Psautier de Louis IX. Le rêve de Jacob

Textes


(1) LIBER SAPIENTIAE - LE LIVRE DE LA SAGESSE DE SALOMON (Bible, AT) - PDF

ETRE SAGES POUR SAVOIR JUGER – [1] 1 Aimez la justice, vous qui jugez la terre. Ayez du Seigneur des sentiments dignes de Lui, et cherchez-Le dans la simplicité du cœur […] 4 Aussi la sagesse n'entrera-t-elle pas dans une âme maligne […] , l'esprit de sagesse est ami de l’homme, et il ne laissera pas impunies les lèvres du médisant […] Les diffamations des impies seront poursuivies, et le bruit de leurs paroles parviendra jusqu'au Seigneur, pour les punir de leurs iniquités.[…] Gardez-vous donc de plaintes inutiles ; préservez votre langue de toute médisance ; car pas une parole secrète ne sera perdue, et la bouche menteuse tue l'âme. [6] Ecoutez donc, ô rois, et comprenez; apprenez, juges des confins de la terre. Prêtez l'oreille, vous qui gouvernez les multitudes, et vous qui vous complaisez dans les foules des nations. C'est à vous que s'adressent mes discours, afin que vous appreniez la sagesse, et que vous ne tombiez pas. Désirez ardemment mes paroles; aimez-les, et vous y trouverez votre instruction
DES QU’ON CHERCHE LA SAGESSE, ON DECOUVRE QU’ELLE EST DEJA LA, EN TRAIN DE NOUS CHERCHER 12 – La Sagesse est brillante, et son éclat ne se ternit pas; facilement on l'aperçoit quand on l'aime, facilement on la trouve quand on la cherche. 13 Elle prévient ceux qui la cherchent, et se montre à eux la première. 14 Celui qui se lève matin pour la chercher n'a pas de peine: il la trouve assise à sa porte. 15 Car penser à elle [cogitare de illa] – c'est la perfection de la prudence, et celui qui veille à cause d'elle sera bientôt libre de soucis; 16 elle-même va de tous côtés chercher ceux qui sont dignes d'elle, elle se montre amicalement à eux dans leurs voies, et les assiste dans tous leurs desseins.
LE COMMENCEMENT DE LA SAGESSE EST LE DESIR D’EDUCATION 17 En effet, son commencement le plus assuré est le désir de l'instruction. 18 Or le soin de l'instruction conduit à l'amour, l'amour fait qu'on obéit à ses lois, l'obéissance à ses lois assure l'immortalité, 19 et l'immortalité donne une place près de Dieu. 20 Ainsi le désir de la sagesse conduit à la royauté. 21 Si donc, ô rois des peuples, vous mettez votre plaisir dans les trônes et le sceptre, honorez la sagesse, afin de régner éternellement.
« CE QU'EST LA SAGESSE ET SON ORIGINE, JE VAIS L'EXPOSER » – 22 Mais ce qu'est la sagesse et son origine, je vais l'exposer, sans vous cacher les mystères de Dieu. Je remonterai jusqu'au début de la création, je mettrai au grand jour ce qui la concerne, et je ne m'écarterai pas de la vérité. 23 Loin de moi de faire route avec l'envie dévorante! Elle n'a rien de commun avec la sagesse. 24 Le grand nombre des sages fait le salut de la terre, et un roi sage la prospérité de son peuple. 25 Recevez donc l'instruction par mes paroles, et vous vous en trouverez bien.
« JE SUIS MOI-MEME UN MORTEL... C’EST POURQUOI J’AI PRIÉ» – [7] 1 Je suis moi-même un mortel, semblable à tous et descendant du premier qui fut formé de terre. 2 J'ai été formé quant à la chair dans le sein de ma mère, pendant dix mois prenant consistance dans le sang, par la semence de l'homme, durant le repos du sommeil. 3 Moi aussi, à ma naissance, j'ai respiré l'air commun à tous, je suis tombé sur la même terre, et, comme celui de tous, mon premier cri fut un gémissement. 4 J'ai été élevé dans des langes et avec des soins infinis. 5 Aucun roi n'a eu un autre commencement d'existence. 6 Il n'y a pour tous qu'une seule manière d'entrer dans la vie et d'en sortir. 7C'est pourquoi j'ai prié, et la prudence m'a été donnée; j'ai invoqué, et l'esprit de sagesse est venu en moi.
JE L'AI AIMEE INCONDITIONNEMENT, ET AU DESSUS DE TOUT CE QUI EST DESTINE A PERIR – 8 Je l'ai préférée aux sceptres et aux couronnes, et j’ai estimé de nul prix les richesses auprès d'elle. 9 Je ne lui ai pas égalé les pierres les plus précieuses, car tout l'or du monde n'est auprès d'elle qu'un peu de sable, et l'argent, à côté d'elle, doit être estimé comme de la boue. 10 Je l'ai aimée plus que la santé et la beauté; j'ai préféré la posséder plutôt que la lumière, car son flambeau ne s'éteint jamais.
LA SAGESSE EST LA MERE – 11 Avec elle me sont venus tous les biens, et des richesses innombrables sont dans ses mains. 12 Et je me suis réjoui de tous ces biens, car la sagesse les amène avec elle; j'ignorais pourtant qu'elle en était la mère. 13 Je l'ai apprise sans arrière-pensée, et je ne cache point ses trésors. 14 Car elle est pour les hommes un trésor inépuisable; ceux qui en usent ont part à l'amitié de Dieu, à qui les recommandent les dons acquis par l'instruction.
LA VRAIE CONNAISSANCE DE CE QUI EST… LE COMMENCEMENT, LA FIN ET LE MILIEU DES TEMPS – 15Dieu m'a donné de parler selon mes sentiments, et d'avoir des pensées dignes des dons que j'ai reçus, car Il est Lui-même le guide de la sagesse, et Il redresse les sages. 16 Nous sommes dans Sa main, nous et nos discours, et toute la sagesse, et la science d'agir, et l'instruction. 17 C'est Lui qui m'a donné la vraie connaissance de ce qui est, et qui m'a fait savoir la disposition du monde et les vertus des éléments, 18 le commencement, la fin et le milieu des temps, les changements des solstices et la vicissitude des saisons, 19 les révolutions des années, les dispositions des étoiles, 20 la nature des animaux et les instincts des bêtes, la force des vents et les pensées des hommes, la variété des plantes et les vertus des racines. 21 J'ai appris tout ce qui était caché et inconnu, car la sagesse qui a tout créé me l'a enseigné.
PUISSANCE DIVINE, EN SA PERMANENCE ABSOLUE ELLE EST LE PLUS IMMAITRISABLE ET SUBTIL DES MOUVEMENTS DE L’ESPRIT 22 – En elle, il y a un esprit intelligent, saint, unique, multiple, immatériel, actif, pénétrant, sans souillure, infaillible, impassible, aimant le bien, sagace, ne connaissant pas d'obstacle, bienfaisant, 23 bon pour les hommes, immuable, assuré, tranquille, tout-puissant, surveillant tout, pénétrant tous les esprits, les intelligents, les purs et les plus subtils. 24 Car la sagesse est plus agile que tout mouvement; elle pénètre et s'introduit partout, à cause de sa pureté. 25 Elle est le souffle de la puissance de Dieu, une pure émanation de la gloire du Tout-puissant; aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle. 26 Elle est le resplendissement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l'activité de Dieu, et l'image de sa bonté. 27 Etant unique, elle peut tout; restant la même, elle renouvelle tout; se répandant, à travers les âges, dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes. 28 Dieu, en effet, n'aime que celui qui habite avec la sagesse. 29 Car elle est plus belle que le soleil, et que l'arrangement harmonieux des étoiles. Comparée à la lumière, elle l'emporte sur elle; 30 car la lumière fait place à la nuit, mais le mal ne prévaut pas contre la sagesse.
« JE CHERCHAI A L'AVOIR POUR EPOUSE, J’AI RESOLU DE LA PRENDRE POUR COMPAGNE DE MA VIE… » – [8] 1 La sagesse atteint avec force d'un bout du monde à l'autre, et dispose tout avec douceur. 2 Je l'aimai et la recherchai dès ma jeunesse; je cherchai à l'avoir pour épouse, et j'étais épris de sa beauté. 3 Elle fait voir la gloire de son origine en ce qu'elle habite avec Dieu, et le maître de toutes choses l'aime. 4
…CAR ELLE EST LA CONDITION DE TOUS LES AUTRES BIENS ET SAVOIRS – Car c'est elle qui initie à la science de Dieu, et qui choisit parmi ses œuvres. 5 Si la richesse est un bien désirable en cette vie, quoi de plus riche que la sagesse, qui opère toutes choses ? 6 Si la prudence préside au travail, qui mieux que la sagesse est l'ouvrière de tout ce qui existe? 7 Aime-t-on la justice? Les labeurs de la sagesse produisent les vertus; elle enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force, ce qu'il y a de plus utile aux hommes pendant la vie. 8 Désire-t-on une science étendue? Elle connaît le passé et conjecture l'avenir; elle pénètre les discours subtils et résout les énigmes; elle connaît à l'avance les signes et les prodiges; elle sait les événements des temps et des époques. 9 Aussi ai-je résolu de la prendre pour compagne de ma vie, sachant qu'elle serait pour moi une conseillère de tout bien, et une consolation dans mes soucis et mes peines.
10 PAR ELLE, ME DISAIS-JE, j'aurai de la gloire dans les assemblées, et, jeune encore, de l'honneur auprès des vieillards. 11 On reconnaîtra ma pénétration dans les jugements, et devant moi les grands seront dans l'admiration. 12 Si je me tais, ils attendront que je prenne la parole; si je parle, ils tiendront les yeux fixés sur moi; et si je prolonge mon discours, ils mettront la main sur leur bouche. 13 Par elle, j'obtiendrai l'immortalité, et je laisserai à la postérité un souvenir éternel. 14 Je gouvernerai des peuples, et les nations étrangères me seront soumises. 15 En entendant parler de moi, des rois redoutables me craindront: je me montrerai bon au milieu du peuple, et vaillant à la guerre. 16 A mon retour dans ma maison, je me reposerai auprès d'elle; car sa société ne cause aucune amertume, ni son commerce aucun ennui, mais le contentement et la joie.
17 MEDITANT CES PENSEES EN MOI-MEME et réfléchissant en mon cœur que l'immortalité est le fruit de l'union avec la sagesse, 18 qu'il y a dans son amitié une noble jouissance, et dans les œuvres de ses mains des richesses inépuisables, qu'on acquiert la prudence dans un commerce assidu avec elle, et la gloire à prendre part à sa conversation: j'allai de tous côtés, cherchant le moyen de l'avoir avec moi. 19 J'étais un enfant d'un bon naturel, et j'avais reçu en partage une bonne âme; 20 ou plutôt, étant bon, je vins à un corps sans souillure. 21 Mais, sachant que je ne pourrais obtenir la sagesse si Dieu ne me la donnait, - et c'était déjà de la prudence que de savoir de qui vient ce don, - je m'adressai au Seigneur, et je l'invoquai, et je lui dis du fond de mon coeur: [9] 1 «Dieu des pères, Seigneur de miséricorde, qui avez fait l'univers par votre parole, 2 et qui, par votre sagesse, avez établi l'homme pour dominer sur toutes les créatures que vous avez faites, 3 pour régir le monde dans la sainteté et la justice, et exercer l'empire dans la droiture du coeur, 4 donnez-moi la Sagesse qui est assise près de votre trône, et ne me rejetez pas du nombre de vos enfants. 5 Car je suis votre serviteur et le fils de votre servante, un homme faible, à la vie courte, et peu capable de comprendre le jugement et les lois. 6 Quelqu'un serait-il parfait parmi les enfants des hommes, s'il manque de la sagesse qui vient de vous, il sera compté pour rien.
7 Vous m'avez choisi pour régner sur votre peuple, et juger vos fils et vos filles. 8 Et vous m'avez dit de bâtir un temple sur votre montagne sainte, et un autel dans la cité où vous demeurez, sur le modèle du saint tabernacle que vous avez préparé dès l'origine. 9 Avec vous est la Sagesse qui connaît vos œuvres, qui était là quand vous faisiez l'univers, et qui sait ce qui est agréable à vos yeux, et ce qui est juste selon vos commandements. 10 Envoyez-la de vos cieux très saints, envoyez-la du trône de votre gloire, afin qu'elle m'assiste dans mes labeurs, et que je connaisse ce qui vous est agréable. 11 Car elle connaît et comprend toutes choses, et elle me conduira avec prudence dans mes œuvres, et me gardera par sa gloire. 12 Et ainsi mes œuvres vous seront agréables, je gouvernerai votre peuple avec justice, et je serai digne du trône de mon père. 13 Quel homme, en effet, peut connaître le conseil de Dieu, ou bien peut pénétrer ce que veut le Seigneur? 14 Les pensées des hommes sont incertaines, et nos opinions sont hasardées. 15 Car le corps, sujet à la corruption, appesantit l'âme, et sa demeure terrestre accable l'esprit aux pensées multiples. 16 Nous avons peine à deviner ce qui est sur la terre, et nous trouvons avec difficulté ce qui est sous notre main: qui donc a pénétré ce qui est dans le ciel? 17 Qui a connu votre volonté, si vous ne lui avez pas donné la Sagesse, et si vous n'avez pas envoyé d'en haut votre Esprit saint? 18 Ainsi ont été rendues droites les voies de ceux qui sont sur la terre, et les hommes ont appris ce qui vous est agréable, et ils ont été sauvés par la Sagesse».

