Je me souviens d'un soir de révélation profonde : l'identification de Dieu avec la Vie même était une idée qui me remua presque jusqu'à l'extase parce qu'elle me permettait dès lors de voir dans la biologie l'explication de toutes choses et de l'esprit lui-même. Avoir eu l'expérience précoce de ces problématiques a constitué, j'en suis convaincu, le mobile secret de mon activité ultérieure en psychologie. [Mais] mes études de zoologie fonctionnèrent si je puis dire comme instruments de projection contre le démon de la philosophie . [Jean Piaget, Autobiographie]
I - Le passage du CHAOS au COSMOS, s'opère donc par une élimination de l'égocentrisme. [...] A l'autre extrême, c'est-à-dire au moment où l'intelligence sensori-motrice a suffisamment élaboré la connaissance pour que soient rendus possibles le LANGAGE et l'intelligence réfléchie, l' UNIVERS est au contraire constitué en une structure à la fois substantielle et spatiale, causale et temporelle. Or cette organisation du réel s'effectue, verrons-nous, dans la mesure où le MOI se délivre de lui même en se découvrant et se situe ainsi comme une chose parmi les choses, un événement parmi les événements .[CR7]
IIA - L'espace euclidien lié à nos organes n'est que l'un de ceux qui s'adaptent à l'expérience physique. Au contraire, l'activité déductive et organisatrice de la RAISON est illimitée et conduit précisément, dans le domaine de l'espace à des généralisations dépassant toute intuition . Pour autant que cette activité est héréditaire, c'est donc en un tout autre sens. [...] C'est en ce second sens que H. Poincaré a pu considérer la notion spatiale de « groupe » comme a priori , parce que liée à l'activité même de l'intelligence. Quant à l'hérédité de l'intelligence comme telle, nous retrouvons la même distinction. D'une part, une question de structure : l'« hérédité spéciale » de l'espèce humaine et de ses « lignées » particulières comporte certains niveaux d'intelligence, supérieurs à celui des singes, etc. Mais, d'autre part, l'activité fonctionnelle de la raison (l'IPSE INTELLECTUS qui ne vient pas de l'expérience) est évidemment liée à l'«hérédité générale» de l'organisation vitale elle-même : de même que l'organisme ne saurait s'adapter aux variations ambiantes s'il n'était pas déjà organisé, de même l'intelligence ne pourrait appréhender aucune donnée extérieure sans certaines fonctions de cohérence (dont le terme ultime est le principe de non-contradiction ), de mise en relations, etc , qui sont communes à toute organisation intellectuelle [NI9].
IIB - Du simple réflexe à l'intelligence la plus systématique, un même fonctionnement nous paraît se prolonger au travers de tous les stades , établissant ainsi une continuité entière entre des structures de plus en plus complexes. NI137 Si les structures dont use la pensée varient d'un stade à l'autre et, a fortiori, d'un SYSTEME MENTAL à un autre, la PENSEE demeure constamment identique à elle-même du point de vue fonctionnel.[CR77]
Supposons un être qui ignore tout de la distinction entre la pensée et les corps. Cet être prendra conscience de ses désirs et de ses sentiments, mais assurément il aura de lui une notion beaucoup moins claire que nous de nous-mêmes. Il se sentira, pour ainsi dire, moins intérieur à lui-même que nous, moins indépendant du monde extérieure. La conscience que nous avons de penser nous détache en effet des choses mais surtout, les connaissances psychologiques d'un tel être feront toutes différentes des nôtres. Les rêves, par exemple, lui paraîtront une irruption du dehors dans le dedans Les mots seront liés aux choses et parler consistera à agir directement sur les corps. Inversement, les corps extérieurs seront moins matériels : ils seront pénétrés d'intentions et de volonté. Nous chercherons à montrer que c'est là le fait de l'enfant. L'enfant ignore tout de la spécificité de la pensée, et cela même au stade où il se laisse influencer par les propos adultes concernant 1' « esprit », le « cerveau », 1' « intelligence RM35
SCHI (6 ans) prononce spontanément le mot de « MEMOIRE ». « Qu'est-ce que c'est la mémoire ? — C'est qu'on se rappelle quelque chose. — Comment on se rappelle ? — Tout d'un coup ça nous revient dans notre âme. D'abord on nous a dit quelque chose, ça vient dans notre âme, puis ça sort et ça revient. — Ça sort ? Ça va où ? — Dans le ciel. — Tu crois ça toi ? — Oui, je ne sais pas, mais je dis ce que je sais [ce que je crois] ».[RM 41]
Les deux premiers stades sont caractérisés par l'absence de toute conduite spéciale relative aux objets disparus. Ou bien le tableau qui s'éclipse entre aussitôt dans l'oubli , c'est-à-dire dans le néant affectif , ou bien il est regretté, désiré et attendu à nouveau, et la seule conduite utilisée pour le retrouver est la répétition simple des accommodations antérieures.CR17 Cet univers primitif est phénoméniste , et loin de constituer d'emblée un monde de substances. [...] L'objet disparu n'est pas encore pour lui un objet permanent qui se déplace : c'est un simple tableau qui rentre dans le néant sitôt éclipsé , pour en ressortir sans raison objective. CR16 [...] [Quand] l'enfant espère le retour du TABLEAU INTERESSANT (de sa MAMAN, etc.) qu'il lui attribue une sorte de permanence affective ou subjective sans localisation ni substantialisation : le tableau disparu demeure, pour ainsi dire « à disposition », sans qu' il se trouve nulle part au point de vue spatial . Il demeure ce qu'est un ESPRIT OCCULTE POUR LE MAGICIEN: prêt à revenir, si l'on s'y prend bien, mais n'obéissant à aucune loi objective. Or comment l'enfant s'y prend-il pour ramener à lui l'image de ses i désirs ? Simplement en criant au hasard ou en regardant l'endroit où elle s'est éclipsée et où el'e a été vue pour la dernière fois
On voit donc que l'activité intellectuelle débute par la confusion de l'expérience et de la conscience de soi, du fait de l' INDIFFERENTIATION CHAOTIQUE de l'accommodation et de l'assimilation. Autrement dit, la connaissance du monde extérieur débute par une utilisation immédiate des choses tandis que la connaissance de soi est bouchée par ce contact purement pratique et utilitaire. Au fur et à mesure de la différenciation et de la coordination de l'assimilation et de l'accommodation, l'activité expérimentale et accommodatrice pénètre à l'intérieur des choses cependant que l'activité assimilatrice s'enrichit et s'organise.
