Conférence tenue le 26/02/2011 à la Mairie de St.Thomé
à la suite de mon intervention dans les classes de CP, CM1 et CM2 de l'école Le Village
<0>[Chapitre 1. Un abécédaire du cerveau] "Kafka" - Franz Kafka, dans « Le Château », en décrivant les vains efforts du protagoniste pour atteindre ses objectifs nous dit tout le désespoir que peut ressentir l’individu face à une machine bureaucratique sourde et aveugle. Les résistances à la prise en compte des nouvelles découvertes dans la réflexion sur les politiques et les pratiques éducatives ne manquent pas, et sont de nature à décourager les meilleures volontés. […] Les obstacles qui se dressent devant tout effort transdisciplinaire visant à l’émergence d’un nouveau champ, ou visant plus modestement à jeter une lumière nouvelle sur les questions éducatives, ne manquent pas. [...] De telles difficultés ne doivent cependant pas faire baisser les bras. Et comme le disait Lao-Zi : « le chemin, c’est le but »… [OCDE - Comprendre le cerveau, naissance d'une nouvelle science de l'apprentissage, OCDE (CERI) 2007]
PRESENTATION – Mesdames et Messieurs, je vous remercie de tout mon cœur pour l’honneur que vous me faites avec votre présence. Et je remercie encore – et il sait bien avec quelle chaleur – Monsieur Chef D’Hotel, depuis longtemps si bienveillant envers non seulement mes paroles et mes théories, mais premièrement envers la mission que j’ai choisie dans ma vie, qui est ni plus ni moins que celle du philosophe et donc du pédagogue et de l’éducateur. Je m’excuse d’avance pour avoir décidé de donner à mon discours le ton d’un témoignage à la première personne. Je l’ai fait certes non pas car je considère ma biographie intéressante en soi, mais parce que je suis persuadé que mon parcours professionnel et humain est un fruit tout à fait cohérent de nos temps.
Je me présente: je suis Eduardo Caianiello, en France je suis docteur en Philosophie de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) de Paris, où en 1999 j’ai obtenu un DEA en Histoire et Civilisation, à la suite de ma laurea [maîtrise] italienne en Philosophie et Histoire des sciences. Même si j’ai plusieurs fois travaillé dans des lycées/collèges français, ce qu’il faut encore savoir de moi comme enseignant est qu’en 2003 j’ai créé en Italie un centre de pédagogie et de recherche – Eironeia, Ecole de philosophie – qui a été tout d’abord financé et ensuite patronné et récompensé par les institutions italiennes comme « entreprise sociale » ayant comme mission l’aide au « catégories faibles » du point de vu de la scolarisation et de l’apprentissage en général. Je commencerai par justifier le nom que j’ai donné à mon centre. « Eironeia » n’est autre que l’ironie de Socrate, et je l’interprète en un mot comme la capacité de poser une question en sachant attendre – patient, confiant, souriant… – le temps de la réponse, si jamais il y en a une. Un temps autant précieux que – à l’âge actuel – oublié et perdu, et qui est pourtant la sève même de l’Ecole en sa nature originaire. D’autre part, « école » vient de skolé = otium = ne rien faire… qui ne soit attendre le temps qu’une nouvelle connaissance pousse et mûrisse devant notre esprit. – Quant à «…de philosophie », et bien de cela je vais en rendre compte dans tout ce qui suit.