Cet hymne poétique et religieux, célèbre entre tous, trace de la « Sophie » un portrait grandiose et éternel , qui rend immédiatement compréhensible pourquoi un homme qui par-dessus tout désire sa propre liberté, dirigera tous ses efforts à s’approprier la voix de la Sagesse.
(1) CAPACITE DE JUGEMENT, DONC FONDEMENT DE LA JUSTICE – La Sagesse, nous dit Salomon, est premièrement ce qui rayonne au fond de toute vraie capacité de juger [Urteilskraft], si bien dans un tribunal [1,1] que lors des importantes décisions à prendre dans notre vie : qu’elle soit publique et politique [6,1 ; 9,7] ou privée et intime [8,16]. Un homme « sage » s’impose à notre regard tout d’abord en ce qu’il est manifestement le juge et le décideur ultime de ses délibérations et de ses actions.
(2) SAVOIR PRATIQUE, PERFECTION ETHIQUE, CONNAISSANCE – Le vrai sage, en outre, sait en général bien travailler et œuvrer, dans tous les domaines : il est profondément calme et à l’aise dans toute forme de réalisation pratique. Homme expérimenté, le sage n’est pourtant pas l’ « expert », car sa vertu pratique, si subtile et néanmoins si évidente ne se laisse pas figer et appréhender comme une « compétence » parmi les autres [7,22-24]. Grand paradoxe à la racine de toute éducation qui en soit une : la vie et les actions du sage nous conduisent à avouer que la vraie sagesse – dit-on – « ne s’apprend pas ». D’où la clarté d’une image si douce et profonde: c’est bien elle-même – la Sagesse en personne – qui s’occupe de nous instruire : « elle prévient ceux qui la cherchent, et se montre à eux la première ».
(3) META-COMPETENCE – La Sagesse est donc en elle-même non pas une compétence, mais irréductiblement une « méta-compétence »… une vertu, une puissance intérieure à la source à la fois de tout apprentissage et de toute capacité d’appliquer ce que l’on a appris. Pas qu’un « savoir », elle s’impose comme un savoir-faire qui relève de l’ordre du pratique. En revanche, et avec la même évidence, ce sublime « know how » ne saurait se réduire à une habileté technique – aussi vaste profonde soit-elle – car elle n’est certes pas moralement neutre. Le sage, bien au contraire – s’il en est vraiment un – est imprégné de Bien, dans le sens le plus sublime et inconditionné du terme : ses savoirs et ses actions émanent d’une éthicité ultime, qui reste identique à elle-même, et d’autant plus lumineuse et rayonnante, au cœur de toutes les compétences dont, par ailleurs, il fait constamment preuve [7,26-30]. Car aucun vrai sage, naturellement, ne peut l’être sans puiser à un Savoir aussi vaste et multiple : il est dans son eau aussi bien lorsqu’il s’agit de trouver la vérité dans une théorie que de se nourrir de ses expériences [8,6-8] au profit d’une connaissance contemplative encore più étendue.
(4) HORIZON APRIORI – CIEL ET TERRE – A LA SOURCE DE TOUTE EXPERIENCE ET DE TOUT APPRENTISSAGE – Cet horizon de Bien et de Connaissance toujours éclairé et éclairant [8,29-30] finit alors pour se révéler non seulement comme le Ciel d’où le sage contemple et juge les choses et les événements qui l’entourent, mais aussi comme la Terre, la mère féconde [7,12] d’où ces mêmes événements destinés à l’instruire et le nourrir, font jaillir, tels des graines, tombé dans un terrain fertile, leurs fruits savoureux – œuvres, mots, entreprises, réalisations… – pour son plus grand bien, et pour le plus grand bien du monde qu’il habite et gouverne.
Sa majesté la Sagesse donc – mère nourricière, initiatrice ultime à tout mystère et à toute forme de savoir, Ciel et Terre de toute bonne vie riche d’expériences et d’histoires… – est une puissance intérieure de notre âme qui – apriori à la source de tout autre apriori – nous précède et nous devance [6,12-16] non pas, certes, comme un simple précepteur trop pressé, mais bien au contraire comme le sol même d’où – chemin faisant – nous récoltons les fruits mérités de notre labeur, et où se déroule entière la route de notre vie et de notre apprentissage essentiel.
(5) SANS AGE – Si la Sagesse « ne s’apprend pas » car elle est toujours déjà là dès qu’un homme la désire, elle n’a par conséquent pas besoin d’une chevelure blanche pour s’installer chez son élève [8,10 ; 8,21]. Déjà bien sage est donc l’enfant sincèrement désireux d’éducation [6,17] – « la Sagesse – dit-on – parle par sa bouche » – car par là même déjà conscient des limites de son esprit, aussi inéluctables et naturelles pour l’homme, que le destin de mort inscrit dans son corps dès sa naissance. [7,1-7].
(6) SOURCE DE CONSCIENCE – Et voici enfin… le sage est conscient. Il est un être qui vit dans la réflexion. Sans cesse il médite en son âme les choses de la vie, et il le fait en suivant le fil continu d’un dialogue silencieux avec soi même : « Dieu m'a donné de parler selon mes sentiments » [7,15]. La Sagesse n’est donc source de Science qu’en ce qu’elle est lumière de Conscience, et elle parle en retentissant dans le cœur du Sage toujours à la première personne, avec la voix non seulement de la Science mais de la Con-science : « méditant ces pensées en moi-même et réfléchissant en mon cœur…». Ces paroles sont les mêmes chez tout homme de sagesse dont l’histoire de l’humanité nous témoigne.
Retenez bien ces traits fondamentaux de la Sagesse. Méditez-les, et méditez ce texte vénérable, car l’ensemble de ces propos dessine déjà l’horizon entier à l’intérieur duquel se déploiera notre voyage d’initiation à la Philosophie. Le philosophe en effet, ne fait rien d’autre que chercher une voie sûre et fiable pour que l’ensemble des attributs de la Sagesse devienne l’ensemble de ses propres attributs

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(2)[CDP Descartes-T33,207] L'homme qui veut s'éduquer doit commencer tout de bon à s'appliquer à la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique qui contient les principes de la connaissance entre lesquels est l'explication des principaux attributs de Dieu, de l'immatérialité de nos âmes et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. La seconde est la physique, en laquelle, après avoir trouvé les vrais principes des choses matérielles, on examine en général comment l'univers est composé [...]. En suite de quoi il est besoin aussi d'examiner en particulier la nature des plantes, celle des animaux, et surtout celle de l'homme, afin qu'on soit capable par après de trouver les autres sciences qui lui sont utiles. Ainsi toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales: à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j'entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse.


(3)[CDP Kant-T30,315] SAPERE AUDE!