Il y a donc mise en relations progressive entre les zones de plus en plus profondes et éloignées du réel et les opérations toujours plus intimes de l'activité propre. L'intelligence ne débute ainsi ni par la connaissance du moi ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction, et c'est en S'ORIENTANT SIMULTANEMENT vers les deux pôles de cette interaction qu'elle organise le monde en s'organisant elle-même. Un'image fera comprendre la chose.
Soit l'organisme représenté sous la forme d'un petit cercle inscrit dans un grand cercle, lequel correspond lui-même à l'univers ambiant. La rencontre entre l'organisme et le milieu s'opère au point A et en tous les points analogues A LA FOIS les plus extérieurs à l'organisme et les plus extérieurs au milieu lui-même. [CR311]
Dès que les schèmes deviendront, par contre, susceptibles de décompositions et de recombinaisons intentionnelles, c'est-à-dire d'activité proprement intelligente, la conscience des relations ainsi impliquée par la distinction des moyens et des fins entraînera nécessairement l' élaboration d'un MONDE indépendant du MOI [NI140].
Ce progrès se réalise d’une manière très continue, par un AFFRANCHISSEMENT progressif de la figure ou de l’intuition perceptive. Il suffit, en effet, que la correspondance qualitative se libère tant soit peu de leur forme précise […] L’opération effectuée n’est plus immédiatement absorbée par le résultat intuitif obtenu: elle s’en dégage, c’est-à-dire que l’action devient capable de revenir en arrière. GN119 »
Comparer deux quantités, c’est, en effet, ou mettre en proportion leurs dimensions, ou mettre en correspondance terme à terme leurs éléments. Or, ce dernier procédé apparaît, depuis Cantor , comme constitutif du nombre entier lui-même puisqu’il fournit la mesure la plus simple et la plus directe de l’équivalence des ensembles.
[…] Seulement […] la correspondance ne suffit pas, sous sa ou ses formes originelles à conférer aux collections correspondantes l’équivalence proprement dite, c’est-à dire la même «puissance» ou valeur cardinale , conçue à titre de constante issue de la correspondance comme telle.
On annonce à l'enfant que l'on va jouer au marchand et on lui donne, à cet effet, quelques sous pour acheter soit des fleurs, soit des bonbons, etc. étant convenu que chaque objet coûte un sou.
Voilà tes sous (six). Pour chaque fleur tu donnes un sou. — (Nous échangeons 6 fleurs contre 6 sous, ceux-ci étant alors alignés tandis que les fleurs sont dans sa main.) C'est la même chose de fleurs et de sous ?
Que LID, qui dans les exercices préliminaires fait correspondre correctement 4 sous à 4 boutons soit incapable, une fois l'échange un à un terminé, de postuler l'équivalence des collections échangées, cela est véritablement impressionnant. FUR fait mieux encore : devant 7 sous serrés et 7 fleurs espacées, il compte les fleurs et les sous, constate ainsi l'identité de nombre des deux collections, mais refuse d'admettre leur équivalence : « Non, il y a plus de sous, il y en a un qui dépasse ! »
BA (4,9) ne croit pas l’équivalence nécessaire lorsque l’on altère la disposition de l’une des collections qu’il vient de mettre en correspondance. Il suffit, par exemple, de coucher sur le grand côté [A] un rectangle de 12 jetons qu’il a construit en hauteur [L] pour qu’il ne le croie plus équivalent au modèle (dressé) (96)
Nous allons d'abord chercher comment s'y prend l'enfant pour attirer à lui les objets à travers les barreaux de son parc. Une telle expérience est, en effet, de nature à nous permettre de poursuivre l'examen des rapports entre le schème dynamique et la perception ou représentation visuelle.[NI270]
JACQUELINE, à 1; 3 (12), est assise dans son parc, c'est-à-dire dans une enceinte carrée dont les quatre côtés sont formés de barreaux verticaux reliés en leur base et en leur sommet par une barre horizontale. Les barreaux sont distants de 6 cm. Je place en dehors du parc, et parallèle¬ment au côté devant lequel se trouve Jacqueline, un bâton de 20 em. occupant ainsi la longueur de 3 intervalles environ entre les barreaux. Nous appellerons ces trois intervalles a, b et c, l'intervalle b correspondant donc à la partie médiane du bâton et les intervalles a et c aux parties extrêmes. Le problème est de faire passer ce bâton de l'extérieur à l'Intérieur du parc.
Le bâton est posé à terre parallèlement au côté du cadre en face duquel Jacqueline est assise. Dix essais lui ont suffi pour résoudre le problème :
NIL (5 ans) […] reproduit correctement un cercle de 10 jetons. Ce cercle est copié en respectant la valeur du diamètre. Lorsque l’on demande à Nil si c’est bien la même chose, il désigne du doigt les correspondances terme à terme. On place alors un jeton en regard de chaque élément du cercle-modèle, de manière à construire ainsi un cercle concentrique de plus grand diamètre par correspondance terme à terme:
Mais une fois le grand cercle concentrique achevé, Nil ne croit plus à l’équjvalence.