Tout d’abord je situe mon action dans le cadre de notre époque (21ème siècle) et de notre civilisation (pays riches et puissants de l’Occident). L’existence de mon centre fait de moi ce qu’on appelle à présent un « éducateur non formel », tandis que le périmètre historique où se déroule mon action est éminemment international et n’existe en réalité, avec une pleine distinction, que depuis une dizaine d’années. Ce n’est qu’en 2000, en effet, que des institutions comme l’ONU/UNESCO, l’OCDE, de l’UE... ont simultanément propulsé une séries de programmes d’envergure planétaire, censés faire face à la crise pédagogique que les « éducations nationales » sont en train de vivre dans la totalité de notre monde. Une constellation de concepts fondamentaux a alors été créée pour orienter les acteurs d’une telle si profonde transformation, en en nourrissant à la fois l’action et la réflexion. Je parle ici des notions de « Société – ou Economie – du Savoir » [UE] ; « Education pour tous » [programme « EFA » de l’ONU/UNESCO] ; « compétence clé » [OCDE] « apprentissage tout au long de la vie », « litéracie / numéracie »… qui sont maintenant la voix la plus reconnaissable d’une communauté mondiale bien plus jeune et fragile que les nations qui la composent, mais qui s’est enfin bravement mise en marche pour être reconnue et légitimée à leur intérieur. Tout cela a créé une vraie « frontière » interne à l’enclos de l’UE/OCDE, sur laquelle s’affrontent les forces unificatrices du renouvellement et celles, typiquement liées aux réalités locales, de la conservation. Très souvent donc l’opérateur intra-européen et non formel que je suis se donne du courage en se pensant soit comme un D’Artagnan – brave mousquetaire du roi contre les « grands » feudataires qui s’opposent à sa vision d’unité nationale – soit comme l’héroïque shérif du « Train sifflera trois fois » aux service de la nouvelle nation américaine contre les pouvoirs locaux… soit, finalement, comme ce Lao Zi évoqué par l’OCDE en personne à propos des vides de sens dont on fait l’expérience lorsqu’on agit à la frontière entre un monde qui doit changer et un autre qui n’existe pas encore…
Or l’un des fils conducteurs, ou même le fil conducteur, grand protagoniste de cette vague planétaire, est finalement très facile à cerner : que l’école redevienne le cœur pulsant aux sources de tout geste de « formation » : soit-il adressé à des enfants ou à des adultes, à des professionnels ou à des retraités, à des techniciens ou à des humanistes…En un mot, notre monde vient de se rendre compte (1) qu’une économie à la hauteur du présent ne peut que se re-axer sur la pur et simple Connaissance, en la réaffirmant comme l’unique et vraie source de richesse pour des nations qui veuillent être – elles mêmes – des entités durables et soutenables pour notre pauvre planète ; (2) que pour puiser à cette source, si précieuse et lumineuse, et à la fois inépuisable parfaitement écologique, il faut que la Cité héberge des hommes tout d’abord éduqués et scolarisés, et seulement en deuxième lieu des professionnels formés et per-formants.
C’est dans le cadre de cette réorientation conceptuelle, si révolutionnaire – d’autant plus qu’il s’agit d’une révolution provenant d’en haut et pas d’en bas – que prend corps la notion de « non-formal éducation », laquelle répond à une double exigence : d’un côté celle de pousser une « base » essentiellement cosmopolite – l’ainsi dite « société civile » transversale à la communauté des nations – à s’engager en première personne dans l’éducation du citoyen, pour venir à l’aide (chose auparavant inconcevable) des institutions formelles ... c'est-à-dire nationales ; de l’autre côté, la nécessité de convaincre ces dernières à s’ouvrir à la possibilité d’une action conjointe, formelle/non-formelle, censée contribuer au renouvellement de leurs énergies et leurs méthodes éducatives, si dramatiquement sous échec. Notre Europe par exemple pousse ses citoyens à pénétrer les territoires de cette « frontière interne » en leur offrant un marché classique: s’ils sont capables de proposer « the european dimension of education » grâce à leurs initiatives non formelles, ils obtiendront en échange les étoiles de l’UE.
