0.La Philosophie est amour du Savoir... de TOUT le Savoir
1.Les deux ailes du cygne d'Apollon
2."PARLONS DONC..."
2.1 LES MUSES DES LETTRES...
2.2 ... CELLES DES NOMBRES...
2.3 ... ET LE CHANT DU CYGNE D'APOLLON
3 ... SI LA GRAINE NE MEURT PAS
4 A LA CAVERNE DES PHILOSOPHES
5 DEUX AILES POUR SORTIR DE LA CAVERNE: L'AILE DES NOMBRES
PDF1(Distribué en classe le 24/09/2012)
«Des interventions de professeurs de philosophie en classe de seconde et dans les trois séries de première générale du lycée pourront être développées et organisées. Ces interventions aborderont des problématiques variées en relation avec les programmes de l’ensemble des disciplines enseignées. Il est important que les interventions des professeurs de philosophie en classes de seconde et de première, en coordination avec les autres professeurs, puissent concerner tous les enseignements, scientifiques, littéraires et artistiques"
Objectifs - 1. Accompagner la progression vers la maturité intellectuelle - La pratique de la philosophie stimule la réflexion, incite à l’analyse, contribue à la formation du jugement et favorise l’accession à l’autonomie. Cette pratique, qui encourage le développement de la réflexion personnelle, a des conséquences sur la découverte de soi et donc sur l’élaboration d’un projet personnel d’orientation (choix des options, voies et séries proposées), et sur la construction d’un projet professionnel.
2. Donner plus de sens au parcours scolaire par des pratiques interdisciplinaires. L’intervention des professeurs de philosophie est conçue selon des modalités différentes de celles de la classe terminale ; elle prend, en particulier, une forme interdisciplinaire. La présence d’un professeur de philosophie dans le cours d’un professeur d’une autre discipline met en perspective les disciplines et les savoirs. Elle aide l’élève à mieux percevoir et comprendre leurs liens. Cette approche interdisciplinaire met l’élève en situation de réfléchir au statut des connaissances qu’il acquiert. Elle peut également le conduire à s’interroger sur l’utilisation et les apports des outils technologiques d’information, de communication et de connaissance. L’élève saisit mieux le sens de son parcours de formation au lycée ; son intérêt s’en trouve renforcé.
« Ô Phébus, le cygne vous célèbre dans ses chants mélodieux, lorsque agitant ses ailes, il s'élance sur le rivage prés du Pénée, fleuve rapide ; c'est vous que le poète sur sa lyre sonore chante toujours le premier et le dernier. Salut, ô grand roi, puissé-je vous fléchir par mes chants. [Homère (VIIIe siècle av.J.C.) Hymne à Apollon]
« Le cygne pris pour l’oie – Un homme opulent nourrissait ensemble une oie et un cygne, non point pour le même objet, mais l’un pour son chant, l’autre en vue de sa table. Or lorsque l’oie dut subir le destin pour lequel on l’élevait, il faisait nuit, et le temps ne permettait pas de distinguer les deux volatiles. Mais le cygne, emporté à la place de l’oie, entonne un chant, prélude de son trépas. Sa voix le fit reconnaître et son chant le sauva de la mort. - Cette fable montre que souvent la musique fait ajourner la mort » [Esope (VII siècle av.J.C) Fables (173)]
« Écoute ce serment sacré: Par la juste vengeance de ma fille, par Atè, par Érinnys, à qui j’ai offert le sang de cet homme, je ne crains pas d’entrer jamais dans la maison de la terreur, aussi longtemps qu’Égisthe, qui m’aime, allumera le feu de mon foyer, comme il l’a fait déjà avant ce jour. En effet, il est le large bouclier qui abrite mon audace. Le voilà gisant celui qui m’a outragée, les délices des Khrysèis qui ont vécu devant Ilion! Et la voici, la Captive, la divinatrice fatidique, qui partageait son lit, venue avec lui sur les nefs. Ils n’ont point été frappés injustement, et, quant à lui, tu sais comment. Pour elle, pareille au cygne, elle a chanté son chant de mort. Elle gît, la bien-aimée! Et les voluptés de mon lit n sont accrues! » [Eschyle (VIe siècle av.JC.) Agamemnon]
LES MUSES DES LETTRES...
