours un être distinct dont on dit : Il est marchant et il est blanc. La substance, au contraire, et tout ce qui exprime un objet individuel n'étant pas autre chose que ce qu'ils sont, sont uniquement ce qu'ils sont. J'appelle donc essentielles, les choses qui ne se rapportent pas à un sujet, et accidents celles qui s'y rapportent. § 6. Enfin, en un autre sens, essentiel se dit de tout ce qui, par la chose même, est à cette chose; et accidentel, de ce qui n'y est pas par elle seule. Si, par exemple, il a fait un éclair pendant qu'on marchait, ce n'est là qu'un accident; car cet éclair n'a pas eu lieu parce qu'on marchait; il n'a eu lieu, comme on dit, qu'accidentellement. Au contraire de ce qui a lieu à cause de la chose même, on dit que c'est essentiel. Si par exemple quelqu'un est mort étranglé, c'est de la strangulation qu'il est essentiellement mort; car il est mort parce qu'il a été étranglé, et ce n'est pas du tout un accident qu'étant étranglé il en soit mort. § 7. Ainsi donc, pour tout ce qu'on sait d'une manière absolue, les choses dites essentielles en ce sens qu'elles sont essentiellement dans leurs attributs ou que leurs attributs sont essentiellement en elles, sont à la fois par elles seules et de toute nécessité; car il est impossible ou qu'elles ne soient pas elles-mêmes à l'objet d'une manière absolue, ou que leurs opposés n'y soient pas. Ainsi pour la ligne, droit ou courbe; pour le nombre, pair ou impair; car le contraire est toujours ou la privation, ou la contradiction dans le même genre; et par exemple, dans les nombres, le pair est ce qui n'est pas impair; car c'est là ce qu'exigent la manière dont l'un et l'autre se suivent. Si donc il faut nécessairement pour toute chose ou la nier ou l'affirmer, il faut aussi que les choses essentielles soient nécessairement dans les objets auxquels elles se rapportent. § 8. Telles sont les définitions de ces expressions : être attribué à tout, et essentiel. § 9. J'appelle universel ce qui à la fois est attribué à tout l'objet, lui est essentiel, et est à l'objet en tant que l'objet est ce qu'il est. § 10. Il en résulte évidemment que ce qui dans les choses est universel, y est aussi nécessaire. § 11. Essentiel, et en tant que l'objet est ce qu'il est, ce sont là des expressions équivalentes. Par exemple : le point et le droit sont essentiellement à la ligne; car ils y sont en tant qu'elle est ligne. Deux angles droits sont la valeur du triangle en tant que triangle; car essentiellement le triangle a ses angles égaux à deux droits. § 12. L'universel n'existe qu'à cette condition d'être démontré d'un objet quelconque dans le genre dont il s'agit, et primitif dans ce genre; ainsi, valoir deux angles droits n'est pas universel à la figure, bien qu'on puisse démontrer d'une figure qu'elle vaut deux angles droits, mais ce n'est pas d'une figure quelconque; et de plus, quand on démontre, on ne prend pas non plus une figure quelconque, attendu que le quadrilatère, qui est bien aussi une figure, n'a pourtant pas la somme de ses angles égale à deux angles droits. Au contraire, un isocèle quelconque a bien ses angles égaux à deux droits, mais l'isocèle n'est pas un primitif; car le triangle lui est antérieur. Donc ce qui sans exception et primitivement, est démontré avoir ses angles égaux à deux droits ou telle autre propriété 74a, ce primitif-là a l'universel, et il y a démonstration essentielle de cet universel. Pour tout le reste, au contraire, la démonstration a bien lieu, dans une certaine mesure, mais elle l'est pas essentielle. Ainsi pour l'isocèle, la démonstration n'est pas universelle, attendu qu'elle est plus large que lui.
§ 1. Il faut remarquer que souvent ici on se trompe, et que le démontré n'est pas primitif universel dans le sens même où il a été démontré, à ce qu'il semble, primitif universel. On commet cette erreur, lorsqu'on ne peut point remonter à un terme plus haut que l'individu ou des individus; ou bien quand en allant même au-delà de l'individuel, l'universel n'est pas représenté par un mot qui réunisse les choses spécialement différentes ; ou bien enfin lorsque l'objet auquel la démonstration s'applique, renferme seulement l'universel comme le tout dans la partie; car la démonstration alors aura lieu pour les cas particuliers, elle s'appliquera à tout l'objet, et cependant elle ne s'appliquera point au primitif universel. Or je dis qu'il n'y a démonstration du primitif en tant que primitif, que quand il y a démonstration du primitif universel. § 2. Quand, par exemple, on démontre que deux droites sont parallèles, on pourrait croire qu'on donne une démonstration proprement dite, parce qu'elle vaut pour toutes les lignes coupées à angles droits; pourtant il n'en est rien, puisque les lignes sont parallèles, non pas parce que les angles sont d'une certaine façon égaux à deux droits, mais parce qu'ils sont toujours égaux à deux droits, quelle que soit d'ailleurs leur forme. § 3. On se tromperait encore de même si, supposant qu'il n'y a pas d'autre triangle que le triangle isocèle, les propriétés du triangle semblaient lui appartenir, en tant qu'isocèle. § 4. On se trompe aussi quand on croit que la proportion est permutable seulement, en tant que les termes sont ou des lignes, ou des nombres, ou des solides, ou des temps, comme on pourrait le démontrer pour chacune de ces espèces séparément, bien qu'il soit également possible de le démontrer par une seule démonstration pour toute espèce de termes. Mais comme toutes ces espèces ne sont pas comprises sous un nom unique qui les renferme toutes, nombre, surface, solide, temps; et comme de plus, en tant qu'espèces, elles différent les unes des autres, on pouvait les considérer chacune isolément. Ici, au contraire, on parle de démonstration universelle; car ce n'est pas en tant que ces espèces sont des lignes, en tant qu'elles sont des nombres, que la proportion existe pour elles ; mais c'est en tant qu'elles sont l'objet même qu'on suppose universel. § 5. Voilà encore pourquoi, si l'on a démontré pour toutes les espèces de triangle, soit par une démonstration commune, soit par une démonstration spéciale, que chacun de ces triangles a ses angles égaux à deux droits, l'équilatéral aussi bien que le scalène et l'isocèle, l'on ne peut pas dire encore qu'on sache, si ce n'est d'une manière sophistique, que le triangle a ses angles égaux à deux droits. On ne connaît pas universellement le triangle, bien qu'il n'y ait pas de triangle autre que ceux-là; car on ne sait pas que le triangle a cette propriété en tant que triangle. On ne sait même pas non plus que c'est la propriété de tout triangle, ou du moins on ne le sait que numériquement. Formellement, on ignore que tout triangle est dans ce cas, bien qu'il n'y ait pas de triangle outre ceux qu'on connaît. § 6. Quand donc est-on privé de la science universelle, et quand possède-t-on la science d'une manière absolue ? Il est clair qu'on ne la posséderait ainsi que si l'on pouvait supposer que l'essence du triangle se confond avec l'équilatéral, ou avec tel autre des triangles pris à part, ou avec tous ensemble. Mais si, loin d'être la même chose, c'est une chose toute différente, et que la propriété n'appartienne au triangle qu'en tant que triangle, on ne possède certainement pas la science universelle. § 7. Mais la propriété est-elle au triangle en tant que triangle ou en tant qu'isocèle? Quand la propriété existe-t-elle relativement au primitif? et quand est-on arrivé à la démonstration universelle? Évidemment c'est lorsque après avoir retranché toutes les circonstances, on a atteint le terme auquel la propriété appartient en premier. Ainsi deux angles droits sont la valeur des angles d'un triangle isocèle d'airain 75; mais c'est encore la valeur de ses angles en retranchant ces deux conditions qu'il soit d'airain et qu'il soit isocèle. Cette propriété cesse bien de subsister si on lui ôte et la figure qu'il a, et les lignes qui le limitent; mais cette figure et ces lignes ne sont pas les primitifs; et quel est donc ici le primitif qu'il faudrait ôter? Évidemment c'est le triangle; car c'est par lui que la propriété appartient aussi aux autres termes, et c'est pour lui seul qu'il y a démonstration universelle.