(4) DESCARTES - La Morale et la "forêt": "Marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même côté" [Discours de la méthode]

TROISIEME PARTIE: Les 4 maximes de la "morale provisoire"
- "Et enfin, comme ce n'est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où on demeure, que de l'abattre, et de faire provision de matériaux et d'architectes, ou s'exercer soi-même à l'architecture, et outre cela d'en avoir soigneusement tracé de dessin, mais qu'il faut aussi s'être pourvu de quelque autre où on puisse être logé commodément pendant le temps qu'on y travaillera; ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes dont je veux bien vous faire part.
LA PREMIERE était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la [147] religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l'excès qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j'aurais à vivre.[...]
MA SECONDE maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses lorsque je m'y serais une fais déterminé, que si elles eussent été très assurées : imitant en ceci les voyageurs, qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en [149] tournoyant tantôt d'un côté tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n'ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir; car, par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d'une forêt. Et ainsi les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c'est une vérité très certaine que, lorsqu'il n'est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables; et même qu'encore que nous ne remarquions point davantage de probabilité aux unes qu'aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques unes, et les considérer après, non plus comme douteuses en tant qu'elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer se trouve telle. Et ceci fut capable dès lors de me délivrer de tous les repentirs et les remords qui ont coutume d'agiter les consciences de ces esprits faibles et chancelants qui se laissent aller inconstamment à pratiquer comme bonnes les choses qu'ils jugent après être mauvaises.
MA TROISIEME maxime était de tâcher toujours [150] plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde, et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible.[...]
ENFIN pour conclusion de cette morale,je m'avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure; et, sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c'est-à-dire que d'employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m'avancer autant que je pourrais en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite."



(5) DESCARTES - L'esprit et le tourbillons du doute: "je continuerai toujours dans ce chemin, jusqu'à ce que j'aie rencontré quelque chose de certain" [Les Méditations]

MEDITATION SECONDE De la nature de l'esprit humain; et qu'il est plus aisé à connaître que le corps - LA Méditation que je fis hier m'a rempli l'esprit de tant de doutes, qu'il n'est plus désormais en ma puissance de les oublier. Et cependant je ne vois pas de quelle façon je les pourrai résoudre; et comme si tout à coup j'étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris, que je ne puis ni assurer mes pieds dans le fond, ni nager pour me soutenir au-dessus. Je m'efforcerai néanmoins, et suivrai derechef la même voie où j'étais entré hier, en m'éloignant de tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute, tout de même que si je connaissais que cela fût absolument faux; et je continuerai toujours dans ce chemin, jusqu'à ce que j'aie rencontré quelque chose de certain ou du moins, si je ne puis autre chose, jusqu'à ce que j'aie appris certainement, qu'il n'y a rien au monde de certain. Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu'un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j'aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable."


(6) DESCARTES - La matière et le "chaos": "tout corps qui se meut, tend à continuer son mouvement en ligne droite"[Le Monde et Les Principes]
(Le Monde)CHAPITRE VII Des lois de la Nature de ce nouveau Monde - Je ne veux pas différer plus longtemps à vous dire par quel moyen la Nature seule pourra démêler la confusion du Chaos dont j'ai parlé, et quelles sont les lois que Dieu lui a imposées.[...] Je mettrai ici deux ou trois des principales règles, suivant lesquelles il faut penser que Dieu fait agir la Nature de ce nouveau Monde et qui suffiront, comme je crois, pour vous faire connaître toutes les autres.
LA PREMIERE est que chaque partie de la matière en particulier continue toujours d'être en un même état pendant que la rencontre des autres ne la contraint point de le changer : c'est-à-dire que, si elle a quelque grosseur, elle ne deviendra jamais plus petite, sinon que les autres la divisent; si elle est ronde ou carrée, elle ne changera jamais cette figure sans que les autres l'y contraignent; si elle est arrêtée en quelque lieu, elle n'en partira jamais que les autres ne l'en chassent ; et si elle a une fois commencé à se mouvoir, elle continuera toujours avec une égale force jusques à ce que les autres l'arrêtent ou la retardent.[...]
[Les Principes] LA SECONDE loi de la nature: Que tout corps qui se meut, tend à continuer son mouvement en ligne droite. La seconde loi que je remarque en la nature, est que chaque partie de la matière, en fon particulier, ne tend jamais à continuer de se mouvoir suivant des lignes courbes, mais suivant des lignes droites, bien que plusieurs de ces parties soient souvent contraintes de se détourner, pource qu'elles en rencontrent d'autres en leur chemin, et que lors qu'un corps se meut, il se fait toujours un cercle ou anneau de toute la matière qui est mue ensemble. Cette règle, comme la précédente, dépend de ce que Dieu est immuable, et qu'il confère le mouvement en la matière par une opération très simple; car il ne le confère pas comme il a pu être quelque temps auparavant, mais comme il est precifement au même instant qu'il le confère.



Textes 7A-7B en PDF
(7A) [CDP Kant T3(intégré), 293 ]

«[0] Dans le travail auquel on se livre sur les connaissances qui sont proprement l'œuvre de la raison on juge bientôt par le résultat si l'on a suivi ou non la route sûre de la science. Si, après toutes sortes de préparatifs et de dispositions, on se trouve arrêté au moment où l'on croit toucher le but ; ou si, pour l'atteindre, on est souvent forcé de revenir sur ses pas et de prendre une autre route ; ou bien encore s'il n'est pas possible d'accorder entre eux les divers travailleurs sur la façon dont le but commun doit être poursuivi, c'est un signe certain que l'étude à laquelle on se livre est loin d'être entrée dans la voie sûre de la science, mais qu'elle n'est encore qu'un tâtonnement. Or c'est déjà un mérite aux yeux de la raison que de découvrir autant que possible cette voie, dût-on abandonner comme vaine une grande partie du but qu'on s'était d'abord proposé sans réflexion.
[1]Ce qui montre, par exemple, que la LOGIQUE est entrée depuis les temps les plus anciens dans cette voie certaine, c'est que, depuis Aristote, elle n’a pas eu besoin de faire un pas en arrière, à moins que l'on ne regarde comme des améliorations le retranchement de quelques subtilités inutiles, ou une plus grande clarté dans l'exposition, toutes choses qui tiennent plutôt à l'élégance qu’à la certitude de la science. Il est aussi digne de remarquer que, jusqu'ici, elle n’a pu faire un seul pas en avant, et qu’ainsi, selon toute apparence, elle semble arrêtée et achevée.
Les mathématiques et la physique sont les deux connaissances théorétiques de la raison qui déterminent a priori leur objet, la première d'une façon entièrement pure, la seconde du moins en partie, mais aussi dans la mesure que lui permettent d'autres sources de connaissance que la raison.
[2] LES MATHEMATIQUES, dès les temps les plus reculés où puisse remonter l'histoire de la raison humaine, ont suivi, chez cet admirable peuple grec, la route sûre de la science. Mais il ne faut pas croire qu'il ait été aussi facile aux mathématiques qu'à la logique, où la raison n'a affaire qu'à elle-même, de trouver cette route royale, ou pour mieux dire, de se la frayer. Je crois plutôt qu'elle est restée longtemps à tâtonner (surtout chez les Égyptiens), et que ce changement fut l'effet d'une révolution due à un seul homme, qui conçut l'heureuse idée d'un essai après lequel il n'y avait plus à se tromper sur la route à suivre, et le chemin sûr de la science se trouvait ouvert et tracé pour tous les temps et à des distances infinies.
L’histoire de cette révolution intellectuelle, beaucoup plus importante cependant que la découverte de la route par le fameux cap, l'histoire aussi de l'homme qui eut le bonheur de l'accomplir n'est pas parvenue jusqu'à nous. Cependant la tradition que nous transmet Diogène Laërce, en nommant le prétendu inventeur de ces éléments les plus simples des démonstrations géométriques qui, suivant l'opinion commune, n'ont besoin d'aucune preuve, cette tradition prouve que le souvenir du changement opéré par le premier pas fait dans cette route nouvellement découverte, a dû paraître extrêmement important aux mathématiciens, et a été sauvé par cela de l'oubli.
Le premier qui démontra le triangle équilatéral (qu'il s'appelât Thalès ou de tout autre nom) fut frappé d'une grande lumière ; car il trouva qu'il ne devait pas s'attacher à ce qu'il voyait dans la figure, ou même au simple concept qu'il en avait, mais qu'il n'avait qu'à dégager ce que lui-même y faisait entrer par au moyen de ce qu'il pensait à ce sujet et se représentait a priori par concepts, et que, pour connaître avec certitude une chose a priori, il ne devait attribuer à cette chose que ce qui dérivait nécessairement de ce qu'il y avait mis lui-même, en conséquence de son concept.
[3] LA PHYSIQUE arriva beaucoup plus lentement à trouver la grande route de la science ; car il n'y a guère plus d'un siècle et demi, que l'essai ingénieux de Bacon de Vérulam a en partie provoqué, et, parce qu'on était déjà sur la trace, en partie stimulé encore cette découverte, qui ne peut s'expliquer que par une révolution subite de la pensée. Je ne veux ici considérer la physique qu'autant qu'elle est fondée sur des principes empiriques.
Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur un plan incliné avec une accélération déterminée et choisie par lui-même, ou que Torricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait être égal à celui d'une colonne d'eau à lui connue, ou que, plus tard, Sthal transforma des métaux en chaux et celle-ci à son tour en métal, en y retranchant ou en y ajoutant certains éléments, alors ce fut une nouvelle lumière pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison n’aperçoit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements suivant des lois constantes, et forcer la nature à répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme en lisières ; car autrement nos observations faites au hasard et sans aucun plan tracé d'avance ne sauraient se rattacher à une loi nécessaire, ce que cherche et exige pourtant la raison. Celle-ci doit se présenter à la nature tenant d'une main ses principes, qui seuls peuvent donner à des phénomènes concordants l'autorité de lois, et de l'autre l'expérimentation, telle qu'elle l'imagine d'après ces mêmes principes. Elle lui demande de l'instruire, non comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais comme un juge en fonctions, qui contraint les témoins à répondre aux questions qu'il leur adresse. La physique est donc redevable de l'heureuse révolution qui s'est opérée dans sa méthode à cette simple idée, qu'elle doit chercher (et non imaginer) dans la nature, conformément aux idées que la raison même y transporte, ce qu'elle doit en apprendre, et dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est ainsi qu'elle est entrée d'abord dans le sûr chemin de la science, après n'avoir fait pendant tant de siècles que tâtonner.
[4] LA METAPHYSIQUE est une connaissance rationnelle spéculative tout à fait à part, qui s'élève entièrement au-dessus des leçons de l'expérience, en ne s'appuyant que sur de simples concepts (et non en appliquant comme les mathématiques ces concepts à l'intuition), et où, par conséquent, la raison doit être son propre élève. Cette connaissance n'a pas encore été assez favorisée du sort pour pouvoir entrer dans le sûr chemin de la science, et pourtant elle est plus vieille que toutes les autres, et elle subsisterait toujours, alors même que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre d'une barbarie dévastatrice. […] Or, d'où vient qu'ici la science n'a pu ouvrir encore un chemin sûr ? Cela serait-il par hasard impossible? […] Peut-être jusqu'ici a-t-on fait fausse route. […] En voyant toutefois comment les mathématiques et la physique sont devenues, par reflet d'une révolution subite, ce qu'elles sont aujourd'hui, je devais juger l’exemple assez remarquable pour être amené à réfléchir au caractère essentiel d'un changement de méthode qui a été si avantageux à ces sciences, et à les imiter ici, du moins à titre d'essai, autant que le comporte leur analogie, comme connaissances rationnelles, avec la métaphysique. On a admis jusqu'ici que toutes nos connaissances devaient se régler sur les objets ; mais, dans cette hypothèse, tous nos efforts pour établir à l'égard de ces objets quelque jugement a priori et par concept qui étendît notre connaissance n'ont abouti à rien. Que l'on cherche donc une fois si nous ne serions pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique, en supposant que les objets se règlent sur notre connaissance, ce qui s'accorde déjà mieux avec ce que nous désirons démontrer, à savoir la possibilité d'une connaissance a priori de ces objets qui établisse quelque chose à leur égard, avant même qu'ils nous soient donnés. Il en est ici comme de la première idée de Copernic : voyant qu'il ne pouvait venir à bout d'expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des étoiles tournait autour du spectateur, il chercha s'il n'y réussirait pas mieux en supposant que c'est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles» [Kant - Critique de la Raison Pure, Préface du 1787]