«SOCRATE - Nous avons du temps [skolé, otium, vacatio animi] de reste, à ce qu'il me semble. Je crois aussi que les cigales en chantant, comme elles en ont l'habitude, [259a] et en conversant au-dessus de nos têtes, nous regardent ; et, si elles nous voyaient comme la multitude, au lieu de causer, sommeiller en plein midi, et, faute de savoir occuper notre pensée, céder à l'influence de leurs voix assoupissantes, elles pourraient à bon droit se moquer de nous; elles croiraient voir des esclaves qui sont venus dans cet endroit pour dormir près de la fontaine, comme des brebis qui se reposent au milieu du jour. Mais si elles nous voient continuer le cours de notre entretien, sans nous laisser charmer par les chants de ces nouvelles sirènes, [259b] peut-être par admiration nous accorderont-elles le bienfait que les dieux leur ont permis d'accorder aux hommes. PHÈDRE - Quel est ce bienfait? je ne crois pas en avoir entendu parler jusqu'ici. SOCRATE - Un amant des muses [philomouson] ne devrait pas ignorer ces choses-là. On dit donc que les cigales étaient des hommes avant la naissance des Muses. Quand le chant naquit avec les Muses, plusieurs des hommes de ce temps furent si transportés de plaisir [259c] que la passion de chanter leur fit oublier le boire et le manger, et qu'ils moururent sans même s'en apercevoir. C’est d'eux que naquit ensuite la race des cigales, qui a reçu des Muses le privilège de n'avoir aucun besoin de nourriture. Du moment qu'elles viennent au monde, elles chantent sans boire ni manger jusqu'au terme de leur existence, puis elles vont trouver les Muses, et leur font connaître ceux par qui chacune d'elles est honorée ici-bas : à Terpsichore, ceux qui l'honorent dans les chœurs, et ils lui deviennent plus chers sur le rapport [259d] de ces fidèles témoins; à Érato, ceux qui l'honorent par des chants amoureux; et pareillement à toutes les autres, ceux qui leur rendent l'espèce d'hommage qui convient à chacune. A la plus âgée, Calliope, et à la cadette, Uranie, elles font connaître ceux qui, vivant an sein de la philosophie, rendent ainsi hommage à la musique de ces deux déesses, les plus mélodieux de tous; car ce sont elles qui président aux mouvements des corps célestes et aux discours des hommes (35). Voilà bien des raisons pour parler au lieu de dormir en plein midi. PHÈDRE - Parlons donc. » [Platon, Phèdre]
... CELLES DES NOMBRES...
"Comment donc, Glaucon, notre cité sera-t-elle ébranlée? par où s'introduira, entre les auxiliaires et les chefs, la discorde qui dressera chacun de ces corps contre l'autre et contre lui-même? Veux-tu qu'à l'exemple d'Homère nous conjurions les Muses de nous dire
"comment la discorde survint pour la première fois [Hom.Il.XVI, 112] ?
Nous supposerons 545e que, jouant et plaisantant avec nous ainsi qu'avec des enfants, elles parlent, comme si leurs propos étaient sérieux, sur le ton relevé de la tragédie. Comment? A peu près ainsi :
Il est difficile qu'un État constitué 546 comme le vôtre s'altère; mais, comme tout ce qui naît est sujet à la corruption, ce système de gouvernement ne durera pas toujours, mais il se dissoudra, et voici comment. Il y a, non seulement pour les plantes enracinées dans la terre, mais encore pour les animaux qui vivent à sa surface, des retours de fécondité ou de stérilité qui affectent l'âme et le corps. Ces retours se produisent lorsque les révolutions périodiques ferment les circonférences des cercles de chaque espèce, circonférences courtes pour celles qui ont la vie courte, longues pour celles qui ont la vie longue. Or, quelque habiles que soient les 546b chefs de la cité que vous avez élevés, ils n'en obtiendront pas mieux, par le calcul joint à l'expérience, que les générations soient bonnes ou n'aient pas lieu; ces choses leur échapperont, et ils engendreront des enfants quand il ne le faudrait pas.
Pour les générations divines il y a une période qu'embrasse un nombre parfait; pour celles des hommes, au contraire, c'est le premier nombre dans lequel les produits des racines par les carrés - comprenant trois distances et quatre limites - des éléments qui font le semblable et le dissemblable, le croissant 546c et le décroissant, établissent entre toutes choses des rapports rationnels. Le fond épitrite de ces éléments, accouplé au nombre cinq, et multiplié trois fois donne deux harmonies : l'une exprimée par un carré dont le côté est multiple de cent, l'autre par un rectangle construit d'une part sur cent carrés des diagonales rationnelles de cinq, diminués chacun d'une unité, ou des diagonales irrationnelles, diminués de deux unités, et, d'autre part, sur cent cubes de trois.