Si une « frontière interne» de l’éducation existe pourtant, il ne s’agit pas tout à fait que d’une simple opposition inter-administrative (l’éducation des « états unis d’Europe » contre celle des vieilles nations). Bien au contraire, ce no man’s land, cet authentique « désert des tartares » (autre citation de l’OCDE) qui sépare deux politiques éducatives, n’existe en réalité qu’en ce que ses racines s’enfoncent dans le cœur des êtres humains, tous et chacun, qui les incarnent. Pour m’expliquer, je reviens à mon « je ». Pourquoi ai-je donc décidé pour le côté non-formel de cette nouvelle alliance/opposition ? Le fait est que dans cette globale redécouverte de la Connaissance et de l’Ecole comme valeurs irréductibles et irrenonçables pour toute vraie transmission/création de savoir et de technique – et donc de richesse – il y a un point qui est partout et constamment mis en évidence : nées sous l’impulsion d’une époque à la fois nationaliste, bureaucratisée, industrielle et belliqueuse, les « éducations » des nos nations, telles des gigantesques armées ou des gigantesques industries du tertiaire en concurrence réciproque, ont fini par perdre le contact avec les deux catégories de personnes qui en constituent néanmoins la sève ultime, en rendant à son tour très difficile qu’une vraie communication entre elles puisse prendre corps. Je parle ici, évidemment, des enseignants et des élèves. Tous les programmes de renouvellement éducatif émanés par les acteurs de l’UNESCO/OCDE/UE insistent en ce sens sur deux points : il faut arriver à remotiver les enseignants, toujours en première ligne dans celle qui se présente comme une vraie guerre mentale et existentielle ; et il faut arriver enfin à retoucher les élèves, pour leur faire ressentir que c’est bien eux en effet – et pas les murs, le bulletin de fin de trimestre ou la carrière des burocrates – le sens ultime de l’existence de cet endroit – souvent si bizarre et hostile – où ils doivent tout de même se rendre jour après jour. C’est bien cet ordre de motivations qui inspire les mots du ministre Chatel lors du démarrage de la reforme française des lycées, en 2009 :
<1> « Chaque année, plus de 50 000 jeunes quittent définitivement le lycée sans le baccalauréat et un étudiant sur deux échoue en première année. Un lycée qui réussit, c’est un lycée qui fait réussir chaque élève, c’est un lycée qui offre à chacun une perspective d’avenir. Le lycée que nous voulons, c’est un lycée qui refuse tous les fatalismes, un lycée qui tire vers le haut tous les élèves, un lycée qui permet aux plus méritants d’atteindre l’excellence. Une orientation plus personnelle, progressive et continue, un accompagnement personnalisé tout au long de la scolarité, une ouverture plus grande du lycée sur son époque. Voilà les trois chantiers essentiels qui guident notre réforme » [Ministre Luc Chatel, en septembre 2009, au démarrage de la reforme des lycées en France]
Ces mêmes « trois chantiers » dont parle le ministre français ont d’autre part articulé la reforme de l’école italienne qui a démarré en 2003 (l’ainsi dite « Moratti ») et qui a totalement bouleversé les principes de notre éducation formelle, à vraie dire dans la direction d’une décentralisation et d’une ouverture vers l’extérieur qui vont décidément au delà de tout ce que l’école française ne pourrait jamais concevoir. Un vrai paradis, donc, dirait-on, pour un « éducateur non-formel » comme moi, dont l’ambition est justement de pouvoir interpeller l’école formelle tout en agissant de l’extérieur ! La réponse à la naïveté de cet enthousiasme est, hélas, bien négative. D’un côté, il faudra beaucoup de temps encore pour que de tels principes d’orientation se traduisent en effet en des pratiques concrètes de pédagogie et de didactique ; de l’autre – et nous voilà au cœur de la question – il faut bien comprendre que mon choix d’être un acteur non-formel de l’éducation a été dû à une vocation pédagogique très intensément et définitivement « formelle ». Je viens de publier un livre en Italie qui s’appelle « Espérer dans l’école », où j’affirme qu’étant donné la nature même de l’esprit humain, le seul endroit qui puisse véhiculer une effective éducation est l’école formelle, c'est-à-dire l’école entendue comme directe émanation de la Cité, au même titre de l’hôpital, le palais de justice et le cimetière. En ce sens, je suis un vrai jacobin de l’école, car je considère l’idée même d’une éducation « privée » – c'est-à-dire d’une éducation totalement déconnectée des chemins établis par les programmes officiels – aussi absurde que le serait un tribunal privé.