LUCIENNE (1,3 ans)est au jardin avec sa maman. J'arrive ensuite : elle me voit venir, me sourit, me reconnaît donc manifestement (je suis à 1 m. 50 environ). Sa maman lui demande alors : Où est papa ? : chose curieuse, Lucienne se tourne immédiatement vers la fenêtre de mon bureau, où elle a l'habitude de me voir, et désigne cette direction. — Un instant après, nous refaisons l'expérience : elle vient de me voir à 1 mètre d'elle, et quand sa maman prononce mon nom, Lucienne se tourne à nou¬veau du côté de mon bureau. On voit ici clairement que, si je ne suis pas à deux exemplaires pour elle, je donne du moins lieu à deux conduites distinctes, non synthétisées ni exclusives l'une de l'autre, mais simplement juxtaposées : c'est "papa à sa fenêtre" et "papa au jardin "CR54
Durant ce troisième stade encore, l'objet ne soit pas pour l'enfant ce qu'il est pour nous : un corps substantiel, individualisé et se déplaçant dans l'espace sans dépendre du contexte actif dans lequel ' il est inséré. [...] Il y aurait ainsi non pas une chaîne, une poupée, une montre, un père individualisées, permanents et indépendants de l'activité de l'enfant, mais il n'existerait encore que des tableaux tels que « papa-à-sa-fenêtre » et "papa-au-jardin" etc. [qui] sans être vraiment conçu comme donné à plusieurs exemplaires, il peut se présenter à l'enfant comme prenant un nombre restreint de formes distinctes, de nature intermédiaire entre l'unité et la pluralité et en ce sens il demeure solidaire de son contexte CR57.
Pour que ces choses deviennent réellement des objets, il faudra que l'enfant comprenne le « comment » de l'apparition et de la disparition de ces objets, et qu'il renonce ainsi à croire possible leur réapparition mystérieuse à l'endroit qu'ils ont quitté et où l'action propre les a retrouvés. En bref, il faudra qu'au phénoménisme de la perception immédiate et au dynamisme de l'efficace pratique succède un rationalisme proprement géométrique CR60
.AU TERME DE L'EVOLUTION , au contraire, toute action implique une organisation mobile à dissociations et regroupements indéfinis , le sujet pouvant ainsi s'assigner à lui-même des buts toujours plus indépendants de la suggestion du milieu immédiat. Comment s'opère un tel renversement ? Grâce à la complication progressive des schèmes: en renouvelant sans cesse ses actes par assimilation reproductrice et généralisatrice, l'enfant dépasse le simple exercice réflexe pour découvrir la réaction circulaire et constituer ainsi ses premières habitudes. Un tel processus est évidemment susceptible d'extension illimitée. Après l'avoir appliqué à son propre corps , le sujet l'utilisera tôt ou tard pour s'adapter aux phénomènes imprévus du monde extérieur, d'où les conduites d'exploration, d'expérimentation, etc. D'où, ensuite, la possibilité de décomposer et de recomposer les mêmes schèmes : au fur et à mesure que les schèmes s'appliquent à des situations extérieures plus variées le sujet est conduit, en effet, à en dissocier les éléments et à les considérer comme moyens ou comme fins, en les regroupant du même coup entre eux de toutes manières. C'est CETTE DISTINCTION des moyens et des fins qui LIBERE L'INTENTIONNALITE et renverse ainsi la direction de l'acte : au lieu d'être tournée vers le passé, c'est-à-dire vers la répétition, l'action s'oriente vers les combinaisons nouvelles et l'invention proprement dite. NI137-138
POUR DEVENIR MENTAUX, les schèmes sensori-moteurs doivent être suscéptibles de se combiner entre eux de toutes manières, c'est à dire précisément de pouvoir donner lieu à des inventions vraies NI 296
Si l’axiomatisation s’appuie sur certains procédés d’abstraction réfléchissante, elle y ajoute une liberté de manoeuvre toujours plus grande […] En synthèse, du point de vue génétique la FORMALISATION constitue un prolongement des abstractions réfléchissantes qui sont déjà à l’oeuvre dans le développement de la pensée ; celle-ci, grâce aux spécialisations et aux généralisations dont elle s’empare, acquiert >une liberté et une fécondité combinatoire qui dépasse largement et de tous les côtés les limites de la pensée naturelle, selon un processus analogue à celui grâce auquel les POSSIBLES arrivent à ILLUMINER le réel . (Piaget, 1993 p.76 Ma trad.) [cf.Poincaré et Galileo]
Tandis que les transformations réversibles idéalement supposées par la thermodynamique ne conservent l’équilibre qu’au travers de mouvements infiniment lents, c'est-à-dire pratiquement par une absence de changements, les transformations réversibles d’ordre intellectuel se présentent , au contraire, d’une façon INSTANTANEE et SIMULTANEE (comme si leur vitesse atteignait la vitesse de la lumière une fois ANNULE LE TEMPS . Pour nous servir d’une image commune, l’équilibre du regroupement serait de la sorte comparable à celui d’une balance dont les poids égaux seraient représentés par les deux membres d’une équation logique; chaque fois qu’un poids est ajouté ou enlevé d’un coté, la même chose se produit de l’autre côté [...] Le moment est donc venu de METTRE FIN AUX ANALOGIES trop faciles avec le champ de la physique, car si l'équilibre mental correspond aux transformations réversibles, et si les régulations correspondent aux déplacements de l'équilibre, lorsque le transformations irreversibles se produisent dans le champ des forces présentes, ces tranformations réversibles sont sans aucun doute irréalisables " (Piaget, 1979 p. 99, ma traduction)
Il existe vraiment un noyau fonctionnel de l'organisation intellectuelle qui procède de l'organisation biologique dans ce qu'elle a de plus général, il est évident que cet invariant ORIENTERA l'ensemble des structures successives que la RAISON va élaborer dans son contact avec le réel : il jouera ainsi le rôle que les philosophes ont attribué à l'a priori, c'est-à-dire qu'il IMPOSERA aux structures certaines conditions nécessaires et irréductibles d'existence.