C'est ce nombre géométrique tout entier qui commande aux bonnes et aux mauvaises 546d naissances, et quand vos gardiens, ne le connaissant pas, uniront jeunes filles et jeunes gens à contretemps, les enfants qui naîtront de ces mariages ne seront favorisés ni de la nature, ni de la fortune. Leurs prédécesseurs mettront les meilleurs d'entre eux à la tête de l'État; mais comme ils en sont indignes, à peine parvenus aux charges de leurs pères, ils commenceront de nous négliger, quoique gardiens, n'estimant pas comme il conviendrait d'abord la musique, ensuite la gymnastique. Ainsi vous aurez une génération nouvelle moins cultivée. De là 546e sortiront des chefs peu propres à veiller sur l'État, et ne 547 sachant discerner ni les races d'Hésiode, ni vos races d'or, d'argent, d'airain et de fer. Le fer venant donc à se mêler avec l'argent, et l'airain avec l'or, il résultera de ces mélanges un défaut de convenance, de régularité et d'harmonie - défaut qui, partout où il se rencontre, engendre toujours la guerre et la haine. Telle est l'origine qu'il faut assigner à la discorde, en quelque lieu qu'elle se déclare.
Nous reconnaîtrons, dit-il, que les Muses ont bien répondu." [Platon, République VIII]
... ET LE CHANT DU CYGNE D'APOLLON
«A quoi Simmias répondit : Je vais te dire la vérité, Socrate. 84a Depuis un moment, chacun de nous, en proie au doute, pousse et engage l’autre à te poser une question, car nous avons grande envie de t’entendre, mais nous hésitons à te déranger, de peur que cela ne te soit désagréable dans ta situation. »
En entendant cela, Socrate se prit à rire doucement et dit : « Parbleu, Simmias, j’aurais vraiment de la peine à persuader aux autres hommes que je ne regarde pas ce qui m’arrive comme un malheur, quand je ne puis même pas vous en persuader vous-mêmes, et quand vous avez peur de me trouver d’humeur plus chagrine que dans ma vie passée. A ce que je vois, vous me croyez inférieur aux cygnes pour la divination. Quand ils sentent approcher l’heure de leur mort, les cygnes chantent ce jour-là plus souvent et plus mélodieusement qu’ils ne l’ont jamais fait, parce qu’ils sont joyeux de s’en aller chez le dieu dont ils sont les serviteurs. Mais les hommes, par suite de leur crainte de la mort, vont jusqu’à calomnier les cygnes et disent qu’ils déplorent leur trépas par un chant de tristesse. Ils ne réfléchissent pas qu’aucun oiseau ne chante quand il a faim ou froid ou qu’il est en butte à quelque autre souffrance, non pas même le rossignol, l’hirondelle et la huppe, qui chantent, dit-on, pour lamenter leur douleur. Mais moi, je ne crois pas qu’ils chantent de tristesse, pas plus que les cygnes ; je pense, au contraire, qu’étant les oiseaux d’Apollon, ils sont devins et que c’est parce qu’ils prévoient les biens dont on jouit dans l’Hadès, qu’ils chantent et se réjouissent ce jour-là plus qu’ils ne l’ont jamais fait pendant leur vie. Or je me persuade que je suis moi-même attaché au même service que les cygnes, que je suis consacré au même dieu, que je tiens de notre maître un don prophétique qui ne le cède pas au leur, et que je ne suis pas plus chagrin qu’eux de quitter la vie. C’est pourquoi, à cet égard, vous n’avez qu’à parler et à faire toutes les questions qu’il vous plaira, tant que les onze des Athéniens le permettront ». [ Socrate/Platon (Ve-IVe siècle Av.J.C) Phédon)
... « Eh bien, Glaucon, voilà enfin après tous les préludes l’air dont je parlais ; c’est la DIALECTIQUE qui l’exécute. Science toute spirituelle, elle peut cependant être représentée par l’organe de la vue qui, comme nous l’avons montré, s’essaie d’abord sur les animaux, puis s’élève vers les astres et enfin jusqu’au soleil lui-même. Pareillement, celui qui se livre à la dialectique, qui, sans aucune intervention des sens, s’élève par la raison seule jusqu’à l’essence des choses, et ne s’arrête point avant (532b) d’avoir saisi par la pensée l’essence du bien, celui-là est arrivé au sommet de l’ordre intelligible, comme celui qui voit le soleil est arrivé au sommet de l’ordre visible» [Platon, République VII]