Et toutefois, c’est bien cela qui, paradoxalement, m’a conduit dès le début à quitter le parcours de l’enseignant traditionnel, car lorsqu’un beau jour je me suis retrouvé face à ce vide de communication entre les enseignants et les élèves, que je viens d’évoquer, c’est là que ma nature de philosophe et de théoricien s’est faite entendre dans moi d’une façon décidément incontournable. En fait, je me suis en ce moment définitivement convaincu que la responsabilité d’une telle si importante fracture n’est à attribuer ni à l’organisation politico-administrative de l’école formelle, ni à la conjoncture historique que notre monde est en train d’endurer, mais bien plus profondément à notre métaphysique et donc notre métapsychologie de base – j’entends avec ce deuxième terme une théorie sur la constitution fondamental de l’esprit humain (de quoi est-il fait) tirée des données de l’analyse clinique – et par conséquent au sens et à la place que la société actuelle assigne à l’école dans la vie humaine, tant au niveau de la Cité, qu’ai niveau de l’individu.Je m’explique.
En 2000/2001 j’étais professeur d’histoire/géo dans un lycée parisien sous contrat, spécialement conçu pour des élèves qui ne pouvaient pas se rendre à l’école. Dans la majorité des cas, il s’agissait d’un problème dit « psychologique ». L’élève était paralysé à l’idée de suivre un cours régulier dans une école ordinaire, et c’était nous, les enseignants, qui par conséquent dévions aller chez eux. L’une de ces élèves était extrêmement angoissée par les maths : la simple présence d’une suite de symboles mathématiques lui provoquait une grande anxiété. Cependant je suis parvenu, après un bon moment, à la faire s’intéresser à mes cours d’histoire. Malgré cela, un beau jour elle a cherché de se tuer ; on l’a donc amenée dans un hôpital psychiatrique, et nos cours se sont interrompus. Voilà : nos cours – ainsi que tous les autres cours – se sont interrompus, pendant qu’une équipe de psychiatres et de psychologues s’occupait de son blocage scolaire… en dehors de l’école. Je ne l’ai plus jamais revue, et personne ne m’a rien demandé car, évidemment, tout cela ne relevait pas de mes compétences comme enseignant.
Et bien, c’est justement la parfaite distinction avec laquelle une entière collectivité – une entière civilisation – a soudainement tracé autour de cette dramatique situation un indiscutable encadrement à la fois épistémologique, culturel, pragmatique… c’est bien la facilité, dis-je, avec laquelle tous les acteurs et les spectateurs de ce drame – y compris la victime – se sont immédiatement auto-classés et réciproquement distincts selon les rôles et les tâches respectives autour de cette fillette en danger de vie… c’est cela qui m’a enfin identifié comme enseignant essentiellement et définitivement formel, en me propulsant toutefois, par la même, en dehors du périmètre reconnu de la scolarité ordinaire. Pourquoi ? A cause de la métaphysique et de l’épistémologie qui fondent tout ce système de comportements, c'est-à-dire à cause de ce que la totalité des acteurs concernés considèrent comme effectivement existant et donc scientifiquement pertinent dans l’univers où se déploie notre vie d’hommes scolarisés/scolarisant. – En un mot, selon notre civilisation et sa métaphysique de base l’école ne fait pas partie de la « table des éléments » qui constituent notre être en ses fondements ultimes ; par conséquent, la médecine et la métapsychologie qui en découlent iront chercher les causes effectives de tous les phénomènes psychiques d’ordre irrésistiblement scolaire un peu partout… sauf qu’à l’école. Je vous offre trois exemples très clairs de cette situation globale.
(A) En 1941 Mme Adelaïde Johnson a écrit un article qui depuis lors constitue le repère premier pour toutes les recherches cliniques sur le sujet, et qui a scellé en même temps l’existence et … la non existence de l’ainsi dite « phobie scolaire » :
<2> «[1] Pendant des années les psychiatres ont reconnu qu’il existe un type de trouble émotionnel chez les enfants, associé à une grande anxiété, qui mène à des sérieuses absences de l’école. […] Le syndrome, souvent appelé « phobie scolaire », est reconnaissable par l’intense terreur associée à l’être à l’école.