§ 1. Si donc la science obtenue par démonstration dérive de principes qui sont nécessaires, ce qu'on sait ne pouvant être autrement qu'on ne le sait ; si de plus, ce qui est essentiel dans les choses est nécessaire pour ces choses, essentiel se disant d'une part de l'attribut compris dans la définition essentielle de l'objet, et d'autre part, se disant aussi de l'objet compris dans la définition essentielle de ses propres attributs, toutes les fois que l'un des deux attributs contraires doit nécessairement être au sujet, il en résulte évidemment que ce doit être d'éléments de ce genre que se tire le syllogisme démonstratif; car tout attribut est, ou nécessaire, ou accidentel; et ce qui est accidentel n'est pas nécessaire. § 2. Ou il faut confondre ainsi l'accident et le nécessaire; ou bien, admettant comme principe que la démonstration porte un caractère de nécessité, et que, dès qu'on a démontré une chose, il n'est pas possible qu'elle soit autrement, il faut convenir que le syllogisme démonstratif doit se tirer de propositions nécessaires. § 3. En partant de principes vrais, on peut faire un syllogisme sans pour cela démontrer; mais en partant de principes nécessaires, on ne peut faire de syllogisme qu'en démontrant; car c'est là précisément le propre de la démonstration. § 4. Une preuve que la démonstration se forme bien d'éléments nécessaires, c'est que quand nous devons des objections contre un raisonnement que l'adversaire croit avoir démontré, nous disons que la conclusion n'est pas nécessaire, soutenant d'ailleurs que la chose peut être autrement, soit d'une manière absolue, soit seulement pour le besoin de la discussion. § 5. Ceci fait bien voir aussi toute l'erreur de ceux qui croient avoir atteint réellement les principes, par cela seul que la proposition qu'ils soutiennent est probable et vraie, comme les sophistes quand ils prétendent que savoir c'est avoir la science. Mais un principe n'est pas du tout ce qui est ou n'est pas seulement probable; c'est uniquement le primitif du genre même dont on doit démontrer, et toute proposition, par cela seul qu'elle est vraie, n'est pas propre à ce genre. § 6. Voici encore ce qui prouve bien que le syllogisme démonstratif doit être tiré d'éléments nécessaires; c'est que, tant que l'on ignore la cause d'une chose, on a beau en avoir une démonstration, on ne peut pas dire qu'on la sache. Soit par exemple A attribué nécessairement à C, et que B, moyen par lequel on a démontré, ne soit pas nécessaire; certes on ne sait pas la cause de la chose; car la conclusion n'est point à cause du moyen, puisque ce moyen peut ne pas être, tandis qu'au contraire la chose conclue est nécessaire. § 7. De plus, si l'on ne peut pas dire qu'on sache actuellement une chose, tout en admettant d'ailleurs et que l'on conserve sa raison, et que l'on vive, et que la chose elle-même reste bien telle qu'on la comprend, sans en rien oublier, c'est qu'on ne la savait pas non plus auparavant. Car le moyen pourrait s'anéantir, puisqu'il n'est pas nécessaire, et alors on conservera sa raison, on sera vivant, la chose elle-même subsistera, et pourtant on ne la sait pas; c'est qu'on ne la savait pas non plus antérieurement. Que si le moyen n'est pas anéanti, mais qu'il puisse seulement l'être, la conséquence que j'indique serait possible et contingente; mais il est impossible qu'avec ces conditions on puisse réellement savoir. § 8. 75a Mais peut-on dire, lorsque la conclusion est nécessaire, rien n'empêche du moins que le moyen terme par lequel on la démontre ne le soit pas, et qu'on puisse tirer une conclusion nécessaire même de propositions qui ne sont pas nécessaires, comme on peut tirer aussi une conclusion vraie de propositions qui ne sont pas vraies. Bien entendu d'ailleurs que, quand le moyen terme est nécessaire, la conclusion est également nécessaire, de même que de propositions vraies on tire toujours des conclusions vraies. Soit en effet A à B nécessairement, et B à C nécessairement, la conclusion est que A est nécessairement aussi à C. Au contraire, quand la conclusion n'est pas nécessaire, il n'est pas possible que le moyen le soit non plus. Soit, par exemple, A à C, sans y être nécessairement, mais à B nécessairement, et B nécessairement aussi à C; donc A aussi sera nécessairement à C. Or on avait supposé le contraire. § 9. A ceci on peut répondre : Ce que l'on sait par démonstration devant être de nécessité, il en résulte évidemment que la démonstration doit se faire aussi par un moyen terme nécessaire comme elle. Autrement, ou bien on ne saura ni pourquoi la conclusion est nécessaire, ni même qu'elle soit nécessaire; mais l'on croira savoir sans savoir réellement, si l'on admet comme nécessaire ce qui ne l'est pas; ou bien l'on ne croira même pas savoir de cette façon, soit d'ailleurs qu'on sache l'existence de la chose par des propositions médiates, soit même qu'on en sache la cause par des propositions immédiates. § 10. Il est impossible de savoir par démonstration les accidents qui ne sont pas essentiels dans le sens même de la définition que nous avons donnée de ce mot : c'est qu'en effet on ne peut jamais pour les accidents démontrer que la conclusion est nécessaire, puisqu'un accident est ce qui peut ne pas être, seule espèce d'accident dont je veuille ici parler. § 11. Mais on peut se demander : A quoi bon alors poser des questions d'accidents pour les démonstrations, s'il n'y a pas pour eux de conclusions nécessaires; car il n'y a aucun intérêt à faire des questions au hasard pour qu'on y réponde par une conclusion quelconque ? § 12. A cela je réponds : quand on interroge, on doit poser ces questions, non pas comme si la chose était nécessaire à cause des propositions mêmes, mais seulement en supposant que celui qui admet les questions doit aussi admettre nécessairement la conclusion qui en dérive, et conclure vrai si les questions elles-mêmes sont vraies. § 13. D'autre part, puisque pour chaque genre de choses il n'y a de nécessaire que ce qui est essentiel à ce genre, et lui appartient en tant que ce genre est ce qu'il est, il est clair que c'est aux choses essentielles que s'appliquent les démonstrations qui procurent la science, et que c'est de ces choses-là seules que se peuvent tirer ces démonstrations, attendu que les accidents ne sont pas nécessaires. § 14. Et qu'ainsi, on ne sait pas nécessairement la cause de la conclusion, en admettant même que cette conclusion soit éternelle, mais sans être essentielle, comme il arrive dans le syllogisme tiré de simples signes ; car la conclusion aura beau être essentielle, on ne saura ni qu'elle est essentielle, ni pourquoi elle l'est. Or, savoir pourquoi une chose est, c'est la savoir par l'objet même qui la cause. En résumé, c'est donc essentiellement que le moyen terme doit être au troisième, et le premier au moyen, pour qu'il y ait véritablement démonstration.