On peut poser, en vertu de tout ce que nous avons vu jusqu'à présent de l'assimilation, que chaque schème assimilateur TEND A CONQUERIR tout l'univers y compris les domaines assimilables au moyen des autres schèmes. Seule les résistances du milieu ou les incompatibilités dues aux conditions de l'activité du sujet mettent un frein à cette GENERALISATION.NI80
LE GRAND ENSEIGNEMENT des conduites du présent stade est, en effet, que la coordination des schèmes est corrélative à leur différenciation , autrement dit que l'organisation s'opère par regroupements et dissociations complémentaires. Repousser l'obstacle pour atteindre l'objectif suppose ainsi une coordination entre le schème de frapper et celui de saisir, mais une coordination telle que du schème de frapper soit EXTRAIT celui de « repousser» qui lui était immanent . Or une telle corrélation entre la coordination externe et la différenciation interne révèle un caractère fondamental de l'organisation. C'est que chaque schème, en tant que totalité, est GROS d'une série de schèmes virtuellement contenus en lui, toute totalité organisée étant ainsi, non pas composée de totalités d'échelle inférieure, mais SOURCE POSSIBLE de telles formations. Ces TOTALITES VITUELLES ne sont pas emboîtées et préformées dans la totalité d'ensemble, mais en résultent dans la mesure précisément où les totalités d'ensemble se coordonnent entre elles et se différencient par le fait même.
Une totalité organisée ne constitue donc jamais qu'une unité relative à l'échelle considérée. Soit dit en passant, c'est ce qui explique pourquoi l'assimilation ou l'organisation psychologiques sont de même nature que l'assimilation ou l'organisation physiologiques, leur échelle seule les opposant à ces dernières : tout acte d'assimilation intellectuelle suppose ainsi une série d'assimilations d'échelle inférieure se prolongeant jusque sur le plan de l' ASSIMILATION PROPREMENT VITALE . [...] Le FAIT ULTIME dans l'analyse de l'intelligence n'est donc pas l'affirmation statique de l'identité , mais le processus par lequel l'ESPRIT distingue deux termes en les mettant en relation et constitue cette relation en les rendant solidaires. La réciprocité est donc une IDENTITE DYNAMIQUE dont l'acte de coordination va de pair avec celui de différenciation. NI215-216
Seulement on a eu parfois le tort de regarder l'a priori comme consistant STRUCTURES TOUTES FAITES ET DONNEES toutes faites et données dès le début du développement, tandis que si l'invariant fonctionnel de la pensée est à l'œuvre dès les stades les plus primitifs, ce n'est que peu à peu qu'il s'impose à la conscience grâce à l'élaboration de structures toujours plus adaptées au fonctionnement lui-même. Dès lors l'a priori ne SE PRESENTE sous forme de structures nécessaires qu'au terme de l'évolution des notions et non pas à leur début. Tout en étant héréditaire, l'A PRIORI est donc aux antipodes de ce qu'on appelait jadis les «IDEES INNEES [NI9]».
C'est en cédant à un réalisme inutile à la psychologie que l'on déduit du fait de l'organisation psychologique l' hypothèse d'une force spéciale d'organisation , ou que l'on projette dans l'activité assimilatrice la structure d'une intelligence implicite . Le réalisme pseudo-psychologique dont on est ainsi victime provient simplement de la double illusion du sens commun philosophique selon laquelle nous pouvons saisir en nous-mêmes notre propre activité intellectuelle à titre de donnée de l'expérience interne (d'où les idées de « raison » synthétique, d'énergie spirituelle, etc.,qui prolongent le « Geist » ou l'« âme » elle-même) et selon laquelle cette activité donnée est structuralement préformée dès les stades les plus primitifs (d'où les idées de force vitale, de raison a priori, etc.). [...]
Ni l'assimilation ni l'accommodation ne sont des forces qui se présentent telles quelles à la conscience et qui fournissent à titre de données immédiates l'expérience d'un « MOI » et celle d'un monde extérieur.
La catégorie de relation (réciprocité) est aussi fondamentale pour l'esprit humain que celle de totalité. Si le but de cet ouvrage ne nous interdisait pas des digressions dans le domaine de la psychologie de l'intelligence en général, ce serait le moment de montrer que LA SOI-DISANT IDENTIFICATION dans laquelle une célèbre philosophie des sciences voit le processus caractéristique du « cheminement de la pensée » ne se donne jamais pour but la constitution de relations d'identité mais celle de systèmes de relations réciproques . Le fait ultime, dans l'analyse de l'intelligence n'est donc pas l' AFFIRMATION STATIQUE DE L'IDENTITE mais le processus par lequel l'esprit distingue deux termes en les mettant en relation et constitue cette relation en les rendant solidaires. La réciprocité est donc une identité dynamique, dont l'acte de coordination va de pair avec celui de différenciation.Or, ainsi conçue, la réciprocité est le rapport fondamental que l'on retrouve à l'intérieur de chaque totalité [NI216].
Ainsi se trouve écartée, du point de vue logique, la difficulté inhérente à la notion d'IDENTIFICATION : rien ne distingue formellement, en effet, la fausse identification de la vraie, et la preuve expérimentale nécessaire à cette distinction demeure donc, ou bien étrangère au mécanisme de la raison, ou bien solidaire d'identifications intérieures dont on ne voit pas comment démontrer leur validité. Au contraire, un système de relations réciproques tient sa garantie à la fois de sa structure interne et des données de fait qu'il a réussi à coordonner : sa constitution est un gage de sa valeur, puisqu'elle comporte en elle-même un élément de vérification.[NI217note]
Le problème qui se pose est donc de savoir comment ces schèmes vont se coordonner entre eux pour donner naissance à l'invention : est-ce par une structuration indépendante de leur genèse ou grâce à l'activité même qui les a engendrés et qui se poursuit maintenant sans plus dépendre des circonstances extérieures dans lesquelles elle a débuté ? Autant se demander si les idées s'organisent d'elles-mêmes , au cours d'une invention théorique, ou si elles s'organisent en fonction des jugements implicites et de l'activité intelligente potentielle qu'elles représentent . Pour nous, il n'y a pas de doute que la seconde de ces deux thèses est, dans les deux cas (dans l'intelligence sensori-motrice comme dans la pensée réfléchie), de beaucoup la plus satisfaisante pour l'esprit, la première ne consistant qu'en une manière de parler qui voile le dynamisme des faits sous un langage statique [NI301].