(7B) Kant - Comment la métaphysique est-elle possible? - "La solution du précédent problème suppose la possibilité d'un usage pur de la raison dans l'établissement et le développement de toutes les sciences qui contiennent une connaissance théorétique a priori de certains objets, c'est-à-dire qu'elle suppose elle-même une réponse à ces questions:
Comment les mathématiques pures sont-elles possibles ?
Comment la physique pure est-elle possible ?
Puisque ces sciences existent réellement, il est tout simple que l'on se demande comment elles sont possibles ; car il est prouvé par leur réalité même qu'elles doivent être possibles*. Mais pour la métaphysique, comme elle a toujours suivi jusqu'ici une voie détestable, et comme on ne peut dire qu'aucune des tentatives qui ont été faites jusqu'à présent pour atteindre son but essentiel ait réel lement réussi, il est bien permis à chacun de douter de sa possibilité.
Cependant cette espèce de connaissance peut aussi en un certain sens être considérée comme donnée, et la métaphysique est bien réelle, sinon à titre de science, du moins à titre de disposition naturelle (metaphysica naturalis). En effet la raison humaine, poussée par ses propres besoins, et sans que la vanité de beaucoup savoir y soit pour rien, s'élève irrésistiblement jusqu'à ces questions qui ne peuvent être résolues par aucun usage expérimental de la raison ni par aucun des principes qui en émanent. C'est ainsi qu'une sorte de métaphysique se forme réellement chez tous les hommes, dès que leur raison est assez mûre pour s'élever à la spéculation ; cette métaphysique-là a toujours existé et existera toujours. Il y a donc lieu de poser ici cette question : comment la métaphysique est-elle possible à titre de disposition naturelle? c'est-à-dire comment naissent de la nature de l'intelligence humaine en général ces questions que la raison pure s'adresse et que ses propres besoins la poussent à résoudre aussi bien qu'elle le peut?"[Critique de la Raison Pure (1787), Introduction]


(7C) Caianiello sur le Plan incliné PDF


(8) Nietzsche sur Thalès


(9A) Euclide, Eléments I

«Postulats
Il est demandé qu’il soit possible :
1. de mener une ligne droite de tout point à tout point.
2. de prolonger continûment en ligne droite une ligne droite limitée.
3. de décrire un cercle à partir de tout centre et au moyen de tout intervalle.
4. que tous les angles droits soient égaux entre eux.
5. que, si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs et du même côté plus petits que deux droits, les deux droites, indéfiniment prolongées, se rencontrent du côté où sont les angles plus petits que deux droits.
Notions communes
1. Les choses égales à une même chose sont aussi égales entre elles.
2. Et si, à des choses égales, des choses égales sont ajoutées, les touts sont égaux.
3. Et si, à partir de choses égales, des choses égales sont retranchées, les restes sont égaux.
4. Et si, à des choses inégales, des choses égales sont ajoutées, les touts sont inégaux.
5. Et les doubles du même sont égaux entre eux.
6. Et les moitiés du même sont égales entre elles.
7. Et les choses qui s'ajustent les unes sur les autres sont égales entre elles.
8. Et le tout est plus grand que la partie.
9. Et deux droites ne contiennent pas une aire »


(9B) Euclide, Eléments I,1

[p0] Thèse Sur un segment AB donné nous allons construire un triangle ABC équilatéral

Démonstration

dimostrazione El.1,1


[p1] Soit donné le segment AB
[p2] Soit le segment AB le rayon du cercle ACD
[p3] Soit ce même AB le rayon du cercle ACE=ACD
[p4] Du point d’intersection de ces deux cercles, menons les segments CA et CB, joignant respectivement les points A et B au point C
[p5] Or les segments AB, CA et CB sont égaux entre eux, car ils sont les rayons des deux cercles égaux entre eux
DONC
[p5 = p0] Conclusion - Le triangle ABC est équilatéral »

0.LA PHILOSOPHIE

(10)[Bible CDP T2, 70] Ils surent qu’ils étaient nus (l’Homme convoite la connaissance)


(11)Aristote La Métaphysique A1 [CDP T6, 111] Voir et savoir (par sa nature l’Homme désire la connaissance)

(11B) Aristote La Métaphysique A1-6

(12)[S. Thomas, CDP T2, 156] La contemplation...(...gratuite de la vérité pour elle-même est le propre de l’Homme)

(13)[A. Smith, CDP, 287] L’intérêt personnel et l’avantage sont à l’origine des échanges (et donc de la richesse des nations)


(14)[Platon CDP T1, 82] Socrate et la philosophie (dans l’Athènes démocratique)


(15) La "sagesse humaine" de Socrate (PDF)

«Reprenons donc dans son principe l’accusation [19b] sur laquelle s’appuient mes calomniateurs, et qui a donné à Mélitus la confiance de me traduire devant le tribunal. Voyons; que disent mes calomniateurs? Car il faut mettre leur accusation dans les formes, et la lire comme si, elle était écrite, et le serment prêté

Socrate est un homme dangereux, qui, par une curiosité criminelle, veut pénétrer ce qui se passe dans le ciel et sous la terre, fait une bonne cause d’une mauvaise, [19c] et enseigne aux autres ces secrets pernicieux.

Voilà l’accusation ; c’est ce que vous avez vu dans la comédie d’Aristophane, où l’on représente un certain Socrate, qui dit qu’il se promène dans les airs, et autres semblables extravagances sur des choses où je n’entends absolument rien ; et je ne dis pas cela pour déprécier ce genre de connaissances, s’il y a quelqu’un qui y soit habile (et que Mélitus n’aille pas me faire ici de nouvelles affaires) ; mais c’est qu’en effet, je ne me suis jamais mêlé de ces matières, [19d] et je puis en prendre à témoin la plupart d’entre vous.

Et ici quelqu’un de vous me dira sans doute : Mais, Socrate, que fais-tu donc ? Et d’où viennent ces calomnies que l’on a répandues contre toi ? Car si tu ne faisais rien de plus ou autrement que les autres, on n’aurait jamais tant parlé de toi. Dis-nous donc ce que c’est, afin que nous ne portions pas un jugement téméraire. [20d] Rien de plus juste assurément qu’un pareil langage ; et je vais tâcher de vous expliquer ce qui m’a fait tant de réputation et tant d’ennemis. Écoutez-moi ; quelques-uns de vous croiront peut-être que je ne parle pas sérieusement ; mais soyez bien persuadés que je ne vous dirai que la vérité. En effet, Athéniens, la réputation que j’ai acquise vient d’une certaine sagesse qui est en moi. Quelle est cette sagesse ? C’est peut-être une sagesse purement humaine ; et je cours grand risque de n’être sage que de celle-là, tandis que les hommes dont je viens de vous parler [20e] sont sages d’une sagesse bien plus qu’humaine. Je n’ai rien à vous dire de cette sagesse supérieure, car je ne l’ai point ; et qui le prétend en impose et veut me calomnier. Mais je vous conjure, Athéniens, de ne pas vous émouvoir, si ce que je vais vous dire vous paraît d’une arrogance extrême ; car je ne vous dirai rien qui vienne de moi, et je ferai parler devant vous une autorité digne de votre confiance ; je vous donnerai de ma sagesse un témoin qui vous dira si elle est, et quelle elle est ; et ce témoin c’est le dieu de Delphes. Vous connaissez tous [21a] Chéréphon, c’était mon ami d’enfance ; il l’était aussi de la plupart d’entre vous ; il fut exilé avec vous, et revint avec vous. Vous savez donc quel homme c’était que Chéréphon, et quelle ardeur il mettait dans tout ce qu’il entreprenait. Un jour, étant allé à Delphes, il eut la hardiesse de demander à l’oracle (et je vous prie encore une fois de ne pas vous émouvoir de ce que je vais dire) ; il lui demanda s’il y avait au monde un homme plus sage que moi : la Pythie lui répondit qu’il n’y en avait aucun. A défaut de Chéréphon, qui est mort, son frère, qui est ici, [21b] pourra vous le certifier. Considérez bien, Athéniens, pourquoi je vous dis toutes ces choses, c’est uniquement pour vous faire voir d’où viennent les bruits qu’on a fait courir contre moi.