[2] Quand l’enfant est superficiellement interrogé, il n’arrive pas a verbaliser qu’est qu’il craint, et toute l’affaire apparaît incompréhensible aux parentes et aux camarades.
[3] Rester à la maison permet à l’enfant de se rassurer et de contrôler que ses désirs hostiles et destructifs envers ses parents, particulièrement envers sa mère, n’auront pas de conséquences. […] Un pas fondamental dans ce cercle vicieux est celui de l’échange réciproque qui implique amour, donation, hyper-sollicitude de l’un à l’égard de l’autre, et besoin d’éloigner. Ceci constitue la fin et le principe du cercle, et ils recommencent encore avec indulgence mutuelle, dépendance, et tout ce que, comme nous le savons, fera suite à ce premier pas.
[4] (a) Bientôt, dans cette chaîne d’événements, rentre comme facteur l’école même. Quand l’enseignant comme instance de discipline, frustre l’enfant, il déchaîne sa rage. (b) En étant toutefois moins dépendant de l’enseignant, qui est une forme diluée de la mère, la rage enfantine, inhibée à l’égard de la mère, peut maintenant trouver expression par déplacement, et l’enseignant en son milieu devient l’objet phobique. Eviter l’enseignant et l’école signifie maintenant se défendre de l’éventualité d’être placé dans la situation où l’angoisse va exploser. (c) Souvent l’enfant se plaints bientôt que l’enseignant ne l’aime pas.
[5] DISCUSSION ET CONCLUSION. – (a) En quoi cette névrose se différentie-t-elle d’autres névroses enfantines ? Le syndrome de la phobie scolaire ne nous semble pas constituer une entité qualitativement nouvelle et spécifique. (b) C’est un symptôme qui se développe dans des circonstances bien définies ; tout d’abord, la présence d’une histoire de dépendance non résolue entre la mère et l’enfant. […] (c) Sur cette base, tous les deux régressent rapidement à cette période initiale de satisfaction mutuelle, et, si l’enfant est en âge scolaire, le cercle bute sur la phobie scolaire, l’enseignant étant transformé en objet phobique» [Johnson 1941: 708. Les crochets et les italiques sont de moi]
Et enfin, l’école n’est surtout pas une histoire d’amour.
(B) On pourrait penser que cet anéantissement d’une entière réalité mentale, verbale, comportementale, sociale… – un anéantissement que la psychiatrie existentielle appellerait une « invalidation ontologique » – n’est que le résultat d’une orthodoxie freudienne désormais dépassée… mais il n’en est rien. Soixante dix ans se sont écoulés depuis cet article fondateur – qui anéantit son objet, la peur de l’école, au moment même qu’il en dévoile l’existence – et les mots de la psychologie actuelle. Rien n’est changé pourtant quant à la crédibilité dont jouit cet invité de pierre. Selon le DSM actuel – la bible américaine des désordres psychiques – la phobie scolaire est un trouble de l’enfance/adolescence classifié sous les « phobie sociales» [Axe IV] mais expliqué en termes d’ « angoisse de séparation ». En conséquence, si on cherche dans Google, on trouve ce type d’explications :
<3>« Il faut vérifier tout ce qui peut être lié à une séparation soudaine du milieu familier, et tout ce que l’enfant peut ressentir comme porteur de jugement. Le terme phobie scolaire, s’il est confronté à d’autres types de phobies se présente avec un aspect tout à fait particulier : en effet, il n’existe pas un stimulus « école » auquel l’enfant est exposé passivement comme s’il faisait face à un danger objectif : il existe toutefois une séquence comportementale que l’enfant utilise pour faire face à une situation relationnelle qu’il ressent comme menaçante pour son bien-être » [Gherardelli 2009. L’italique est de moi]
<4>« La phobie scolaire est souvent liée à une peur ancienne de la mort et de la séparation, quelquefois réactivée par un traumatisme plus récent : pour le professeur Marcel RUFO, pédopsychiatre, «cette pathologie se déclare souvent suite à un deuil survenu dans l’entourage de l’enfant. Celui-ci réagit alors comme s’il y avait une possibilité qu’en sortant de chez lui, ses parents et lui risquent de mourir. » [La revue des Parents, décembre 2002 : la phobie scolaire]