3. Familiariser les lycéens avec la pratique de la philosophie - Français - « Persuader et démontrer », en relation avec « Genres et formes de l’argumentation : XVIIème et XVIIIème siècle » - Histoire-géographie - « Science, technique et représentations du monde », en relation avec « L’essor d’un nouvel esprit scientifique et technique (XVIème-XVIIème siècle) ». - « L’idée de Lumières », en relation avec « La Révolution française : l’affirmation d’un nouvel univers politique ». Mathématiques - « La variété des signes (symboles, graphes, images, courbes, etc.) et leurs fonctions », en relation avec « Notations et raisonnement mathématiques »
La conclusion des recherches menées par Socrate (T15) à la suite de la mystérieuse réponse de l’oracle d’Apollon est double :
(1) La totalité des soi-disant savants qu’il rencontre à Athènes, et qui se considèrent tels, navigue largement, dit-on aujourd’hui, à côté de la plaque. Ils pensent que le leur est un vrai savoir, tandis qu’il ne l’est point. Cela peut être dit, par conséquent, par la totalité du « savoir » humain, avant qu’un quelconque « oracle de Apollon » n’ait pris parole (comme Socrate l’a fait) pour nous réveiller de nos illusions trompeuses.
(2) Lorsque l’homme prend conscience de son état d’ignorance, cette « connaissance 0 » est aussi certaine que si « Apollon » en personne nous l’avait insufflée. Pour cette raison Socrate se considèrera d’dorénavant comme lui-même… l’Oracle de Dieu ! (« Je sers d’interprète à l’Oracle… Dieu m’est témoin !) : à savoir comme l’interprète direct et transparent de Sa parole, qui s’est fait donc définitivement humaine.
Pourquoi, en effet, «transparent»? Car à la différence des énigmatiques réponses de la Pythie, - toujours en elles mêmes obscures et vagues, et enveloppées d’un mystère qui demande une «inspiration» encore plus mystérieuse que ce même «mystère» - …à la différence de ces verdicts, dis-je, l’affirmation : «je sais que je suis ignorant» est parfaitement, dit Descartes «claire et distincte», et représente en tant que telle rien de moins que le début inébranlable de tout vrai processus de connaissance.
Le modèle de toute acquisition d’une nouvelle connaissance est en effet un seul pour tous:
(1) Nous sommes entourées par des choses à peu près connues, mais nous voulons aller plus loin ;
(2) nous posons dès lors l’une de ces chose connues comme « inconnue » (dit-on en maths : par exemple un nombre, qui devient de la sorte « x »), en la plaçant par là même dans son « ensemble de définition » que pour les nombres peut être par ex les ainsi dits "Naturels" (1,2,3...), tandis que dans le cas du Philosophe n’est rien de moins que l’Horizon Total des « choses à connaitre » : du « Connaissable », ou « Intelligible ».
(3) En ce faisant, nous apprêtons (dit-on) à « déterminer l’inconnue», c'est-à-dire à en faire une chose nouvellement connue.
Ce processus est donc toujours fait de trois pas, voire quatre :
(1) Je « connais » A
(2) Je décide de considérer A comme une chose en réalité inconnue
[… à la suite d’une recherche propulsée par cet aveu d’ignorance qui rend inconnu le connu…]
(3) Je reviens sur A « nouvellement connue ».
Cette suite de trois passages est ce que nous pouvons appeler la Caverne des Philosophes, car il n’y a un seul d’entre eux qui ne les ait vécu et racontés tels quels : il s’agit de celle que Platon et Hegel appellent la « Dialectique », et ce dernier parle de ces trois passages comme « thèse », « antithèse », « synthèse », tandis que chez Platon le processus qui mène du (2) au (3) est la route ascendante qui permet au prisonnier enchainé dans la Caverne du Faux, de sortir au Soleil de la Vérité. Un route qui n’est autre, donc que celle de la Recherche de la Vérité par la voie de la Raison.