Cette assimilation n'est pas encore une identification : la main visuelle n'est pas encore la main tactilo-motrice. Mais l'identification substantielle résultera de l'assimilation comme le point géométrique de l'interférence des lignes : l'entrecroisement des activités assimilatrices définira l'objet, au fur et à mesure que ces activités s'appliquant au monde extérieur constitueront la causalité. [NI100]
L'intelligence, nous dit-on, tend à se conformer à l'objet et à le posséder grâce à une sorte d'identification mentale : elle « devient l'objet » en pensée. Le vitalisme rejoint ainsi toujours l'empirisme, [...] Mais ce réalisme épistémique se heurte, nous semble-t-il, au fait fondamental sur lequel nous avons insisté sans cesse au cours de nos analyses : c'est que l'adaptation — intellectuelle et biologique, donc aussi bien celle de l'intelligence aux « choses » que celle de l'organisme à son « milieu » — consiste toujours en un équilibre entre l'accommodation et l'assimilation. Autrement dit, la connaissance ne saurait être une copie, puisqu'elle est toujours une mise en relation [NI327].
Dira-t-on, dès lors, que l'organisation assimilatrice ne présente par elle-même aucune fécondité et se borne à un travail d'identification , la nouveauté résultant toujours de la réalité extérieure assimilée ? Mais précisément l'interaction du sujet et de l'objet est telle, étant donnée l'interdépendance de l'assimilation et de l'accommodation, qu'il est impossible de concevoir l'an des termes sans l'autre. Autrement dit, l'intelligence est construction de relations et non pas seulement identification : l'élaboration des schèmes implique autant une logique de relations qu'une logique de classes. Par conséquent, l'organisation intellectuelle est en elle-même féconde, puisque les relations s'engendrent les unes les autres , et cette fécondité fait corps avec la richesse du réel, puisque les relations ne se conçoivent pas indépendamment des termes qu'ils relient, pas plus que l'inverse.[NI366]
Incorporation
Or, par le fait même de cette tendance à la conservation, une telle activité incorpore à elle toute réalité susceptible de l'entretenir. [NI100]
"Lorsqu'ils sont prononcés par eux mêmes, les verbes sont des noms , et signifient une chose déterminée en effet le locuteur arrête sa pensée et l'auditeur se calme - mais ils ne signifient pas encore si cette chose est vraie ou non [Aristote, De l'Expression §3]. Platon Poincaré
[1] Obs. 1. — Dès la naissance on observe une esquisse de succion à vide : mouvements impulsifs des lèvres s'accompagnant de leur protrusion et de déplacements de la langue, pendant que les bras se livrent à des gestes désordonnés plus ou moins rythmiques, que la tête remue latéralement, etc.[...] Durant la seconde journée, également, Laurent recommence à esquisser une succion à vide entre les repas en répétant ainsi ses mouvements impulsifs du premier jour: les lèvres s'entrouvrent et se referment comme pour une tétée véritable, mais sans objet . Le même jour, on observe chez Laurent le début d'une sorte de recherche réflexe, qui se développera les jours suivants et qui constitue sans doute l'équivalent fonctionnel des tâtonnements caractéristiques des stades ultérieurs (acquisitions des habitudes et intelligence empirique) [NI28].[...]
Laurent a très faim et cherche à téter, la bouche ouverte, avec des rotations continuelles de la tête. Ses bras décrivent des grands mouvements rapides et viennent sans cesse heurter son visage. A deux reprises, sa main étant appliquée un instant contre la joue droite, Laurent tourne la tête et tend à saisir ses doigts avec sa bouche. Il échoue la première fois et réussit la seconde. Mais les mouvements du bras ne sont pas coordonnés par rapport à ceux de la tête : la main s'échappe tandis que la bouche essaie de maintenir le contact. Dans la suite, cependant, il attrape son pouce : le corps entier s'immobilise alors aussitôt, la main droite saisit par hasard le bras gauche et la main gauche s'applique contre la bouche NI52
Or ces attitudes ne sont pas entièrement passives et impliquent tôt ou tard un ACQUIESCEMENT DU CORPS TOUT ENTIER: les membres s'immobilisent, les mains se serrent , etc., dès que le nourrisson adopte la position caractéristique de la tétée. Dès lors le simple rappel de ces attitudes déclenche le cycle total de l'acte de la succion, parce que les sensations kinesthésiques et la sensibilité posturale ainsi déclenchées sont immédiatement assimilées au schème de cet acte [NI56]
Le CALME PROGRESSIF, qui succède à la tempête des cris et des pleurs, dès que l'enfant est en position de manger et qu'il cherche le mamelon, montre assez que, si conscience il y a, cette conscience est d'emblée CONSCIENCE DE SIGNIFICATION [NI40]
[...] Mais, si l'assimilation simplement fonctionnelle et généralisatrice peut s'observer grâce au seul comportement de l'enfant, comment contrôler ce que nous venons de dire de l'assimilation récognitive ? Dès que le nourrisson devient capable de SOURIRE l'analyse de la récognition devient possible sans trop grand risque d'erreurs [...] Ce n'est que très progressivement que les personnes monopolisent le sourire, en tant que constituant précisément les objets familiers les plus propres à ce genre de réapparitions et de répétitions. Mais au début n'importe quelle chose peut donner lieu à la récognition émotive qui provoque le sourire [NI69/70]
Au début le nourrisson se borne, soit à suivre des yeux les objets que l'on déplace lentement à 20-30 cm. de sa figure , soit à regarder fixement devant lui . Puis (obs. 32) il se met à diriger lui-même son regard sur certains objets : c'est à partir de ce moment qu'il devient possible d'évaluer dans les grandes lignes les intérêts visuels spontanés de l'enfant. On s'aperçoit alors que le sujet ne regarde NI LE TROP CONNU, parce qu'il en est en quelque sorte saturé, NI LE TROP NOUVEAU , parce que cela ne répond à rien dans ses schèmes (par ex. les objets trop éloignés pour qu'il y ait encore accommodation, trop petits ou trop grands pour être analysés, etc.). Bref, le regard en général et les différents types d'accommodation visuels en parti¬culier s'exercent progressivement à propos de situations toujours plus diverses. C'est en ce sens que l'assimilation des objets à l'activité de la vision est «généralisatrice» [NI66].