§ 1. C'est là ce qui fait que l'on ne peut démontrer en passant d'un genre à un autre; et que, par exemple, on ne peut démontrer par l'arithmétique une question de géométrie. § 2. En effet, il y a trois choses à considérer dans les démonstrations. D'abord, la conclusion démontrée, c'est-à-dire l'attribut essentiel du genre dont il s'agit : en second lieu, les axiomes; et les axiomes, ce sont les déments dont on tire la démonstration; troisièmement enfin, le genre lui-même qui est en question, et dont la démonstration prouve les attributs et les accidents essentiels. § 3. Les éléments dont on tire la démonstration peuvent être quelquefois pareils; mais alors il faut que les choses auxquelles la démonstration s'applique ne soient pas de genres entièrement différents, comme l'arithmétique et la géométrie ; car il est impossible de traiter par une démonstration arithmétique les accidents des grandeurs, à moins que les grandeurs ne deviennent des nombres. Du reste, on dira plus tard comment cela petit avoir lieu dans certains cas. § 4. Mais la démonstration arithmétique se borne toujours au genre qui fait son objet, et toutes les autres démonstrations font comme elle; ainsi le genre doit être, ou absolument le même, ou le même au moins à quelques égards, pour que la démonstration puisse passer de l'un à l'autre. Et il est clair que sans cette condition la chose serait tout à fait impossible; car il faut nécessairement que les extrêmes et les moyens soient d'un même genre, puisque s'ils ne sont pas essentiels, ils ne sont que des accidents. § 5. Voilà comment il n'appartient pas à la géométrie de démontrer que la notion des contraires est unique, ni même que deux cubes forment un cube. Voilà comment en général une science ne peut jamais démontrer ce qui appartient à une autre, à moins que ces deux sciences ne soient entre elles dans ce rapport, que l'une soit subordonnée à l'autre, comme l'optique est à l'égard de la géométrie, et l'harmonie à l'égard de l'arithmétique. § 6. On peut ajouter que la géométrie n'a rien à voir, même aux lignes, si l'on étudie une de leurs qualités qui ne leur appartient pas en tant que lignes, et qui ne tient pas aux principes propres des lignes. C'est ainsi que la géométrie n'a point à rechercher si la ligne droite est la plus belle de toutes les lignes, ou bien si la ligne droite est le contraire de la circonférence; car ces qualités appartiennent aux lignes, non pas relativement à leur genre propre, mais relativement à un principe commun qui, à certains égards, appartient aussi aux lignes.
§ 1. Il n'est pas moins évident encore que si les propositions dont on tire le syllogisme démonstratif sont universelle, il y a nécessité que la conclusion de cette espèce de démonstration, ou, pour mieux dire, de toute démonstration, soit éternelle. Il n'y a donc pas de démonstration pour les choses périssables. Pour elles, il n'y a pas non plus de science à proprement parler; ou du moins il n'y en a que de l'accident, parce qu'il n'y a pas de science universelle de cet objet, et que la science n'existe alors que dans certains cas et de certaine façon. Quand la conclusion démontrée est de cette espèce, il faut nécessairement que l'une des deux propositions soit non universelle, et périssable : périssable, puisque la conclusion l'est aussi, quand l'une des propositions l'est: non universelle, car parmi les choses auxquelles la conclusion s'applique, l'une sera tandis que l'autre ne sera pas. Donc on ne peut conclure universellement; on conclut simplement que, dans le cas actuel, la chose est ainsi qu'on la démontre. § 2. Ceci n'est pas moins vrai pour les définitions; car la définition est, ou un principe de démonstration, ou une démonstration, qui ne diffère que par la position des termes, ou enfin une conclusion de démonstration. § 3. Quant à la démonstration et à la science des choses qui arrivent fréquemment, les phases de la lune, par exemple, évidemment elles sont éternelles dans l'essence de ces choses, et elles ne sont particulières qu'en tant que ces choses ne sont pas toujours. Il va sans dire que ce qui s'applique ici à l'éclipse peut s'appliquer également à tout autre phénomène.