Quand je sus la réponse de l'oracle, je me dis en moi-même : que veut dire le dieu ? Quel sens cachent ses paroles ? Car je sais bien qu'il n'y a en moi aucune sagesse, ni petite ni grande; Que veut-il donc dire, en me déclarant le plus sage des hommes ? Car enfin il ne ment point; un dieu ne saurait mentir. Je fus longtemps dans une extrême perplexité sur le sens de l'oracle, jusqu'à ce qu'enfin, après bien des incertitudes, je pris le parti que vous allez entendre pour [21c] connaître l'intention du dieu.
J’allai chez un de nos concitoyens, qui passe pour un des plus sages de la ville, et j’espérais que là, mieux qu’ailleurs, je pourrais confondre l’oracle, et lui dire : tu as déclaré que je suis le plus sage des hommes, et celui-ci est plus sage que moi. Examinant donc cet homme, dont je n’ai que faire de vous dire le nom, il suffit que c’était un de nos plus grands politiques, et m’entretenant avec lui, je trouvai qu’il passait pour sage aux yeux de tout le monde, surtout aux siens, et qu’il ne l’était point. Après cette découverte, je m’efforçai de lui faire voir qu’il n’était nullement ce qu’il croyait être ; et voilà déjà ce qui me rendit odieux [21d] à cet homme et à tous ses amis, qui assistaient à notre conversation. Quand je l’eus quitté, je raisonnai ainsi en moi-même : je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux ; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu’il ne sache rien ; et que moi, si je me sais rien, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc qu’en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas savoir [21e] ce que je ne sais point. De là, j’allai chez un autre, qui passait encore pour plus sage que le premier ; je trouvai la même chose, et je me fis là de nouveaux ennemis… […]
La vérité est qu’Apollon seul est sage, et qu’en disant que je suis le plus sage des hommes il a voulu dire seulement, par son oracle, que toute la sagesse humaine n’est pas grand-chose, ou même qu’elle n’est rien ; [23b] et il est évident que l’oracle ne parle pas ici de moi, mais qu’il s’est servi de mon nom comme d’un exemple, et comme s’il eût dit à tous les hommes : le plus sage d’entre vous, c’est celui qui, comme Socrate, reconnaît que sa sagesse n’est rien.
Convaincu de cette vérité, pour m’en assurer encore davantage, et pour obéir au dieu, je continue ces recherches, et vais examinant tous ceux de nos concitoyens et des étrangers, en qui j’espère trouver la vraie sagesse ; et quand je ne l’y trouve point, je sers d’interprète à l’oracle, en leur faisant voir qu’ils ne sont point sages. Cela m’occupe si fort, que je n’ai pas eu le temps d’être un peu utile à la république, ni à ma [23c] famille ; et mon dévouement au service du dieu m’a mis dans une gêne extrême.
D’ailleurs, beaucoup de jeunes gens, qui ont du loisir, et qui appartiennent à de riches familles, s’attachent à moi, et prennent un grand plaisir à voir de quelle manière j’éprouve les hommes ; eux-mêmes ensuite tâchent de m’imiter, et se mettent à éprouver ceux qu’ils rencontrent ; et je ne doute pas qu’ils ne trouvent une abondante moisson ; car il ne manque pas de gens qui croient tout savoir, quoiqu’ils ne sachent rien, ou très peu de chose » [Platon, Apologie]

(16) Platon - Le philosophe « Il me semble maintenant nécessaire de distinguer quels sont les philosophes dont nous parlons quand nous osons dire qu'il faut leur confier le gouvernement […]. Eh bien! Faudra-t-il te rappeler, ou te rappelles-tu, que lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il aime une chose, on n'entend point par là, si l'on parle juste, qu'il aime une partie de cette chose et non l'autre, mais qu'il la chérit tout entière ?
[Le Dongiovanni...] Un amoureux comme toi ne doit pas oublier que toutes celles qui sont en leur bel âge piquent et émeuvent, de manière ou d'autre, celui qui aime les jeunes filles, parce que toutes lui paraissent dignes de ses soins et de sa tendresse. […]
[L’Ivrogne...] Et ne vois-tu pas que les personnes adonnées au vin agissent de même, et ne manquent jamais de prétextes pour faire bon accueil à toute espèce de vin ? – Si je le vois très bien –
[L’Arriviste...] Tu vois aussi, je pense, que les ambitieux, lorsqu'ils ne peuvent avoir le haut commandement, commandent un tiers de tribu, et que, lorsqu'ils ne sont pas 475b honorés par des gens d'une classe supérieure et respectable, ils se contentent de l'être par des gens d'une classe inférieure et méprisable, parce qu'ils sont avides de distinctions, quelles qu'elles soient. – Parfaitement –
[...et le Philosophe] Maintenant réponds-moi : si nous disons de quelqu'un qu'il désire une chose, affirmerons-nous par là qu'il la désire dans sa totalité, ou qu'il ne désire d'elle que ceci et non cela ? – Qu'il la désire dans sa totalité. – Ainsi nous dirons que le philosophe désire la sagesse, non pas dans telle ou telle de ses parties, mais tout entière. – C'est vrai – Nous ne dirons pas de celui qui se montre rebelle aux sciences, surtout [475c] s'il est jeune et ne distingue pas encore ce qui est utile de ce qui ne l'est pas, qu'il est ami du savoir et philosophe : de même qu'on ne dit pas d'un homme qui se montre difficile sur la nourriture qu'il a faim, ni qu'il désire quelque aliment, mais qu'il est sans appétit – Oui, et nous aurons raison – Mais celui qui veut goûter de toute science, qui se met joyeusement à l'étude et s'y révèle insatiable, celui-là nous l'appellerons à bon droit philosophe, n'est-ce pas? » [Platon, La République V]


(17) Platon - Le philosophe « [475d] Alors Glaucon : à ce compte tu auras de nombreux et d'étranges philosophes, car me paraissent l'être tous ceux qui aiment les spectacles, à cause du plaisir qu'ils éprouvent à apprendre; mais les plus bizarres à ranger dans cette classe sont ces gens avides d'entendre qui, certes, n'assisteraient pas volontiers à une discussion telle que la nôtre, mais qui, comme s'ils avaient loué leurs oreilles pour écouter tous les chœurs, courent aux Dionysies, ne manquant ni celles des cités, ni celles des campagnes. Appellerons-nous philosophes tous ces hommes et ceux qui montrent de l'ardeur pour apprendre de semblables choses [475e] et ceux qui étudient les arts inférieurs ? – Assurément non; ces gens ressemblent simplement aux philosophes. – Quels sont alors, selon toi, les vrais philosophes ? – Ceux qui aiment le spectacle de la vérité, répondis-je. – Tu as certainement raison, reprit-il; mais qu'entends-tu par là ?... » [Ibid.]


(18) [Aristote CDP T7, 111] La métaphysique, science de l’être en tant qu’être [Métaphysique, IV] "Il y a une science qui étudie l’être en tant qu’être et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. Elle ne se confond avec aucune des science dites particulières, car aucune de ces autres sciences ne considère en général l’être en tant qu’être, mais découpant une certaine partie de l’être, c’est seulement de cette partie qu’elles étudient l’attribut essentiel ; tel est le cas des sciences mathématiques. Mais puisque nous recherchons les principes premiers et les causes les plus élevées, il est évident qu’il existe nécessairement quelque réalité à laquelle ces principes et ces causes appartiennent en vertu de sa nature propre. Si donc les philosophes qui recherchaient les éléments des êtres recherchaient ces mêmes principes, il en résulte nécessairement que les éléments de l’être sont éléments de l’être non pas en tant qu’accident, mais en tant qu’être. C’est pourquoi nous devons aussi appréhender les causes premières de l’être en tant qu’être. [Livre III,I"

(19) [Parménide, CDP 75] L’Etre


(20) [Plotin CDP T2,146] L’ineffable (l’Un absolu)


(21) [Aristote CDP T8,112] Dieu, premier moteur et acte pur


(22) [Hegel CDP T1,325] La philosophie est un système et un cercle


(23) [Comte T1,359] La loi des trois états


(24)[Kant CDP T2, 292(intégré)] Ce qu’est la métaphysique « La raison humaine est soumise, dans une partie de ses connaissances, à cette condition singulière qu'elle ne peut éviter certaines questions et qu'elle en est accablée. Elles lui sont suggérées par sa nature même, mais elle ne saurait les résoudre, parce qu'elles dépassent sa portée. Ce n'est pas sa faute si elle tombe dans cet embarras. Elle part de principes dont l'usage est inévitable dans le cours de l'expérience, et auxquels cette même expérience donne une garantie suffisante. À l'aide de ces principes, elle s'élève toujours plus haut (comme l'y porte d'ailleurs sa nature), vers des conditions plus éloignées. Mais, s'apercevant que, de cette manière, son œuvre doit toujours rester inachevée, puisque les questions ne cessent jamais, elle se voit contrainte de se réfugier dans des principes qui dépassent tout usage expérimental possible, et qui pourtant paraissent si peu suspects que le sens commun lui-même y donne son assentiment. Mais aussi elle se précipite par là dans une telle obscurité et dans de telles contradictions qu'elle est portée à croire qu'il doit y avoir là quelque erreur cachée, quoiqu'elle ne puisse la découvrir, parce que les principes dont elle se sert sortant des limites de toute expérience, n'ont plus de pierre de touche. Le champ de bataille où se livrent ces combats sans fin, voilà ce qu'on nomme la Métaphysique.

Il fut un temps où elle était appelée la reine de toutes les sciences ; et, si l'on répute l'intention pour le fait, elle méritait bien ce titre glorieux par la singulière importance de son objet. Mais, aujourd'hui, il est de mode de lui témoigner un mépris absolu, et cette antique matrone, abandonnée et repoussée de tous, peut s'écrier avec Hécube :
Modo maxima rerum / Tot generis natisque potens.../ Nunc trahor exul, inops. (Ovide, Métam.)

Sa domination fut d'abord despotique : c'était le règne des dogmatiques. Mais, comme ses lois portaient encore les traces de l'ancienne barbarie, des guerres intestines la firent tomber peu à peu en pleine anarchie, et les sceptiques, espèce de nomades qui ont en horreur tout établissement fixe sur le sol, rompaient de temps en temps le lien social. Mais, comme par bonheur ils étaient peu nombreux, ils ne pouvaient empêcher les dogmatiques de chercher à reconstruire à nouveau l'édifice renversé, sans avoir d'ailleurs de plan sur lequel ils fussent d'accord entre eux.