En somme, la mère fait peur, la séparation de sa mère peur, le Jugement, la mort font peur... tandis que l’école, elle-même, est un « stimulus » qui n’arrive même pas à exister, car il est évident qu’à l’école il n’y a rien d’objectif à craindre. D’où : « je ne comprends pas » ; « l’enfant ne verbalise pas »…
(C) Et enfin, si pour le psychologue/psychiatre l’école n’est en réalité qu’une famille diluée, ou le masque d’un deuil caché par un enfant en « âge scolaire », pour le neurologue évolutionniste ce même âge n’appartient à aucun titre aux programmes officiels qui émanent de notre appartenance génétique, qui nous a, depuis toujours et à jamais, destinés « à la savane » :
<5> « [1] À l'école élémentaire, nos enfants apprennent les mathématiques modernes avec un cerveau initialement destiné à la survie dans la savane africaine. [2] L'énigme du primate qui sait lire – Notre capacité d'apprendre à lire pose une curieuse énigme, que j'appelle le paradoxe de la lecture. Notre génome n'a pas eu le temps de se modifier pour développer des circuits cérébraux propres à la lecture. Notre cerveau de lecteur se construit donc à l'aide d'instructions génétiques identiques à celles qui, voilà quelques dizaines de milliers d'années, permettaient à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs de subsister : nous partageons les émotions de Nabokov et la théorie d'Einstein avec un cerveau de primate conçu pour la survie dans une savane africaine. » [Dehaene [1] 1997 : 10 ; [2] 2008 : 24]
En un coup d’œil: les neurosciences contemplent un enfant qui se rend à l’école et s’assoit devant le tableau noir pour apprend à lire en y voyant un singe dans la savane, pendant qu’entretemps la psychologie clinque ne considère sa vie scolaire qu’une manifestation estompée et déguisée de sa nature pulsionnelle et affective. Résultat : c’est bien une énigme que ce petit primate ait enfin appris à lire, tandis que lorsqu’il arrive, miraculeusement, à parler, pour nous dire : « je ne veux pas aller è l’école car le professeur ne m’aime pas »… et bien cette « verbalisation » n’en est – en réalité – même pas une.
Finalement, la vision globale du rapport entre l’homme et l’éducation scolaire, telle qui résulte des points (A), (B) et (C) ci-dessus, est très nette et simple à résumer.
(I) L’école n’est pas un élément – un « complexe », une « structure », un « archétype »… – inscrit dans l’essence de l’homme, et donc dans sa destination évolutive et développementale. Nous acceptons qu’un « complexe d’Oedipe » ou des « structures de parentèle » [Levy Strauss] soient aussi structurants pour notre être mental que les séquences génétiques qui organisent notre nature de primates le sont pour notre corps, tandis que nous ne concevons même pas qu’un « complexe de Pinocchio » ou des « structures de scolarité » puissent nous appartenir avec cette même nécessité naturelle, en nous « destinant » donc, en tant qu’hommes, non pas à cette jungle qu’un jour très lointain nous avons sans doute traversée, mais à l’école vers laquelle ce chemin était en train de nous conduire. Par conséquent, l’« âge scolaire » n’est pas une phase développementale aussi légitime que le sont la « phase orale » [Freud], le « stade des opérations concrètes » [Piaget] ou la « puberté »…
(II) L’école n’est ni l’objet d’une crainte irréductible, à expliquer donc par l’école même ; ni, cohéremment, la cible d’un amour irréductible. Si l’élève veut être aimé par l’école, là aussi, nous sommes en présence d’un déguisement : il n’y a que la famille, le clan de provenance, qui puisse constituer l’objet crédible – = non transféral – d’un tel investissement. La peur de son propre destin scolaire n’est en conséquence que le chagrin de quitter ce même clan aimé/haï, ou d’en être jugé… ; …quant à l’amour pour l’école… et bien cet objet bizarre n’existe même pas dans nos catégories de base.