§ 1. Puisque évidemment on ne peut démontrer une chose que par les principes qui lui sont propres, c'est-à-dire si le démontré est à l'objet en tant que cet objet est ce qu'il est, il ne suffit pas, pour savoir cette chose, de la démontrer en partant de propositions vraies, indémontrables et immédiates; ce n'est là démontrer que comme Bryson démontrait la quadrature du cercle. § 2. Les raisonnements de ce genre ne démontrent jamais que d'après un principe commun qui s'applique aussi à un autre objet; et voilà comment ils conviennent également à des objets 76a qui ne sont pas de même genre. Ce n'est donc pas en tant que la chose est ce qu'elle est qu'on la sait, c'est seulement dans son accident; autrement la démonstration ne pourrait pas convenir tout aussi bien à un autre genre. § 3. Nous ne savons un attribut quelconque réellement et autrement que par l'accident, que lorsque nous le connaissons par ce qui le fait être, d'après les principes qui sont propres à la chose, en tant qu'elle est ce qu'elle est. Nous savons, par exemple, ce que c'est qu'avoir ses angles égaux à deux droits, quand nous savons à quoi appartient essentiellement cette propriété, d'après les principes propres à la chose qui la possède. Il suit de là que si la propriété appartient essentiellement à la chose à laquelle elle est, il y a nécessité que le moyen se trouve aussi dans le même genre. § 4. S'il n'y est pas, c'est qu'alors le rapport est le même que celui des questions d'harmonie à l'arithmétique; et quand les choses sont dans cette relation, on peut les démontrer par des principes identiques. Il y a pourtant encore la différence que voici : l'existence même de la chose relève d'une science différente, puisque le genre en question est différent; mais la cause de la chose relève de la science supérieure à laquelle les propriétés dont il s'agit appartiennent essentiellement. Ceci est une preuve nouvelle qu'on ne peut jamais démontrer une chose absolument que par les principes qui lui sont propres; seulement, dans les sciences dont nous venons de parler, les principes ont la propriété commune qu'on étudie. § 5. Que si cela est évident, il est évident aussi que les principes propres de chaque chose sont indémontrables; ces principes deviendront les principes de tout le reste, et la science de ces principes sera la souveraine de tout ce qui suivra. En effet, celui-là sait davantage, qui sait par les causes supérieures; et savoir par les termes antérieurs, c'est savoir, non pas par les effets produits, mais par les causes qui produisent. En outre, si c'est là savoir davantage, c'est là savoir aussi le plus possible; et dès que cette science existe, c'est à la fois et une science supérieure et la science suprême. § 6. Mais la démonstration ne passe pas d'un genre à un autre, si ce n'est, comme on l'a déjà dit, que les démonstrations de géométrie passent en optique ou en mécanique, et les démonstrations d'arithmétique en harmonie. § 7. Du reste il est difficile de reconnaître si l'on sait ou si l'on ne sait pas, parce qu'il est difficile de reconnaître si notre science provient ou non des principes propres de chaque chose, ce qui est précisément savoir. Nous croyons savoir par cela seul que nous tirons notre syllogisme de certains principes vrais et primitifs. Mais ce n'est point là savoir, puisqu'il faut en outre que la conclusion soit homogène aux principes.
§ 1. Ce que j'appelle principes dans chaque genre, ce sont les termes dont on ne peut pas démontrer qu'ils sont. § 2. On admet donc sans démonstration le sens des mots qui expriment et les primitifs et la conclusion qui en dérive; et pour les principes, il faut de toute nécessité admettre qu'ils sont sans les démontrer; mais c'est pour le reste seulement qu'il faut démontrer qu'il est. On doit par exemple admettre sans démonstration ce que signifient et l'unité, et la ligne droite, et le triangle; il faut admettre également sans le démontrer que l'unité et la grandeur existent; et c'est seulement pour le reste qu'il doit y avoir démonstration. § 3. Parmi les principes dont on se sert dans les sciences démonstratives, les uns sont spéciaux à chaque science, les autres sont communs. J'entends qu'ils sont communs par analogie; car le principe commun est employé dans la mesure même où il se rapporte au genre de science en question. Des principes spéciaux, c'est, par exemple, la définition de la ligne, de la droite; au contraire, un principe commun c'est, par exemple, celui-ci : Si de choses égales on ôte des quantités égales, le reste de part et d'autre est encore égal. Chacun de ces principes est applicable en tant qu'il entre dans le genre en question. La valeur du principe commun que je viens de citer sera toujours la même, bien qu'on ne le pose pas pour tous les objets auxquels il pourrait convenir 77, et qu'on le prenne, comme le géomètre, seulement pour les grandeurs, et comme l'arithméticien, seulement pour les nombres. § 4. On appelle encore principes propres dont on admet aussi l'existence sans démonstration, les choses dans lesquelles la science trouve les propriétés essentielles qu'elle étudie. Ainsi l'arithmétique admet sans démonstration les unités, et la géométrie les points et les lignes : car elles admettent sans démonstration et l'existence et la définition de ces choses. De plus, pour les modifications essentielles de ces choses, l'on admet également sans démonstration les noms de chacune d'elles. Par exemple : l'arithmétique admet ainsi le sens des mots d'impair ou de pair, de carré, de cube, etc. ; et la géométrie ceux d'incommensurable, de brisé, d'oblique, etc. Mais quant à l'existence de ces propriétés, on la démontre au moyen et de principes communs et de propositions déjà démontrées. La méthode est la même en astronomie. § 5. En effet, toute science acquise par démonstration se rapporte à trois choses; d'abord tout ce dont on admet l'existence sans démonstration, c'est-à-dire le genre même dont la science étudie les modifications essentielles; en second lieu, ces principes communs que nous appelons axiomes, dont on tire primitivement les démonstrations; et enfin, en troisième lieu, les modifications de ce même genre pour lesquelles il faut admettre aussi sans démonstration le nom de chacune. § 6. Du reste, il se peut fort bien que de ces trois choses, certaines sciences en négligent quelques-unes. Ainsi telle science peut s'abstenir de poser l'existence du genre, s'il est de toute évidence que ce genre existe; car il n'est pas évident de la même manière que le nombre existe, qu'il est évident qu'il fait chaud ou froid. On peut aussi s'abstenir de poser les définitions des modifications du genre, si elles sont parfaitement claires. Enfin même on peut s'abstenir de poser ce que signifient les principes communs; par exemple ce que veut dire : Enlever des quantités égales à des quantités égales, attendu que ce principe est parfaitement bien connu. Néanmoins on peut toujours dire que naturellement il y a trois choses ici : ce dont on démontre, ce qu'on démontre, et enfin ce par quoi l'on démontre. § 7. On ne peut jamais considérer comme hypothèse ou postulat ce qui est nécessairement par soi-même, et ce qu'on doit nécessairement croire. C'est qu'en effet, ce n'est pas à la parole extérieure, c'est à la parole intérieure de l'âme que s'adresse la démonstration, tout aussi bien que le syllogisme. Contre la parole extérieure on peut bien trouver toujours des objections; mais on ne le peut pas toujours contre la parole du dedans. § 8. Toutes les fois donc qu'on pose sans les avoir soi-même démontrées, des choses qui pourraient l'être, et qu'on les admet avec l'assentiment de celui à qui on les apprend, c'est une hypothèse que l'on fait. Ce n'est pas d'ailleurs une hypothèse absolue, c'est une hypothèse relative uniquement à celui à qui l'on parle. Si l'interlocuteur n'ayant aucune idée de la chose, ou même en ayant une idée contraire, on pose pourtant cette chose, c'est un postulat que l'on fait pour la même chose qui tout à l'heure donnait lieu à une hypothèse. Et voilà en quoi diffèrent l'hypothèse et le postulat. Le postulat est en partie contraire à l'opinion de celui qui apprend la chose; ou bien c'est ce qu'on pose sans démonstration, quoi qu'on puisse le démontrer, et dont on se sert sans en avoir donné la démonstration § 9. Les définitions ne sont donc pas des hypothèses; car elles ne disent pas que les choses définies existent ou qu'elles n'existent pas. Au contraire, les hypothèses sont classées dans les propositions. Pour les définitions, il suffit qu'on les comprenne; mais il n'en peut être ainsi d'une hypothèse à moins qu'on ne prétende qu'un simple mot, entendre par exemple, soit aussi toute une hypothèse. Les hypothèses sont précisément toutes les choses qui étant, et par cela seul qu'elles sont, produisent la conclusion. § 10. Le géomètre ne fait pas non plus hypothèse de choses fausses, ainsi qu'on le prétend quelquefois. On dit en effet que bien qu'il ne faille jamais employer le faux, le géomètre pourtant en fait usage, en supposant qu'une ligne qui n'a pas un pied de long en a réellement un, et qu'une ligne tracée est droite 77a quand pourtant elle n'est pas droite. Mais on peut répondre que le géomètre ne conclut rien de ce que cette ligne qu'il a tracée est de telle ou telle façon; il conclut seulement les choses dont ce sont là les représentations. § 11. On doit ajouter en outre que tout postulat, comme toute hypothèse, peut être ou universelle ou particulière, et que les définitions ne sont ni l'un ni l'autre.