C'est précisément cette incorporation de mouvements et d'éléments sensoriels dans les schèmes déjà constitués que l'on appelle en langage associationniste le réflexe con-ditionné ou le transfert associatif. Seulement cette accommodation est inséparable de l'assimilation, et c'est en quoi elle est beaucoup plus qu'une association: elle est une insertion d'éléments sensorimoteurs nouveaux dans une totalité déjà organisée , laquelle totalité constitue précisément le schème d'assimilation. Ainsi, en suçant sa langue ou ses doigts, l'enfant incorpore les sensations nouvelles qu'il éprouve à celles de la succion anté rieure (succion du sein, etc.) — en cela il y a assimilation — et, en même temps, il insère les mouvements de protrusion de la langue ou d'adduction du pouce dans la totalité déjà organisée des mouvements de succion — et c'est ce qui constitue l'accom¬modation. C'est cette extension progressive du schème total, lequel s'enrichit tout en demeurant organisé, qui constitue l'accommodation. Il n'y a donc pas là « association », mais différenciation progressive. Ainsi lorsque l'enfant cherche le sein une fois en position de téter, on ne peut pas dire simplement que les attitudes propres à cette position sont dorénavant associées à la succion : il faut dire que le schème global des mouvements de succion a incorporé à lui ces attitudes et qu'elles forment dès cet instant un tout avec le schème lui-même. En bref, le trans¬fert associatif n'est qu'un moment artificiellement découpé dans l'acte d'accommodation, lequel procède par différenciation d'un schème antérieur, et par incorporation d'éléments nouveaux à ce schème et non pas par association; bien plus, cette accommo¬dation est inséparable de l'assimilation, puisqu'elle suppose un schème total et que ce schème ne fonctionne qu'en s'assimilant de nouvelles réalités. Cette assimilation est seule à pouvoir expliquer la satisfaction à laquelle conduit l'acte et qui détermine les soi_disant « transferts associatifs ». NI122
Mais si la représentation constitue donc une acquisition essentielle, caractéristique de ce stade, il ne faudrait cependant pas en exagérer la portée. La représentation est assurément nécessaire à l'invention, mais il serait erroné de la considérer comme seule cause. Bien plus, on peut soutenir, avec au moins autant de vraisemblance, que la représentation résulte de l'invention : le processus dynamique propre à cette dernière précède, en effet, l'organisation des images , puisque l'invention naît d'un fonctionnement spontané des schèmes d'assimilation. La vérité semble ainsi qu'entre l'invention et la représentation il y a interaction, et non pas filiation simple. Quelle peut être la nature de cette interaction ?
Les choses se clarifient dès que,avec la théorie des signeson fait de l'IMAGERIE VISUELLE , propre à la représentation, un simple symbolisme servant de «signifiant» , et du PROCES DYNAMIQUE propre à l'invention la signification elle-même, autrement dit le «signifié» .
La REPRESENTATION servirait ainsi de SYMBOLE à l'ACTIVITE INVENTIVE , ce qui n'enlève rien à son utilité, puisque le symbole est nécessaire à la déduction , mais ce qui la décharge du rôle trop lourd qu'on lui fait jouer parfois d'être le moteur de l'invention elle-même.
Au contraire, l'invention par combinaison mentale implique cette représentation. Mettre d'avance une chaîne en boule pour l'introduire dans un orifice étroit (lorsque le sujet n'a jamais eu l'occasion de rien mettre en boule dans de telles circonstances), combiner d'avance les positions d'un bâton avant de le passer à travers les barreaux (lorsque l'expérience est nouvelle pour l'enfant), agrandir d'avance une fente pour en retirer un objet caché (lorsque l'en¬fant est aux prises pour la première fois avec un tel problème), cela suppose que le sujet se représente les données offertes à sa vision autrement qu'il ne les perçoit directement : il corrige en esprit la chose qu'il regarde, c'est-à-dire qu'il évoque des posi¬tions, des déplacements ou peut-être même des objets, sans les contempler actuellement dans son champ visuel. NI306
L’horizon de la recherche est dès le début celui de l’action actuelle et efficace d’un système de schèmes ouverts à un nombre illimité de possibilités combinatoires. Or si ceci est le terme de l’évolution des notions, quel est le témoignage de sa présence ? De quelle façon la présence d’un espace d’illimitées possibilités peut-elle être témoignée par le comportement d’une personne comme schème immanent à son déploiement effectif ? Un enfant qui à la suite d’un tâtonnement empirico/mental se dirige sur un bâton pour l’utiliser afin d’atteindre un certain objet, témoigne avec ce comportement de se trouver dans une phase de son développement sensori-moteur (la quatrième) pendant laquelle il sait coordonner entre eux ses schèmes d’assimilation en les subordonnant les uns aux autres en vue d’un certain but etc. La question que je pose est donc : quel est le comportement qui rend évident la présence, immanente à son déroulement, de la représentation d’un espace d’infinies possibilités combinatoires ? Ce « comportement » ne peut être en réalité qu’une suite de représentations explicites qui énoncent grâce à des symboles ce même espace d’infinies possibilités. A savoir un comportement dans lequel l’action s’est intégralement transformée en une représentation purement symbolique. La « raison » en son illimité activité déductive et organisatrice n’ d’autre moyen pour ce manifester comme actif et opérant schème d’assimilation que la parfaite auto-transparence représentationnelle d’’une construction axiomatique et symbolique qui dit (énonce) l’espace, au sein de laquelle contempler et faire coïncident dans l’activité déductive de la science mathématique. Si l’adaptation intellectuelle déborde infiniment l’adaptation biologique, en tout cela la raison/intelligence ne peut que témoigner à soi-même de soi- même, sur un plan purement représentationnel.