À une époque plus récente, une certaine physiologie de l'entendement humain (je veux parler de la doctrine de l'illustre Locke) sembla un instant devoir mettre un terme à toutes ces querelles et prononcer définitivement sur la légitimité de toutes ces prétentions. Mais, quoique notre prétendue reine eût une naissance vulgaire, ou qu'elle fût sortie de l'expérience commune, et que cette extraction dût rendre ses prétentions justement suspectes, il arriva que, comme on lui avait en effet fabriqué une fausse généalogie, elle continua de les soutenir, et qu'ainsi tout retomba dans le vieux dogmatisme vermoulu, et, par suite, dans le mépris auquel on avait voulu soustraire la science.

Aujourd'hui, après que toutes les voies (à ce que l'on croit) ont été vainement tentées, le dégoût ou une parfaite indifférence, cette mère du chaos et de la nuit, règne dans les sciences ; mais là aussi est, sinon l'origine, du moins le prélude de leur transformation ou d'une rénovation qui fera cesser l'obscurité, la confusion et la stérilité où les avaient réduites un zèle mal entendu.

Il serait bien vain, en effet, de vouloir affecter de l'indifférence pour des recherches dont l'objet ne saurait être indifférent à la nature humaine. Aussi tous ces prétendus indifférents, qui prennent si bien soin de se déguiser en substituant un langage populaire à celui de l'école, ne manquent-ils pas, pour peu qu'ils pensent à quelque chose, de retomber dans ces mêmes assertions métaphysiques pour lesquelles ils avaient affiché tant de mépris. Cependant, cette indifférence, qui s'élève au sein de toutes les sciences et qui atteint justement celles dont la connaissance aurait le plus de prix à nos yeux, si nous pouvions la posséder, cette indifférence est un phénomène digne d'attention. Elle n'est pas évidemment l'effet de la légèreté, mais bien de la maturité du jugement d'un siècle qui n'entend plus se contenter d'une apparence de savoir, et qui demande à la raison de reprendre à nouveau la plus difficile de toutes ses tâches, celle de la connaissance de soi-même, et d'instituer un tribunal qui, en assurant ses légitimes prétentions, repousse toutes celles qui sont sans fondement, non par une décision arbitraire, mais au nom de ses lois éternelles et immuables, en un mot la Critique de la raison pure elle-même. Je n'entends point par là une critique des livres et des systèmes, mais celle de la faculté de la raison en général, considérée par rapport à toutes les connaissances auxquelles elle peut s'élever indépendamment de toute expérience ; par conséquent, la solution de la question de la possibilité ou de l'impossibilité d'une métaphysique en général et la détermination de ses sources, de son étendue et de ses limites, tout cela suivant de fermes principes.

Cette voie, la seule qui ait été laissée de côté, est justement celle où je suis entré, et je me flatte d'y avoir trouvé le renversement de toutes les erreurs qui avaient jusqu'ici divisé la raison avec elle-même dans ses excursions en dehors de l'expérience. Je n'ai point cependant éludé ses questions en m'excusant sur l'impuissance de la raison humaine ; je les ai, au contraire, parfaitement spécifiées d'après certains principes, et, après avoir découvert le point précis du malentendu de la raison avec elle-même, je les ai résolues à son entière satisfaction. À la vérité, cette solution n'est point telle que pouvait la souhaiter la vaine curiosité des dogmatiques ; car cette curiosité ne saurait être satisfaite qu'au moyen d'un art magique auquel je n'entends rien. Aussi bien n'est-ce pas en cela que consiste la destination naturelle de la raison ; le devoir de la philosophie est de dissiper l'illusion résultant du malentendu dont je viens de parler, dût-elle anéantir du même coup les opinions les plus accréditées et les plus chères. Dans cette entreprise, je me suis appliqué à tout embrasser, et j'ose dire qu'il n'y a point un seul problème métaphysique qui ne soit ici résolu, ou du moins dont la solution ne trouve ici sa clef. C'est qu'aussi la raison pure offre une si parfaite unité que, si son principe était insuffisant à résoudre une seule des questions qui lui sont proposées par sa propre nature, on serait fondé à le rejeter, parce qu'alors aucune autre question ne pourrait être résolue avec une entière certitude » [Kant, Critique de la Raison Pure, Préface à la première édition, 1781]


(25)[Pyrrhon CDP,122] Suspendre son jugement « »


(26)[Montaigne CDP T2,164] Science sans conscience « »


(27)[Hume CDP T2, 260] « »


(28)[Hume CDP T3, 261] « »


(29)[Nietzsche CDP T6, 407] Le langage, prétendue science « »


(30) [Nietzsche CDP T7, 408] La science et la vérité « »


(31) [Nietzsche CDP T16, 416] Le nihilisme « »


(32) M.Foucault «Or, si le généalogiste prend soin d’écouter l’histoire plutôt que d’ajouter foi à la métaphysique, qu’apprend-il ? Que derrière les choses il y a « tout-autre chose » : non point leur secret essentiel et sans date, mais le secret qu’elles sont sans essence, ou que leur essence fut construite pièce à pièce à partir de figures qui lui étaient étrangères. La Raison ? Mais elle est née d’une façon tout à fait « raisonnable » - du hasard. L’attachement à la vérité et à la rigueur des méthodes scientifiques ? De la passion des savants, de leur haine reciproque , de leurs discussions fanatiques et toujours reprises, du besoin de l’emporter [M.Foucault, Nietzsche, la généalogie, l’histoire, dans Hommage à J. Hippolite PUF 1971 p.148]»


(33) Descartes « C'est pourquoi, sitôt que l'âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l'étude des lettres; et me résolvant de ne chercher plus d'autre science que celle qui se pourrait trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde, j'employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m'éprouver moi- même dans les rencontres que la fortune me proposait, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentaient que j'en pusse tirer quelque profit. Car il me semblait que je pourrais rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et dont l'événement le doit punir bientôt après s'il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d'autre conséquence, sinon que peut- être il en tirera d'autant plus de vanité qu'elles seront plus éloignées du sens commun, à cause qu'il aura dû employer d'autant plus d'esprit et d'artifice à tâcher de les rendre vraisemblables. Et j'avais toujours un extrême désir d'apprendre à distinguer le vrai d'avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie» [Descartes, Discours de la Méthode]


1.La MATIERE ET L'ESPRIT

(34) PLATON – La « gigantomachie » de la Matière et de l’Esprit

« ÉT. A présent il faut nous convaincre [246a] qu'il n'est pas plus aisé d'expliquer l'Être que le Non-être. TH. Eh bien! Allons-y ! ÉT. En vérité, il y a entre les penseurs comme une espèce de gigantomachie, tant ils sont peu d'accord dans leurs idées sur l'Être. TH. Comment cela?
ÉT. Les uns rabaissent à la terre toutes les choses du ciel et de l'ordre invisible , et ne savent qu'embrasser grossièrement de leurs mains les pierres et les arbres qu’ils rencontrent. Attachés à tous ces objets, ils nient qu'il y ait rien autre que ce que les sens peuvent atteindre. [246b] Le corps et l'être sont pour eux une seule et même chose [= tout ce qui « est » est un corps] Ceux qui viennent leur dire qu'il y a quelque chose qui n'a point de corps, excitent leur mépris, et ils n'en veulent pas entendre davantage. TH. Tu parles là de terribles gens, avec lesquels j'ai eu maintes fois occasion de me rencontrer.
ÉT. Aussi leurs adversaires s'en vont-ils avec raison, pour les combattre, chercher dans une région supérieure et invisible des formes intelligibles et incorporelles qu'ils les forcent de reconnaître pour les véritables êtres; et quant aux corps et à cette prétendue réalité que les autres admettent seule, [246c] ils les réduisent en poussière par leurs raisonnements, et ne leur accordent, au lieu de l'existence, qu'un perpétuel mouvement. Les deux partis, Théétète, se livrent d'interminables combats. TH. Il est vrai. ÉT. Demandons-leur, donc, de nous rendre compte tour à tour de leur manière de voir sur la nature de l'être. […]
"LES PARTISANS DES CORPS" – ÉT. Lorsque les partisans des corps entendent parler d'un être « animé », croient-ils que ce soit quelque chose? TH. Comment ne le croiraient-ils pas? ÉT. Et ne conviennent-ils pas que c'est un corps où respire une âme? TH. Sans doute. ÉT. Ils mettent donc l’âme au nombre des êtres? [247a] TH. Oui. ÉT. Bien; et ne trouvent-ils pas telle âme juste, telle autre injuste, celle-ci sage, celle-là dépourvue de sagesse? TH. Sans contredit. ÉT. Mais n'avouent-ils pas que c'est par la possession et la présence de la justice, que l'âme devient juste, et par la présence du contraire de la justice qu’elle devient injuste? TH. Oui, ils l'avouent encore. ÉT. Or, ce qui peut être présent à une chose ou en être absent, il faut bien qu'ils conviennent que c'est quelque chose. TH. En effet, ils en conviennent. [247b] ÉT. Si donc la justice, la sagesse et les autres vertus, avec leurs contraires, ainsi que l'âme, où elles se manifestent, ont une existence, nos philosophes disent-ils que quelqu'une de ces choses est visible et tangible, ou bien qu'elles sont toutes invisibles? TH. Tout cela sûrement est invisible. ÉT. Et prétendent-ils que quelqu'une de ces choses ait un corps? TH. Ici ils ne répondent plus de la même manière sur toutes les parties de ta question. Pour l'âme, il leur semble qu'elle possède un corps. Quant à la sagesse et à tout le reste, ils ont également honte [247c] et de leur refuser une place parmi les êtres, et de soutenir que ce sont des corps. ÉT. Décidément, Théétète, voilà nos gens qui s'humanisent…car parmi eux, les hommes semés par Cadmus, les vrais fils de la terre, n'auraient honte ni de l'un ni de l'autre de ces deux partis : ils soutiendraient hardiment que tout ce qu'ils ne peuvent palper de leurs mains n'existe en aucune manière. TH. Telle est aussi à peu près leur pensée. ÉT. Continuons donc nos questions. Du moment qu'ils consentiront à reconnaître [247d] quelque chose d'incorporel, si peu que ce soit, cela suffit. En effet, ce qui est incorporel et ce qui est corporel ont en commun quelque chose, qui fait dire à nos gens que l'un et l'autre existe. Voilà ce qu'il leur faudra déterminer. Peut-être seront-ils un peu embarrassés, et qui sait si, dans cet embarras, ils n'en viendront pas à admettre cette définition de l'être ? TH. Laquelle? ÉT. C'est que tout ce qui possède une « puissance » quelconque [247e], une efficacité quelconque pour exercer une action quelconque, ou pour en subir une… nous disons que tout ce qui possède une semblable puissance « est » réellement. En un mot, je donne pour définition de l' « être » que ce n'est autre chose qu'une puissance, une efficacité possible » [Platon, Le Sophiste]



(T35) Aristote sur les présocratiques: "une seule cause qui, dans la nature, se présente à nous sous forme de MATIERE"

"C'est uniquement dans l'ordre de la MATIERE que les premiers philosophes, ou du moins la plupart d'entre eux, ont cru découvrir les principes de tous les êtres.