§ 1. Il n'y a donc aucune nécessité pour rendre la démonstration possible, qu'il existe des idées, ni qu'il y ait des unités distinctes et séparées de la pluralité. Il y a seulement nécessité qu'une seule et même chose puisse avec vérité être attribuée à plusieurs êtres; car, sans cette condition, il n'y a pas d'universel; sans universel, il n'y a pas de moyen terme; et partant, il n'y aura pas non plus de démonstration. Il faut donc uniquement qu'il soit possible qu'une seule et même chose se retrouve dans plusieurs êtres, bien entendu toujours que cette chose n'est pas homonyme. § 2. Qu'il soit impossible d'affirmer et de nier à la fois une même chose, c'est là un principe que n'exprime aucune démonstration, à moins qu'on ne veuille démontrer aussi la conclusion sous cette même forme. L'on démontrerait en effet de cette façon, en posant que le premier terme est attribué au moyen avec vérité, et qu'il ne peut avec vérité en être nié. Il serait du reste parfaitement inutile de poser à la fois pour le moyen terme l'affirmation et la négation, ou bien d'en faire autant pour le troisième terme. En effet, si l'on a concédé le terme dont on peut dire homme avec vérité, quoiqu'il puisse être vrai d'ailleurs d'en nier aussi non homme, du moment qu'on a seulement admis que l'homme est animal, et qu'il n'est pas non animal, il sera toujours vrai de dire : Callias, et si l'on veut aussi, non Callias, est animal et n'est pas non pas animal. La cause de ceci c'est que le premier terme n'est pas attribué seulement au moyen; il est attribué aussi à un autre terme, parce qu'il peut s'étendre à plusieurs termes; et voilà comment il n'importe pas pour la conclusion, que le terme moyen soit à la fois telle chose et non telle chose. § 3. C'est la démonstration par l'absurde qui emploie toujours ce principe qu'il faut de toute chose l'affirmer ou la nier. § 4. Cet axiome même n'est pas toujours pris par elle dans son universalité; il est pris seulement dans la mesure suffisante, c'est-à-dire, dans la limite où il s'applique au genre en question; et j'entends par le genre en question le genre relativement auquel on donne les démonstrations, ainsi qu'il a déjà été dit plus haut. § 5. Toutes les sciences communiquent les unes aux autres par les principes qui leur sont communs; et j'appelle communs les principes qu'on emploie comme devant démontrer par eux, et non pas ce dont on démontre ni ce qu'on démontre. § 6. On peut dire aussi que la dialectique est commune à toutes les sciences; § 7. ainsi que le serait encore la science qui se proposerait de démontrer en général les principes communs de toutes les autres, et par exemple, les principes suivants : De toute chose il faut ou l'affirmer ou la nier : Les quantités égales restent égales, etc., ou quelques autres principes du même genre. § 8. La dialectique ne s'occupe donc pas comme les autres sciences de certains objets spéciaux et déterminés; elle ne se borne pas à un seul et unique genre; autrement, elle ne ferait pas dépendre ses solutions des réponses qu'on fait aux questions qu'elle pose. Au contraire, quand on démontre, on n'est pas libre d'interroger ainsi, parce qu'on ne saurait démontrer une seule et même chose en partant de principes opposés; et c'est ce qui a été prouvé dans le Traité du syllogisme.
§ 1. Comme l'interrogation syllogistique se confond avec la proposition qui exprime l'une des deux parties de la contradiction, et comme il y a dans chaque science des propositions d'où se tire le syllogisme spécial à chacune; il s'ensuit qu'il y a une sorte d'interrogation qui produit la science, et donne les éléments dont est tiré pour chaque science le syllogisme qui lui est propre. § 2. II est donc clair que toute interrogation n'est pas également géométrique, ou médicale, ou relative à telle autre science; il n'y a d'interrogation vraiment géométrique que celle dont on se sert pour démontrer, soit l'un des objets de la géométrie, soit l'un des objets démontrés par les mêmes principes, que ceux de la géométrie, ceux de l'optique par exemple; et de même pour tout le reste. § 3. Il faut dans ce cas ne faire porter la discussion que sur des principes, et des conclusions géométriques. Mais le géomètre en tant que géomètre n'a point à discuter les principes; et cette remarque s'applique aussi bien à toutes les autres sciences. § 4. Ainsi donc, quand on sait ce dont on traite, on ne doit pas plus, dans chaque sujet, poser toute question quelconque, qu'on ne doit répondre à toute question ainsi faite. Il faut borner les questions comme les réponses aux choses spéciales de la science dont on s'occupe. § 5. Si donc dans ces limites l'on raisonne en tant que géomètre avec un géomètre, il est clair que raisonner bien ce sera de démontrer quelque chose en partant de principes géométriques; et que si l'on ne part pas de principes géométriques, ce sera raisonner mal; § 6, et il n'est pas moins clair que si dans ce dernier cas on réfute le géomètre, ce n'est que par accident. § 7. Il suit de là qu'il ne faut pas discuter géométrie avec des gens qui ne sont pas géomètres; car on ne s'apercevra pas qu'on raisonne de travers; et cette recommandation n'est pas moins applicable à toutes les autres sciences. § 8. Puisqu'il y a des interrogations géométriques, y en a-t-il donc aussi qui ne sont pas géométriques? et pour chaque science, n'y a-t-il pas des interrogations fondées sur la même ignorance qui sépare les questions géométriques des questions non géométriques? et le syllogisme de l'ignorance est-il le syllogisme formé des propositions opposées aux propositions vraies ou paralogisme, qui toutefois ici ne sort pas de la géométrie? § 9 ou bien, le paralogisme tiré de toute autre science? comme par exemple relativement à la géométrie une interrogation musicale n'est pas géométrique. Mais croire que les parallèles se rencontrent, c'est une idée qui à la fois est géométrique dans un sens, et dans un autre sens, n'est pas géométrique. N'être pas géométrique a deux sens aussi bien que n'être pas rythmique; en premier lieu, une chose est non géométrique comme elle est non rythmique, parce qu'elle n'a aucun rapport à la géométrie; et en second lieu, parce qu'en géométrie elle est fausse; et l'ignorance qui part ainsi de principes pareils est précisément contraire à la science. § 10. Dans les mathématiques, le paralogisme n'est pas aussi aisé. On sait que le moyen terme est toujours double, et qu'un autre terme est attribué à ce moyen tout entier, qui à son tour est attribué à un