Nous allons maintenant connaitre deux Cavernes célèbres entre toutes : celle de Platon et celle de Descartes.
Histoire-géographie - «L’essor d’un nouvel esprit scientifique et technique (XVIème-XVIIème siècle)». Mathématiques - « La variété des signes (symboles, graphes, images, courbes, etc.) et leurs fonctions», en relation avec « Notations et raisonnement mathématiques »
Lors du dernier cours, nous avons commencé à entendre et ressentir le rythme général de la pensé philosophique.
1) Premier temps : nous pensons connaître suffisamment les choses qui nous « connues » (THESE).
2) Deuxième temps : quelque chose se passe, qui nous fait prendre conscience que non... il y a en effet au cœur même de ces soi disant « choses connues » quelque chose qui cloche décidément... (ANTITHESE : remise en question radicale de tout ce qui auparavant nous paraissait connu)
3) Troisième temps: nous nous mettons à la recherche d’un nouveau fondement de notre vieux monde (RECHERCHE)
4) Quatrième temps : une fois ce fondement trouvé, nous revenons aux bonnes vieilles choses connues soudainement devenues inconnues, pour en bâtir une vraie Connaissance, enfin réellement fondée et solide (SYNTHESE)
Nous avons aussi entendu le récit de Socrate à propos de son expérience de l’ « antithèse » : Apollon en personne le pousse à un certain moment à se demander si les « connaissances » que les soi disant savant de sa communauté étaient vraiment dignes de ce nom. Et bien non! ... rien que des « idoles », des apparences trompeuses d’une Connaissance qui de sa part n’était pas au RDV..., et qui ne se nourrissaient que d’une renommée dépourvue de toute vérité. L’un des résultats de cette prise de conscience, et de la recherche qui s’en suit, est le célèbre Mythe de la Caverne, où la Cité s’avère être un cachot souterrain où des prisonniers enchaînés depuis l’enfance, et ne se rendent pas compte que tout ce qu’ils pensent connaître ne sont que des ombres qui parlent avec des voix qui ne sont pas les leurs...
Descartes aussi insiste sur ce point : "depuis l’enfance". Cette Ignorance de départ est pour lui comme pour Platon aussi incontournable que le fait même d’avoir été des enfants :
« Comme nous avons été enfants avant que d’être hommes et que nous avons jugé tantôt bien et tantôt mal des choses qui se sont présentées à nos sens lorsque nous n’avions pas encore l’usage entier de notre raison, plusieurs jugements ainsi précipités nous empêchent de parvenir à la connaissance de la vérité, et nous préviennent de telle sorte qu’il n’y a point d’apparence que nous puissions nous en délivrer, si nous n’entreprenons de douter une fois en notre vie de toutes les choses où nous trouverons le moindre soupçon d’incertitude. [Principes de la Philosophie, 1,1]
« Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain; de façon qu'il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences [Méditations Philosophiques] »
... et nous avons aussi écouté les mots de sa peur et de son angoisse lorsqu’il s’agirait de grandir : « mais ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu'un esclave qui jouissait dans le sommeil d'une liberté imaginaire, lorsqu'il commence à soupçonner que sa liberté n'est qu'un songe, craint d'être réveillé... ».
Descartes nous parle donc comme si lui-même était l’un des prisonniers du cachot de Platon, et il nous raconte ensuite l’histoire de son auto-libération, qui elle aussi a un point fondamental en commun avec le chemin « dur et escarpé » qui dans le récit de la Caverne est le seul qui peut nous conduire au Soleil de la Vérité et de la Connaissance. Quel est ce point fondamental ?
Ce point est l’un des plus profonds, intéressants et énigmatiques que la pensée humaine ait jamais rencontré sur son chemin, à savoir le fait d’arriver à douter des évidences les plus assurées et certaines que nous puissions imaginer : celles des mathématiques.
« Peut-être que de là nous ne conclurons pas mal, si nous disons que l'arithmétique, la géométrie, et les autres sciences de cette nature, qui ne traitent que de choses fort simples et fort générales, sans se mettre beaucoup en peine si elles sont dans la nature, ou si elles n'y sont pas, contiennent quelque chose de certain et d'indubitable. Car, soit que je veille ou que je dorme, deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre de cinq, et le carré n'aura jamais plus de quatre côtés; et il ne semble pas possible que des vérités si apparentes puissent être soupçonnées d'aucune fausseté ou d'incertitude.