En effet, ce qui constitue tous les êtres sans exception, ce qui est la SOURCE PRIMORDIALE d'où ils sortent, ce qui est le terme où ils finissent par rentrer, quand ils sont détruits, SUBSTANCE qui au fond est PERSISTANTE et qui ne fait que subir des modifications, ce fut là, aux yeux de ces philosophes, l'élément des choses et leur principe; ils en conclurent que d'une manière absolue rien ne naît et que rien ne périt, puisque cette NATURE, telle qu'ils la comprenaient, se conserve el subsiste perpétuellement.

De même qu'on ne peut pas dire de Socrate, d'une manière absolue, qu'il est produit et qu'il naît, par cela seul qu'il devient beau ou qu'il devient savant, et que l'on ne dit pas non plus qu'il périt absolument quand il ne perd qu'une de ces manières d'être, par cette excellente raison que le sujet qui est Socrate lui-même n'en subsiste pas moins ; de même, selon ces premiers philosophes, aucun des autres êtres ne se produit ni ne périt absolument. Car il faut que ce soit ou une nature unique ou des natures multiples, d'où tout le reste puisse sortir, puisque cette nature demeure et persiste toujours.

Cependant, quand il s'agît de déterminer le nombre de ces principes ou la nature spéciale de ce principe unique, les opinions ne sont plus unanimes

Par exemple, Thalès, auteur et chef de ce système de philosophie, prétendit que l'eau est le principe de tout, et c'est là ce qui lui fît affirmer aussi que la terre repose et flotte sur l'eau. Probablement, il tira son hypothèse de ce fait d'observation que la nourriture de tous les êtres est toujours humide, que la chaleur même vient de l'humidité, et que c'est l'humidité qui fait vivre tout ce qui vit. C'est ainsi que l'élément d'où proviennent quelques-unes des choses parut à Thalès le principe de toutes choses sans exception. A ce premier motif, qui déjà lui suffisait, il ajouta cette autre observation, que les germes de tous les êtres sont de nature humide, et que l'eau est le principe naturel de tous les corps humides.

C'est là, du reste, l'opinion que l'on prête aussi quelquefois aux plus anciens philosophes, qui ont de beaucoup précédé notre âge, et aux premiers Théologies, qui, dit-on, ont compris la nature comme la comprenait Thalès. Pour eux, en effet, l'Océan et Téthys passaient pour les auteurs de toute génération ; les dieux ne juraient que par l'eau que les poètes nommaient le Styx; or, ce qu'il y a de plus ancien est aussi ce qui est le plus sacré, et rien n'est plus sacré que la chose par laquelle on jure.

[984b] Du reste, que cette antique et vieille idée de la nature ait été réellement professée, c'est ce qu'on ne sait pas très clairement. Mais le système qu'on vient d'attribuer à Thalès sur la cause première a certainement été le sien.

Hippon est digne à peine d'être compté parmi ces philosophes, attendu que ses doctrines sont par trop arbitraires.

Anaximène et Diogène ont cru l'AIR antérieur à leau, et ils l'ont regardé comme le principe essentiel des corps simples.

Pour Hippase de Métaponte et Heraclite d'Ephèse, ce principe était le FEU.

Empédocle reconnut les QUATRE ELEMENTS en ajoutant aux trois précédents la terre, qui forma le quatrième. Il supposait que ces éléments sont éternels, et que jamais ils ne se manifestent qu'en se réunissant et en se désunissant, en plus ou moins grande quantité, selon qu'ils se combinent dans l'unilé, ou qu'ils sortent de l'unité formée par eux.

Anaxagore de Clazomène, qui était plus ancien qu'Empédocle, mais qui en réalité ne s'est montré qu'après lui, a prétendu que les PRINCIPES sont INFINIS.Dans son opinion, les corps à parties similaires (homœoméries), tels que sont l'eau et le feu, ne naissent et ne périssent guère qu'en tant qu'ils se combinent et se divisent ; mais, sous tout autre rapport, ces corps ne sont exposés ni à naître ni à périr, attendu qu'ils sont éternels, dans le système d'Anaxagore.

D'après toutes ces théories, on aurait donc pu supposer qu'il n'y a qu'une seule cause, celle qui, dans la nature, se présente à nous sous forme de MATIERE [Aristote, Métaphysique A]