autre terme tout entier, l'attribut seul n'étant jamais pris universellement; or, en mathématiques, on peut en quelque sorte voir tout cela par la pensée; dans la discussion, au contraire, tout cela peut échapper. Si l'on demande, par exemple : tout cercle est-il une figure? il n'y a qu'à tracer le cercle pour que la réponse soit évidente; et si l'on ajoute : des vers sont-ils donc un cercle? il est clair par le tracé même de la figure qu'ils n'en sont pas un. § 11. Il ne faut pas objecter contre le procédé du mathématicien que la proposition dont il se sert est inductive. De même en effet qu'il n'y a de proposition démonstrative que celle qui s'applique à plusieurs objets, car si elle ne s'applique pas à plusieurs objets, elle ne pourra pas non plus s'appliquer à tous, tandis qu'au contraire le syllogisme ne se forme que de propositions universelles; de même, il est clair qu'il n'y a pas non plus d'objection véritable qui ne soit universelle. C'est qu'au fond les propositions et les objections sont de même nature; et quelle que soit l'objection qu'on fasse, elle pourrait devenir au besoin proposition démonstrative ou dialectique. § 12. Il arrive quelquefois que l'on manque aux règles du syllogisme, parce qu'on prend affirmativement les conséquents des deux extrêmes. C'est par exemple ce que fait Coenée quand il conclut que le feu s'accroît dans une proportion multipliée; car le feu, comme il dit, s'engendre promptement, et cette proportion s'engendre promptement aussi. Mais avec cette manière de procéder il n'y a pas de syllogisme régulier. Pour qu'il y en ait un, il faut que la proportion multipliée soit prise pour le conséquent de proportion la plus rapide, et que proportion la plus rapide dans son accroissement, soit pris pour conséquent de feu. Il arrive donc que parfois on ne peut pas tirer une conclusion de termes ainsi disposés ; et que parfois ou le peut, mais qu'on ne le voit pas. § 13. Si du reste, il était toujours impossible de démontrer le vrai en partant de propositions fausses, il serait facile de résoudre la conclusion dans ses principes, parce qu'alors la réciprocité serait nécessaire. En effet, soit A représentant la conclusion; du moment que A est vrai, j'en puis conclure la vérité des choses dont je connais l'existence et qui sont représentées par B; et par suite je pourrai démontrer, en partant de ces dernières, la vérité de A. Mais cette réciprocité a surtout lieu pour les mathématiques, parce qu'elles n'admettent rien d'accidentel, différence qui les distingue encore de tout ce qui n'est que dialectique et parce qu'elles n'admettent que des définitions. § 14. Ce qui s'accroît dans les mathématiques, ce n'est pas le nombre des moyens termes pour une seule conclusion, c'est seulement le nombre des conclusions qu'on ajoute; par exemple A attribué à B, celui-ci à C, ce dernier à D, et ainsi de suite à l'infini; § 15 ou bien en prenant l'ordre indirect, A attribué à C et à E. Soit par exemple nombre déterminé ou indéterminé qui est représenté ici par A. Le nombre déterminé impair est représenté par B, et le nombre impair par C, on peut conclure que A est attribué à C. Ou bien encore, le nombre déterminé pair est représenté par D, et le nombre pair par E, on en peut conclure que A est attribué à E.
§ 1. Entre savoir qu'une chose est, et savoir pourquoi elle est, il y a une grande différence. D'abord cette différence peut avoir lieu dans une seule et même science, et cela de deux manières. La première, c'est quand le syllogisme n'est pas formé de termes immédiats; car alors on n'est pas remonté jusqu'au primitif qui est cause; or, la science du pourquoi ne vient réellement que du primitif qui est cause. La seconde manière, c'est quand le syllogisme, formé d'ailleurs de termes immédiats, n'est pas remonté jusqu'à la cause, et s'est arrêté à celui des termes réciproques qui était plus notoire; car il est fort possible, que parmi les termes qui peuvent être attribués mutuellement l'un à l'autre, le terme qui n'est pas cause, soit cependant plus notoire, et qu'à ce titre on l'emploie pour la démonstration. § 2. Par exemple, on démontre que les planètes sont proches de la terre parce qu'elles ne scintillent pas. Soit C les planètes, B ne pas scintiller, A être proche. Il est vrai de dire B de C, car les planètes ne scintillent pas; mais il est vrai aussi de dire A de B, car lorsqu'un corps ne scintille pas, c'est qu'il est proche. On peut supposer d'ailleurs que cette dernière proposition est fournie par induction ou par expérience sensible ; on en conclut nécessairement que A est à C, et de cette façon il a été démontré que les planètes sont proches. Mais sous cette forme, le syllogisme ne dit pas pourquoi la chose est, il dit seulement qu'elle est ; car les planètes ne sont pas proches de la terre parce qu'elles ne scintillent pas, mais au contraire elles ne scintillent pas parce qu'elles sont proches. § 3. Du reste, on peut encore démontrer à l'inverse l'effet par la cause, et alors la démonstration donnera le pourquoi de la chose. Soit, par exemple, C les planètes, B être proche, A ne pas scintiller ; B est bien aussi à C, et. A ne pas scintiller est également à B, d'où l'on conclut que A est aussi à C; et ce syllogisme donne le pourquoi de la chose, parce qu'on est remonté jusqu'à la cause primitive. § 4. De même encore lorsqu'on démontre la sphéricité de la lune par les accroissements de sa lumière; en disant : Si le corps qui accroît sa lumière ainsi est sphérique, et que la lune accroisse ainsi sa lumière, il est clair que la lune est sphérique ; on forme simplement le syllogisme qui démontre par l'effet. § 5. Mais en déplaçant le terme moyen et le prenant à son tour pour grand extrême, le syllogisme donnera le pourquoi de la chose; car ce n'est pas à cause de ses accroissements de lumière que la lune est sphérique; c'est au contraire parce qu'elle est sphérique qu'elle prend des accroissements de ce genre. Pour démontrer ceci, soit la lune C, sphérique B, et accroissement de lumière A. § 6. Dans le cas où les moyens ne sont pas réciproques, et où c'est le terme qui n'est pas cause qui est le plus notoire, on démontre bien que la chose est, mais on ne démontre pas pourquoi elle est. § 7. Et de même dans les cas où le terme moyen est placé en dehors des extrêmes ; car alors la démonstration donne l'existence de la chose, mais non la cause de cette chose, attendu que la cause n'y est pas exprimée. § 8. Par exemple, pourquoi un mur ne respire-t-il pas? On répond : Parce qu'il n'est