Les comportements nouveaux dont l'apparition définit chaque stade, se présentent toujours comme développant ceux des stades précédents. Mais deux interprétations peuvent être données de ce même fait.
Si, à un moment donné les schèmes se réorganisent d'eux-mêmes jusqu'à faire surgir des inventions par combinaison mentale, c'est simplement que l'activité assimilatrice, exercée par de longs mois d'application aux données concrètes de la perception, finit par fonctionner d'elle-même en n'utilisant plus que des SYMBOLES REPRESENTATIFS Cela ne signifie nullement, répétons-le, que cette EPURATION soit une simple intériorisation d'expériences antérieures : c'est sur ce point que la « Gestaltpsychologie » a insisté avec bonheur en montrant que la réorganisation propre à l'invention crée bien du nouveau. Mais cela signifie que la réorganisation ne se fait pas d'elle-même, comme si les schèmes étaient doués d'une structure propre, indépendamment de l'activité assimilatrice qui leur a donné naissance : la réorganisation qui caractérise l'invention prolonge simplement cette activité. C'est ainsi que, dans les faits observés sur nos enfants (obs. 177 à 182) et sans doute chaque fois que l'on connaît dans LE DETAIL DE L'HISTOIRE DES SUJETS examinés, il est possible de retrouver quels schèmes anciens sont intervenus au cours de l'invention l'INVENTION N'EN DEMEURE PAS MOINS CRATRICE c'est entendu, mais elle suppose aussi un PROCESSUS GENETIQUE dont le fonctionnement lui est bien antérieur.
L'hypothèse de l'assimilation cherche à dépasser la théorie des formes et non pas à la contredire, et comment le « schème » est une GESTALT RENDUE DYNAMIQUE et non pas une notion destinée à réagir contre les progrès du mouvement gestaltiste. Pour reprendre, en effet, notre comparaison entre la théorie de la forme et l'apriorisme épistémologique, la « Gestalt » présente les mêmes avantages sur l'association que jadis l'apriorisme kantien sur l'empirisme classique, mais pour aboutir à des difficultés parallèles : ayant vaincu le réalisme statique à l'extérieur, l'apriorisme le retrouve à l'intérieur de l'esprit et risque, au bout du compte, de finir en un empirisme retourné.[NI331]
Les réponses qui caractérisent ce troisième stade affirment d’emblée, ou presque d’emblée, la conservation des quantités de liquide. […] A un certain niveau du développement la conservation semble donc être due à une déduction a priori et analytique , qui rend inutile l’observation des RELATIONS ainsi que l’ EXPERIENCE elle même. (GN34)
Or, au moment où l’enfant découvre cette invariance, il l’affirme comme une chose si simple et si évidente qu’elle parait indépendante de toute multiplication des relations et de toute partition. […]
Il y aurait ainsi conservation par simple IDENTIFICATION LOGIQUE sans intervention d’aucune MATHEMATIQUE . A une telle simplification du processus génétique on sera toujours en droit d’opposer, nous semble-t-il, la question suivante qui resterait alors sans solution: pourquoi faut-il que l’enfant parvienne au troisième stade pour découvrir cette identification? [37/8] …c’est une question de JUGEMENT ET NON POINT DE PERCEPTION que nous cherchons à résoudre.
Notre problème n’est pas de découvrir pourquoi cette perception est trompeuse, mais POURQUOI LES SUJETS D'UN CERTAIN NIVEAU [comme Sim] SE FIENT A ELLE SANS PLUS TANDIS QUE D'AUTRES LA CORRIGENT ET LA COMPLETENT PAR L'INTELLIGENCE.
«Le besoin de conservation constitue donc une sorte d’a priori fonctionnel […] qui s’impose nécessairement. GN17 [..;] Durant un second stade, qui constitue une période de transition et d’élaboration, la conservation s’impose progressivement » GN18 [...] « D’abord il y a conflit véritable, c’est-à-dire que les facteurs de conservation ne se soumettent pas sans plus aux facteurs d’altération mais qu’ on assiste à une lutte dont les péripéties sont de plus en plus instructives » GN48.
Piaget - Tu dois prendre autant de sirop ici (L) qu’il y en a là (A). — (II verse la même hauteur.) Piaget - C’est la même chose à boire? — Edi [6] OUI. Piaget - Tout à fait? Edi - NON. Piaget - Pourquoi pas? — Edi Ça (A) c’est un plus gros verre. Piaget - Qu’est-ce qu’il faut faire pour avoir la même chose? — Edi : Rajouter (il remplit L). Piaget - C’est juste? — Edi : NON — Piaget : Qui en a plus? — Edi : Moi (il enlève le surplus). … Non, c’est la maman qui a plus (A). — (Il rajoute, enlève à nouveau, etc., sans parvenir à se satisfaire.)
SALVIATI - Je vous demande si l’élan de la bille qui descend le long du plan CA, quand elle rejoint le terme A, peut être égal à l’élan que l’autre bille a acquis au point B, après être descendue par la verticale CB - SAGREDO : Je le crois sans hésiter : toutes deux se sont rapprochées également du centre et leurs élans suffiraient aussi à les ramener à la même hauteur. […] SALVIATI - Mais sur le plan incliné CA, elle descendrait, plus lentement cependant que par la verticale CB. SAGREDO - J’allais vous dire « OUI » sans hésiter car le mouvement par la verticale CB me paraît forcément plus rapide que le long du plan incliné CA. Mais alors, comment la bille qui tombe le long du plan incliné pourrait-elle, une fois arrivée au point A, avoir autant d’élan, c'est-à-dire exactement le même degré de vitesse que possède au point B la bille tombant par la verticale ? Ces deux propositions me semblent contradictoires . FIG 2 (DIALOGUEp.118)
Les opérations logiques et arithmétiques nous sont donc apparues comme UN SEUL SYSTEME TOTAL et [7] psychologiquement naturel, les secondes résultant de la généralisation et de la fusion des premières, sous leurs deux aspects complémentaires de l’inclusion des classes et de la sériation des relations, mais avec élimination de la qualité.