Toutefois il y a longtemps que j'ai dans mon esprit une certaine opinion, qu'il y a un Dieu qui peut tout, et par qui j'ai été créé et produit tel que je suis. Et [...] il se peut faire qu'il ait voulu que je me trompe toutes les fois que je fais l'addition de deux et de trois, ou que je nombre les côtés d'un carré, ou que je juge de quelque chose encore plus facile, si l'on se peut imaginer rien de plus facile que cela »
« Et bien, dit Socrate, je suis loin, par Zeus, de croire que je connais la cause de ces choses, moi qui n’accepte même pas de dire, quand à une unité on ajoute une unité, si c’est l’unité qui a subi une adjonction qui est devenue deux, ou si c’est l’unité ajoutée et celle à laquelle on l’a ajoutée qui, du fait de l’adjonction de l’une à l’autre, sont devenues deux. Je m’étonne en effet de ceci : quand chacune était à part de l’autre, chacune était bien une, il n’y avait pas alors de deux ; mais quand elles se sont rapprochées, la cause de production du deux s’est produite en elles, c’est-à-dire la rencontre, qui vient du fait d’être rapprochées. » [Platon, Phéd. : 100e.]
Or nous devons bien avouer que cette façon de douter de 2+3=5 et de 1+1=2 nous paraît comme tout à fait artificieuse et incompréhensible, et que nous aurions raison de ne pas insister dans la lecture si nous ne savions pas que Socrate a été le maître de Platon, donc d’Aristote, donc d’Euclide, c’est à dire du fondateur même des Mathématiques telles que nous les connaissons, et que de sa part Descartes n’est rien de moins que le créateur de la Géométrie Analytique (l’axe des abscisse et de l’ordonnée, s’appelles « coordonnées cartésiennes » pour cette raison.
Bref, ce n’est que ce genre de doutes, si apparemment abstraits et incompréhensibles, qui sont à l’origine de la totalité de nos connaissances scientifiques... et c’est bien pour cette raison que tout le programme d’éducation proposé par Platon comme système pour sortir de la Caverne se base sur une pratique des sciences mathématiques expressément destinée à mettre en échec la compréhension ordinaire que nous avons des leurs vérités les plus élémentaires et apparemment connues.
« Et le nombre et l'unité, dans quelle classe de connaissances les ranges-tu? [...parmi celle qui nous « endorment », ou bien parmi celles qui nous réveillent et nous attirent à la Vérité?] – Je ne sais, répondit-il – Eh bien, juges-en d'après ce que nous venons de dire. Si l'unité [= le 1] est perçue en elle-même, de façon satisfaisante, par la vue ou par quelque autre sens, elle n'attirera pas notre âme vers l'Essence... mais si la vue de l'unité offre toujours quelque contradiction , de sorte qu'elle ne paraisse pas plus unité que multiplicité, alors il faudra un juge pour décider ; l'âme est forcément embarrassée, et, réveillant en elle l'entendement, elle est contrainte de faire des recherches et de se demander ce que peut être l'unité en soi ; c'est ainsi que la perception de l'unité est de celles qui conduisent et tournent l'âme vers la contemplation de l'être » [Platon, République VII]
Il s’agit dès lors de comprendre :
(1) comment peut-on...que cela signifie enfin que de révoquer en doute – remettre en question en la poussant à la contradiction – une vérité concernant l’«unité » aussi simple que seule peut l’être «1+1=2»
(2) comment se fait-il que des telles circonstances de questionnement radical sur les sciences mathématiques et/où mathématisées, comme la Physique, peuvent être porteuses des plus grandes découvertes scientifiques.
Et en effet, si le doute de Socrate sur 1+1=2 a engendré rien de moins que les mathématiques euclidiennes, et que de celui de Descartes sur 2+3=5 sont nées toutes les mathématiques modernes, ce n’est pas étonnant que la Physique telle que nous la connaissons aujourd’hui doive sa naissance à la perplexité d’un homme – Galileo Galilei – qui n’arrivait pas à s’expliquer un phénomène aussi banal que l’oscillation d’un encensoir dans une église, et que l’Astrophysique moderne s’enracine dans les méditations de Isaac Newton autour du grand mystère de la... chute d’une pomme !