C’est ce gouffre métaphysique, épistémologique et culturel, en conclusion, qui est à l’origine de la « frontière interne » et de la « fracture intime » dont j’ai parlé dans les points précédents, et c’est bien dans son vide qu’a été engloutie toute possibilité de contact et d’ « accompagnement personnalisé tout au long de la scolarité » entre moi et les élèves dont la peur de l’école était trop importante pour relever des mes compétences de professeur.
Cela n’empêche pourtant que, malgré cette vision si déprimante, car mutilée, de la vie humaine en sa matière constitutive, sa provenance et sa destination immanente, le programme éducatif de nos « états unis d’Europe » ait été intitulé aux philosophes Socrate, Comenius, Erasme… ; ce qui nous donne enfin la réponse que je vous devais à propos du nom que j’ai donné à mon centre : « Eironeia, Ecole de Philosophie». Cette raison est enfin la plus simple qui soit, et je l’exprimerai comme suit.
Lorsqu’un enfant franchit pour la première fois le seuil de son école, il doit de tout évidence y être encouragé et poussé par l’amour de ses parents, qui lui auront appris à aimer la vie, sa vie – dont ils lui ont fait cadeau – inconditionnement, avec tout ce que ce petit homme pourra y trouver dedans, de bon et de mauvais. Une fois le seuil de l’école franchi en revanche, cela sera aux enseignants de prendre la relève, en orientant ce même amour inconditionné vers tout ce que l’enfant rencontrera dans ce nouveau monde. Vers quoi, donc ? Evidemment … vers la Connaissance !, en tant telle, en son pur et simple archétype.
Cela signifie, en un mot, que tout « professeur des écoles » éduque tout d’abord des philosophes, et que toute école est en elle-même une école de philosophie car, comme Socrate nous l’a enseigné, la Philosophie [philos = amant ; sophie = connaissance] est Amour de la Connaissance, et donc de l’Ecole… qui signifie skolé : avoir le courage de poser des questions sans d’autres raisons que de, simplement, le faire, et la patience de rester à l’écoute tout le temps qu’il faut pour qu’une réponse retentisse dans nos oreilles assoiffées de silence et de Savoir.
Textes cités - DEHAENE, S. (1997) La bosse des maths, Paris : Odile Jacob. (2007) Les neurones de la lecture, Paris : Odile Jacob. EUROPEAN PARLIAMENT (2000) Lisbon European Council 23 and 24 March 2000. Presidency Conclusions JOHNSON A.M., FALSTEIN I., SZUREK S. A., SVENDSEN M. (1941) School Phobia. Amer. J. Orthopsychiat., 11; (1957) Discussion of School Phobia. Amer. J. Orthopsychiat., 27 OCDE (2000) DeSeCo. La Définition et la sélection des Compétences, OCDE (2002) Comprendre le cerveau. Vers une nouvelle science de l’apprentissage, Paris: OCDE (2003) Cadre d’évaluation de PISA 2003 – Connaissances et compétences en mathématiques, lecture, science et résolution de problèmes, OCDE: (2005) L’Education à l’OCDE, OCDE Education (2007a) Comprendre le cerveau. Naissance d’une science de l’apprentissage, Paris: OCDE (2007b) En finir avec l’Echec scolaire. Dix Mesures pour une éducation équitable, S.Field, M.Kuczera UNESCO (1990) World declaration on Education for All and framework for action to meet basic learning needs adopted by the world conference on education for all meeting basic learning needs. Jomtien (2000a) Education For All: Meeting Our Collective Commitments, Dakar: Senegal: 26-28 April 2000, (2000b) Dakar Framework for Action, UNESCO
Première partie du Discours d'introduction de M.Nicolas Chef D'Hotel, Professeur des Ecoles
et directeur de l'Ecole à classe unique de St Thomé Le village.
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(Seconda parte sottotitolata in italiano: clicca qui)