pas animal. Si c'était là réellement la cause de l'absence de respiration, il faudrait qu'animal fût cause de la respiration. En effet, du moment que la négation est cause qu'une chose n'est pas, l'affirmation doit être cause que cette chose est; et par exemple, si le défaut d'équilibre entre le chaud et le froid est cause qu'on ne se porte pas bien, l'équilibre de température est cause qu'on se porte bien. Réciproquement, si c'est l'affirmation qui est cause que la chose est, la négation sera cause que cette chose n'est pas. Mais dans l'exemple cité plus haut, ce rapport qu'on vient d'indiquer n'aura pas lieu, puisqu'il n'est pas vrai que tout animal respire. § 9. Or, le syllogisme qui emploie cette sorte de cause, se forme dans la figure moyenne; par exemple, soit A animal, B respirer, C le mur; A est à tout B, car tout ce qui respire est animal; mais il n'est à aucun C, d'où l'on conclut que B n'est non plus à aucun C, c'est-à-dire, que le mur ne respire pas. § 10. Les causes de cette espèce sont, on peut dire, comme des expressions hyperboliques; en d'autres termes, on va chercher le moyen beaucoup trop loin. § 11. C'est tout à fait comme ce mot d'Anacharsis qui disait qu'il n'y a pas de joueuses de flûte parmi les Scythes, parce qu'il n'y a pas de vignes en Scythie. § 12. Telles sont, relativement à une même science, et en ce qui concerne la position des moyens termes, les différences entre le syllogisme qui prouve que la chose est, et le syllogisme qui prouve pourquoi elle est. § 13. Entre le syllogisme du fait et celui de la cause, il y a cette seconde différence, que l'un et l'autre peuvent être empruntés à des sciences diverses. Ceci a lieu pour toutes les sciences qui sont entre elles dans ce rapport que l'une est subordonnée à l'autre: par exemple, l'optique relativement à la géométrie, la mécanique à la stéréométrie, l'harmonie à l'arithmétique, et les phénomènes météorologiques à l'astronomie. § 14. Du reste, quelques-unes de ces sciences sont presque synonymes. L'astronomie signifie à la fois et l'astronomie mathématique et l'astronomie nautique. L'harmonie signifie tout aussi bien et l'harmonie mathématique, et l'harmonie qu'on entend. § 15. C'est qu'ici, en effet, la connaissance du fait appartient à la science qui relève uniquement de sens, et la connaissance de la cause appartient aux sciences mathématiques. Ce sont elles qui, seules, possèdent les démonstrations des causes, ignorant d'ailleurs souvent si la chose existe, de même que ceux qui connaissent l'universel ignorent souvent certain cas particulier, parce qu'ils n'y regardent pas. Telles sont toutes les sciences, qui, bien que différentes en essence, ne s'occupent que des formes. Or, les mathématiques ne s'occupent que des formes et ne s'appliquent pas à un sujet spécial et matériel; car, si la géométrie peut s'appliquer à tel objet spécial, ce n'est certes pas en tant que géométrie qu'elle s'y applique. § 16. Il se peut d'ailleurs qu'une autre science soit à l'optique dans le même rapport que l'optique est à la géométrie. Par exemple, la science qui traite de l'arc-en-ciel. En effet, savoir que l'arc-en-ciel a lieu, appartient au physicien; mais savoir pourquoi il a lieu, appartient à l'opticien, soit d''une manière absolue, soit relativement à la science mathématique. § 17. Ce rapport a lieu même entre beaucoup de sciences qui ne sont pas subordonnées entre elles, la médecine, par exemple, relativement à la géométrie. Ainsi, savoir que les plaies circulaires guérissent plus lentement que les autres, c'est l'affaire du médecin; mais savoir pourquoi, c'est l'affaire du géomètre.
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En outre l'être se dit de plusieures façons, de sorte que l'infini ne doit être saisi comme un "cela" déterminé - tel un homme ou une maison -, mais comme on dit le jour ou la compétition, auxquels l'être ne parvient pas [gegonen] comme substance, mais comme toujours naissant-et/ou-mourant [en ghénéseï è phthorà], d'une façon bien determinée certes [peperasmenon] mais toujours nomme autre-et-autre.
[0] Au sein d’un même discours la grandeur, le temps et le mouvement doivent tous les trois, ou se composer d'indivisibles et se diviser en indivisibles, ou bien ni la grandeur, ni le temps, ni le mouvement ne peuvent se composer d'indivisibles. Et ceci est clair depuis ce qui suit.
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire] Par la même raison, la longueur, ou, d'une manière plus générale, la grandeur, le temps et le mouvement doivent tous les trois, ou se composer d'indivisibles et se diviser en indivisibles, ou bien ni la grandeur, ni le temps, ni le mouvement ne peuvent se composer d'indivisibles comme on le prétend ; et voici la preuve que j'en donne.
[1] Si la grandeur se compose d'indivisibles, il faut aussi que son mouvement [hè kinesis hè toutou] se compose de mouvements égaux et indivisibles. Par exemple, si la grandeur ABC se compose des indivisibles A,B,C, chacune des parties D, E, F, du mouvement [kinesis] DEF suivant lequel O bouge selon ABC, sera indivisible à son tour.
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire]Si la grandeur se compose d'indivisibles, il faut aussi que le mouvement qui parcourt cette grandeur se compose de mouvements égaux, indivisibles comme les indivisibles de la grandeur. Soit la ligne parcourue ABC, qui se compose des trois indivisibles A, B, C. Le mouvement DEF, suivant lequel le mobile O est supposé parcourir la longueur ABC, doit avoir chacune de ses parties correspondantes D, F, indivisibles comme les parties mêmes de la longueur.
[2] Or si lorsqu’un mouvement [kinesis] est présent, nécessairement quelque chose [ti] est en mouvement [kineïsthaï], et que si quelque chose [ti] est en mouvement [kineïsthaï], nécessairement un mouvement [kinesis] est présent, il s'ensuit que ce même être en mouvement [kineïsthaï], se composera d'indivisibles [si la grandeurs et donc la kinesis se composent d’indivisibles]
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire]Si donc, quand il y a un mouvement, il faut nécessairement que quelque corps réel se meuve, et que réciproquement quand un corps se meut, il faille non moins nécessairement qu'il y ait mouvement, il s'ensuit que la ligne suivant laquelle le mouvement a lieu se composera d'indivisibles, tout aussi bien que le mouvement lui-même.
[3] Bouge donc O en A en se mouvant du mouvement D [kinoumenon kinesin] ; en B en se mouvant du mouvement E, et, en C, en se mouvant du mouvement F.