[1907] A l'âge de dix ou onze ans, aussitôt après être entré au « collège latin », je décidai d'être plus sérieux. Ayant aperçu un moineau partiellement albinos dans un parc public, j'envoyai un article d'une page, à un journal d'histoire naturelle de Neuchâtel. Mon article fut publié, et j'étais « lancé »
[1912-1917] - Cependant, au lieu de poursuivre tranquillement la carrière de naturaliste qui me paraissait si normale et si simple après ces heureuses expériences, je subis entre quinze et vingt ans une série de crises dues à la fois aux conditions familiales et à la curiosité intellectuelle caractéristique de cet âge si productif. Mais je le répète, je ne pus dominer ces crises que grâce aux habitudes mentales que j'avais acquises au cours de mes contacts initiaux avec la zoologie.
En relisant maintenant ces divers écrits qui marquent la crise et la fin de mon adolescence - et que j'avais entièrement oubliés jusqu'à l'instant de les rouvrir pour cette autobiographie - j'y trouve avec surprise deux idées qui me sont encore chères et qui n'ont cessé de me guider dans mes entreprises les plus diverses. […]
[...]Il y avait it le problème de la RELIGION.A cette époque, j'eus la bonne fortune de trouver dans la bibliothèque de mon père La philosophie de la religion fondée sur la psychologie et l'histoire d' AUGUSTE SABATIER . Je dévorai ce livre avec un immense plaisir. Les dogmes réduits à la fonction de « symboles » nécessairement inadéquats, et par-dessus tout la notion d'une évolution des dogmes - voilà un langage qui m'était beaucoup plus compréhensible et satisfaisant pour l'esprit.
Ainsi une nouvelle passion s'empara de moi : la PHILOSOPHIE. Il s'en suivit une seconde crise. Mon parrain, Samuel Cornut, un homme de lettre romand, m'invita, environ à cette époque, à passer mes vacances avec lui au lac d'Annecy. Il me parlait de L'évolution créatrice de BERGSON. Ce fut la première fois que j'entendis parler de philosophie par quelqu'un d'autre qu'un théologien ; le choc fut immense, je dois l'admettre. [p.5] Premièrement ce fut un choc émotif ; je me souviens d'un soir de révélation profonde : l'identification de Dieu avec la Vie même était une idée qui me remua presque jusqu'à l'extase parce qu'elle me permettait dès lors de voir dans la biologie l'explication de toutes choses et de l'esprit lui-même. En second lieu, ce fut un choc intellectuel. Le problème de la connaissance (à proprement parler, le problème épistémologique) m'apparut soudain dans une perspective entièrement nouvelle et comme un sujet d'étude fascinant. Cela me fit prendre la décision de consacrer ma vie à l'explication biologique de la connaissance.
[1917] Je me suis mis à écrire mes propres idées dans de nombreux cahiers. Bientôt ces efforts affectèrent ma santé. Je dus passer un an à la montagne, remplissant mes loisirs forcés en écrivant une sorte de roman philosophique intitulé RECHERCHE que je fus assez imprudent pour publier en 1917
Désormais j'étais CONVAINCU D'AVOIR TROUVE LA SOLUTION. Enfin émergeait l'union étroite dont j'avais rêvé, entre la philosophie et la biologie, et la possibilité d'une épistémologie qui me parut alors réellement scientifique ! Le problème général du réalisme et du nominalisme me fournissait une VUE D'ENSEMBLE : JE COMPRIS SOUDAIN qu'à tous les niveaux (celui de la cellule, de l'organisme, de l'espèce, des concepts, des principes logiques, etc.) on retrouve le même problème des relations entre la partie et le tout. Ainsi je commençai à écrire mon système (on se demandera où je trouvai le temps nécessaire, mais je le prenais chaque fois que je le pouvais, en particulier pendant les leçons ennuyeuses !). Ma solution était très simple : dans tous les domaines de la vie (organique, mentale, sociale) il existe des « totalités » qualitativement distinctes de leurs parties et qui leur imposent une organisation. Par conséquent il n'existe pas d' « éléments » isolés. La réalité élémentaire dépend nécessairement d'un tout qui l'informe. Mais les relations entre le tout et la [p.7] partie varient d'une structure à l'autre car il faut distinguer quatre actions toujours présentes :
Ces quatre actions s'équilibrent dans une structure totale, mais il y a alors trois possibilités d'équilibre
:Il était déjà clair pour moi que l'état d'équilibre du tout et de la partie (la troisième forme) correspondait à des états de conscience de nature normative : nécessité logique ou obligation morale par opposition aux formes inférieures d'équilibre qui caractérisent les états de conscience non-normatifs tels que la perception etc., ou les événements organismiques. Bien que mon intérêt pour les cours de zoologie (Fuhrmann), d'embryologie (Béraneck), de géologie (Argand), de chimie physique (Berthoud) et de mathématiques (la théorie des groupes me semblait particulièrement importante en ce qui concerne le problème de la totalité et des parties) n'eut pas diminué, je désirais vivement me rendre dans une université plus grande, dotée d'un laboratoire de psychologie où je pouvais espérer réaliser les expériences destinées à vérifier mon « système ».[…] Néanmoins durant l'année que je passai à la montagne je fus hanté par le désir de créer et je cédai à la tentation.
Cependant afin de ne pas me compromettre dans le domaine scientifique je tournai la difficulté en écrivant - pour le grand public, et non pour les spécialistes - une sorte de roman philosophique dont la dernière partie contenait mes idées (1917). Ma stratégie s'avéra efficace : personne n'en parla sinon un ou deux philosophes indignés.1 Voici quelques citations de cet ouvrage intitulé Recherche (1917)....