Par exemple, le mobile O parcourt la portion A en faisant le mouvement D ; il parcourt la portion B en faisant le mouvement E, et, enfin, la portion C, en faisant le mouvement F.
[4] Or de toute nécessité quelque chose qui se meut d'un terme à un autre [pothén-poï] ne peut pas en même temps [hama] se mouvoir et s’être mû [kinesthaï kai kekinesthaï] du même mouvement dont il se mouvait lorsqu’il se mouvait [ou ékineito hoté ekineito]. Par exemple, si quelqu'un va à Thèbes, il est bien impossible que ce soit en même temps qu'il y aille et qu'il y soit allé.
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire] De toute nécessité, un mobile allant d'un point à un autre ne peut pas, dans un seul et même instant, se mouvoir et avoir été mu sur le point même où il était en mouvement quand il y était. Par exemple, si quelqu'un va à Thèbes, il est bien impossible que ce soit en même temps qu'il y aille et qu'il y soit allé.
[5] Par contre nous avons supposé que O bougeait du mouvement D en correspondance de A, qui a été assumé comme indivisible. Or s’il est vrai que quelque chose n’ a fait son parcours [diélélutheï] qu’après le moment où elle est en train de le faire [diéeï], il s’en suit que A doit être divisible : car, lorsqu’il fait son parcours, celui qui marche n'est ni en repos, ni a-t-il déjà fait son parcours puisqu'il est en-train-de le faire [metaxu]. Car si l'on dit, qu'il le parcourt en même temps qu'il l'a parcouru, il en résulte que celui qui marche est déjà arrivé quand il marche, et qu'il s’est déjà mu du mouvement, dont il est en train de se mouvoir.
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire] Mais on a supposé que le mobile O parcourait dans son mouvement la longueur A qui est indivisible, et à laquelle correspond un mouvement D, qui est indivisible également. Par conséquent, si le mobile O parcourt d'abord la longueur A, et si ce n'est que plus tard qu'il l'a parcourue, cette longueur doit être nécessairement divisible; car, lorsque le mobile la parcourt, il n'est pas en repos, et il ne l'a pas encore tout à fait parcourue, puisqu'il est en train de la parcourir.
[6] D'un autre côté, si l’on suppose que O se meut du mouvement DEF sur l’entière ABC, tandis que quant à A (dénuée de parties) O n’est pas en mouvement mais il a été en mouvement, il s'ensuit que l’être en mouvement ne se compose pas d’états de mouvement mais de mouvements achevés, et que sans jamais se trouver en mouvement quelque chose aura quand même bougé . Car O aurait parcouru A s’y trouver en mouvement. et, ainsi, quelque chose aura bougé sans jamais être en train de bouger : et la même chose aurait bougé sans bouger.
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire] Que si l'on dit, par hasard, qu'il la parcourt en même temps qu'il l'a parcourue, il en résulte cette absurdité que le corps qui va quelque part y est déjà arrivé quand il y va, et qu'il aura déjà atteint, dans son mouvement, le point même vers lequel il tend. D'un autre côté, si, pour échapper à cette difficulté, on prétend que dans son mouvement le corps O parcourt la ligne entière ABC, selon le mouvement DEF, et qu'il n'a pas de mouvement dans la longueur A, qui est dénuée de parties, mais qu'il en a eu, il s'ensuit alors que le mouvement total ne se compose plus de mouvements partiels, mais de limites de mouvements . Il s'ensuit encore qu'une chose qui n'a pas eu de mouvement aura eu cependant un mouvement, ce qui est contradictoire; car on suppose que le mobile O a parcouru la longueur A sans la parcourir ; et, ainsi, voilà un corps qui aura marché sans être jamais en marche, et qui aura fait telle route sans jamais faire cette même route
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire]Tout corps doit être nécessairement en repos ou en mouvement ; mais on suppose ici qu'il est en repos sur les points successifs A, B, C ; il sera donc tout à la fois, d'une manière continue, et en repos et en mouvement, puisqu'on prétend qu'il se meut suivant la longueur entière ABC, tout en le supposant en repos dans chaque partie. Donc, aussi, il doit être en repos sur la longueur entière, puisqu'on le suppose en repos dans chacune des portions. Enfin, si les indivisibles du mouvement DEF sont eux-mêmes des mouvements, il s'ensuit que, même quand il y a mouvement, le corps pourrait n'être pas mu, mais être en repos ; et si l'on nie que ces indivisibles soient des mouvements, alors le mouvement ne se compose plus de mouvements.
[Trad.J.Barthélemy-Saint-Hilaire]Ainsi, ni la longueur ni le mouvement ne se composent d'indivisibles ; mais, s'ils étaient indivisibles, il faudrait nécessairement que le temps le fût comme eux, et alors il se composerait d'instants indivisibles. Mais il n'en est rien ; et ces trois quantités, la longueur parcourue, le mouvement qui la parcourt, et le temps pendant lequel le mouvement s'accomplit, sont dans les mêmes conditions; car, si tout mouvement est divisible, et si toujours un corps doué d'une égale vitesse parcourt moins d'espace en moins de temps, le temps est divisible tout aussi bien que le mouvement: et, réciproquement, le mouvement et le temps étant divisibles, la longueur parcouruele sera comme eux; par exemple, la longueur sera divisible, si le temps dans lequel un corps la parcourt est lui-même divisible.
Puisque toute grandeur est divisible en grandeurs (car il a été démontré qu’il est impossible que quelque chose de continu se compose d’indivisible, et toute grandeur est continue), on doit dire nécessairement que quelque chose est « plus rapide » lorsque : elle bouge plus dans un temps égal, elle bouge égal dans un temps inférieur, et elle bouge plus dans un temps inférieur.
On appelle commensurables les grandeurs admettant une même com-mune mesure, et incommensurables celles pour lesquelles il n'existe pas de commune mesure.[Trad.G.Kajas]
Les segments dont les carrés admettent une même aire comme mesure commune, sont dits commensurables en carrés et ceux dont les carrés ne sont mesurables par aucune mesure commune, sont dits incommensurables en carrés.[Trad.G.Kajas]
Cela étant on peut démontrer que, pour tout segment donné, il en existe une infinité d'autres qui lui sont soit commensurables, soit incommensurables, les uns en longueur seulement, les autres en carrés aussi. Nous appellerons donc segment rationnel le segment donné, ainsi que tous ceux qui lui sont commensurables soit en longueur et en carrés, soit en carrés seulement, et irrationnels les segments non-commensurables avec le segment donné. [Trad.G.Kajas]
Nous appellerons encore rationnel le carré du segment donné, ainsi que les aires qui lui sont commensurables, et irrationnels les aires qui ne sont pas rationnelles; nous appellerons de même irrationnels les côtés de ces figures, c'est-à-dire les côtés eux-mêmes si ces figures sont des carrés, ou bien les côtés des carrés équivalents, s'il s'agit de toute autre figure.[Trad.G.Kajas]