(36) Epicure, Lettre à Hérodote - « RIEN NE VIENT DE RIEN - Premièrement, il faut croire que rien ne se fait de rien ; car, si cela était, tout se ferait de tout, et rien ne manquerait de semence. De plus, si les choses qui disparaissent se réduisaient à rien, il y a longtemps que toutes choses seraient détruites, puisqu'elles n'auraient pu se résoudre dans celles que l'on suppose n'avoir pas eu d'existence. Or l'univers fut toujours tel qu'il est et sera toujours dans le même état, n'y ayant rien en quoi il puisse se changer. En effet outre l'univers, il n'existe rien en quoi il puisse se convertir et subir un changement...
TOUT EST MATÉRIEL L’univers est corporel. Qu'il y ait des corps, c'est ce qui tombe sous les sens, selon lesquels nous formons des conjectures, en raisonnant sur les choses qui nous sont cachées, comme on l'a dit plus haut. S il n'y avait point de vide ni de lieu, ce qu'autrement nous désignons par le nom de nature impalpable les corps n'auraient point d'endroit où ils pourraient être, ni où ils pourraient se mouvoir, quoiqu'il soit évident qu'ils se meuvent. Mais hors de là, iI n'y a rien qu'on puisse concevoir, ni par la pensée, ni par voie de compréhension, ni par analogie tirée des choses qu'on a comprises ; rien, non de ce qui concerne les qualités ou les accidents des choses, mais de ce qui concerne la nature des choses en général... - V. DE LA NATURE DES CORPS. Quant aux corps, les uns sont des assemblages, les autres des corps dont ces assemblages sont formés. Ceux-ci sont indivisibles et immuables, à moins que toutes choses ne s'anéantissent en ce qui n'est point, mais ces corps subsisteront constamment dans les dissolutions des assemblages, existeront par leur nature, et ne peuvent être dissous, n'y ayant rien en quoi et de quelle manière ils puissent se résoudre. Aussi il faut de toute nécessité que les principes des corps soient naturellement indivisibles. - VI. INFINITÉ DE L'UNIVERS - L'univers est infini ; car ce qui est fini a une extrémité, et ce qui a une extrémité est conçu borné par quelque chose. Donc ce qui n'a point d'extrémité n'a point de bornes, et ce qui n'a nulles bornes est infini et sans terme. Or l'univers est infini à deux égards, par rapport au nombre des corps qu'il renferme et par rapport à la grandeur du vide : car si le vide était infini et que le nombre des corps ne le fût pas, les corps n'auraient nul lieu où ils pussent se fixer, et ils erreraient dispersés dans le vide, parce qu'ils ne rencontreraient rien qui les arrêtât et ne recevraient point de répercussion. D'un autre côté, si le vide était fini et que les corps fusent infinis en nombre, celle infinité de corps empêcherait qu'ils n’eussent d'endroit à se placer... - VII MOUVEMENT DES ATOMES Les atomes sont dans un mouvement continuel, et Épicure dit plus bas qu'ils se meuvent avec la même vitesse, parce que le vide laisse sons cesse le même pansage au plus léger qu'au plus pesant. Les uns s'éloignent des autres à une grande distance ; les autres tournent ensemble lorsqu'ils sont inclinés à s'entrelacer, ou qu'ils sont arrêtés par ceux qui les entrelacent. Cela se fait par le moyen du vide, qui sépare les atomes les uns des autres, ne pouvant lui-même rien soutenir. Leur solidité est cause qu'ils s'élancent par leur collision, jusqu'à ce que leur entrelacement les remette de celle collision - VIII LES ATOMES, PRINCIPES DU MONDE Les atomes n'ont point de principe, parce qu'avec le vide ils sont la cause de toutes choses. Épicure dit aussi plus bas qu'ils n'ont point de qualité, excepté la figure, la grandeur et la pesanteur ; et dans le douzième livre de ses Éléments, que leur couleur change selon leur position. Ils n'ont pas non plus toutes sortes de grandeurs, puisqu'il n'y en a point dont la grandeur soit visible. L'atome, ainsi conçu, donne une idée suffisante de la nature IX LES MONDES EN NOMBRE INFINI - Il y a des mondes à l'infini, soit qu'ils ressemblent à celui-ci ou non ; car les atomes, étant infinis, comme on l'a montré, sont transportes dans le plus grand éloignement ; et comme ils ne sont pas épuisés par le monde qu'ils servent à former, n'étant tous employés ni à un seul ni à plusieurs mondes bornés, soit qu'ils soient semblables, soit qu'ils ne le soient pas, rien n'empêche qu'il ne puisse y avoir à l'infini des mondes conçus de cette manière. [...] XIV LES ATOMES SONT IMMUABLES Outre cela, il faut croire que les atomes ne contribuent aux qualités des choses que nous voyons que la figure, la pesanteur, la grandeur, et ce qui fait nécessairement partie de la figure, parce que toute qualité est sujette au changement, au lieu que les atones sont immuables. En effet, il faut que dans toutes les dissolutions des assemblages de matière il reste quelque chose de solide qui ne puisse se dissoudre et qui produise les changements, non pas en anéantissant quelque chose ou en faisant quelque chose de rien, mais par des transpositions dans la plupart des objets, et par des additions et des retranchements dans quelques autres. Il est donc nécessaire que les parties des corps qui ne sont point sujettes à transposition soient incorruptibles, aussi bien que celles dont la nature n'est point sujette à changement, mais qui ont une masse et une figure qui leur sont propres. Il faut donc que tout cela soit permanent, puisque, par exemple, dans les choses que nous changeons nous-mêmes de propos délibéré, on voit qu'elles conservent une certaine forme, mais que les qualités qui ne résident point dans le sujet même que l'on change n'y subsistent pas, et qu'au contraire elles sont séparées de la totalité du corps. Les parties qui se maintiennent dans le sujet ainsi changé suffisent pour former les différences des compositions, et il doit rester quelque chose, afin que tout ne se corrompe pas jusqu'à s'anéantir... XV. DE LA GRANDEUR DES ATOMES Il ne faut pas croire que les atomes renferment toutes sortes de grandeurs, car cela serait contredit par les choses qui tombent sous les sens ; mais ils renferment des changements de grandeur, ce qui rend aussi mieux raison de ce qui se passe par rapport aux sentiments et aux sensations. Il n'est pas nécessaire encore, pour la différence des qualités, que les atomes aient toutes sortes de grandeurs. Si cela était, il y aurait aussi des atomes que nous devrions apercevoir ; ce qu'on ne voit pas qui ait lieu ; et on ne comprend pas non plus comment on pourrait voir un atome. XVI. DE LA DIVISIBILITÉ DES CORPS Il ne faut pas aussi penser que dans un corps terminé il y ait une infinité d'atomes, et de toute grandeur. Ainsi, non seulement on doit rejeter cette divisibilité à l'infini qui s'étend jusqu'aux plus petites parties des corps, ce qui va à tout exténuer, et, en comprenant tous les assemblages de matière, à réduire à rien les choses qui existent ; il ne faut pas non plus supposer, dans les corps terminés, de transposition à l'infini et qui s'étende jusqu'aux plus petites parties, d'autant plus qu'on ne peut guère comprendre comment un corps qu'on supposerait renfermer des atomes à l'infini ou de toute grandeur peut être ensuite supposé avoir une dimension finie... XVII. LE HAUT ET LE BAS DANS L'ESPACE INFINI. Il ne peut se faire de mouvement des atomes tout d'un côté ; et, lorsqu'un parle du haut et du bas par rapport à l'infini, il ne faut pas proprement l'appeler haut et bas, puisque ce qui est au-dessus de notre tête, si on la suppose aller jusqu'à l'infini, ne peut plus être aperçu, et que ce qui est supposé au-dessous se trouve être en même temps supérieur et inférieur par rapport au même sujet, et cela à l'infini. Or, c'est de quoi il est impossible de se former d'idée ; il vaut donc mieux supposer un mouvement à l'infini qui aille vers le bas, quand même ce qui, par rapport à nous, est supérieur, toucherait une infinité de fois les pieds de ceux qui sont au-dessus de nous, et que ce qui, par rapport à nous, est inférieur, toucherait la tête de ceux qui sont au-dessous de nous ; car cela n'empêche pas que le mouvement entier des atomes ne soit conçu en des sens opposés l'un à l'autre à l'infini. XVIII. ÉGALE VITESSE DES ATOMES DANS LE VIDE. Les atomes ont tous une égale vitesse dans le vide, où ils ne rencontrent aucun obstacle. Les légers ne vont pas plus lentement que ceux qui ont plus de poids, ni les petits moins vite que les grands, parce que, n'y ayant rien qui en arrête le cours, leur vitesse est également proportionnée, soit que leur direction les porte vers le haut ou qu'elle devienne oblique par collision, ou qu'elle tende vers le bas en conséquence de leur propre poids... XIX. L'ÂME EST CORPORELLE. Après tout ceci, il est à propos d'examiner ce qui concerne l'âme relativement aux sens et aux passions, par là on achèvera de s'assurer que l'âme est un corps composé de parties fort menues et dispersées dans tout l'assemblage de matière qui forme le corps. Elle ressemble à un mélange d'air et de chaleur tempéré de manière qu'à quelques égards elle tient plus de la nature de l'air, et qu'à d'autres elle participe plus de la nature de la chaleur. En particulier, elle est sujette à beaucoup de changements, à cause de la petitesse de ces parties dont elle est composée et qui rendent aussi d'autant plus étroite l'union qu'elle a avec le corps. Les usages de l’âme paraissent dans ses passions, dans la facilité de ses mouvements, dans ses pensées et autres fonctions dont le corps ne peut être privé sans mourir. XX. L'ÂME PRINCIPE DE LA SENSATION. La même chose paraît encore en ce que c'est l'âme qui est la principale cause de la sensation : il est bien vrai qu'elle ne la recevrait pas si elle n'était revêtue du corps. Cet assemblage de matière est nécessaire pour la lui faire éprouver ; il la reçoit d'elle, mais il ne la possède pas de même, puisque, lorsque l’âme quitte le corps, il est privé de sentiment. La raison en est qu'il ne la possède pas en lui-même, mais en commun avec cette autre partie que la nature a préparée pour lui être unie, et qui, en conséquence de la vertu qu'elle en a reçue, formant par son mouvement le sentiment en elle-même, le communique au corps par l'union qu'elle a avec lui, comme je l'ai dit. Aussi, tant que l’âme est dans le corps, ou qu'il n'arrive pas de changement considérable dans les parties de celui-ci, il jouit de tous les sens ; au contraire, elle périt avec le corps dont elle est revêtue, lorsqu'il vient à dire dissous, ou en tout, ou dans quelque partie essentielle à l'usage des sens. Ce qui reste alors de cet assemblage, soit le tout, soit quelque partie, est privé du sentiment qui se forme dans l’âme par un concours d'atomes. Pareillement cette dissolution de l’âme et du corps est cause que l’âme se disperse, perd les forces qu'elle avait, aussi bien que le mouvement et le sentiment. Car il n'est pas concevable qu'elle conserve le sentiment... Épicure enseigne encore la même doctrine dans d'autres endroits, et ajoute que l’âme est composée d'atomes ronds et légers, fort différents de ceux du feu ; que la partie irraisonnable de l’âme est dispersée dans tout le corps, et que la partie raisonnable réside dans la poitrine : ce qui est d'autant plus évident que c'est là où la crainte et la joie se font sentir. XXI IL N'Y A BIEN D'IMMATÉRIEL. Rien n'est par lui-même incorporel, hormis le vide, lequel aussi ne peut ni agir ni recevoir d'action ; il ne fait que laisser un libre cours aux corps qui s'y meuvent. De là il suit que ceux qui disent que l'âme est incorporelle s'écartent du bon sens, puisque, si cela était, elle ne pourrait ni avoir d'action ni recevoir de sentiment. Or nous voyons clairement que l'un et l'autre de ces accidents ont lien par rapport à l'âme. Si on applique tous ces raisonnements à la nature de l’âme, aux passions et aux sensations, en se souvenant du ce qui a été dit dans le commencement, on connaîtra assez les idées qui sont comprises sous cette description pour pouvoir se conduire sûrement dans l'examen de chaque partie de ce sujet»


(37) Lucrèce De Rerum Natura - CAUSES MATERIELLES non pas FINALES "Il existe en ces matières un grave vice de pensée, une erreur qu'il faut absolument éviter. Le pouvoir des yeux ne nous a pas été donné, comme nous pourrions croire, pour nous permettre de voir au loin, de même ce n'est pas pour la marche à grands pas que jambes et cuisses s'appuient à leur extrémité sur la base des pieds et savent fléchir leurs articulations; les bras n'ont pas été attachés à de solides épaules, les mains ne sont pas de dociles servantes à nos côtés, pour que nous en fassions usage dans les besoins de la vie. Toute explication de ce genre est à contresens et prend le contre-pied de la vérité. Rien en effet ne s'est formé dans le corps pour notre usage; mais ce qui s'est formé, on en use. Aucune faculté de voir n'exista avant la constitution des yeux, aucune parole avant la création de la langue: c'est au contraire la langue qui a précédé de beaucoup la parole, et les oreilles ont existé bien avant l'audition des sons; enfin tous nos organes existaient, à mon sens, avant qu'on en fît usage, ce n'est donc pas en vue de nos besoins qu'ils ont été créés» [T2 CDP, 132]


(38) D'Holbach [CDP, 284] De l'ame et du systême de la spiritualité. «Aprés avoir gratuitement supposé deux substances distinguées dans l'homme, on prétendit, comme on a vu, que celle qui agissoit invisiblement au-dedans de lui-même étoit essentiellement différente de celle qui agissoit au-dehors; on désigna la première, comme nous avons dit, sous le nom d' esprit ou d'ame . Mais si nous demandons ce que c'est qu'un esprit? Les modernes nous répondent que le fruit de toutes leurs recherches métaphysiques s'est borné à leur apprendre que ce qui fait agir l'homme est une substance d'une nature inconnue, tellement simple, indivisible, privée d' étendue, invisible, impossible à saisir par les sens, que ses parties ne peuvent être séparées même par abstraction ou par la pensée.
Mais comment concevoir une pareille substance qui n'est qu'une négation de tout ce que nous connoissons? Comment se faire une idée d'une substance privée d'étendue et néanmoins agissante sur nos sens, c'est-à-dire sur des organes matériels qui ont de l'étendue? Comment un être sans étendue peut-il être mobile et mettre de la matiere en mouvement ? Comment une substance dépourvue de parties peut-elle répondre successivement à différentes parties de l'espace? [...] Ce qu' on appelle notre ame se meut avec nous; or le mouvement est une propriété de la matiere. Cette ame fait mouvoir notre bras, et notre bras mu par elle fait une impression, un choc qui suit la loi générale du mouvement. [...] Cette ame se montre encore matérielle dans les obstacles invincibles qu'elle éprouve de la part des corps. Si elle fait mouvoir mon bras, quand rien ne s' y oppose; elle ne fera plus mouvoir ce bras si on le charge d' un trop grand poids. Voilà donc une masse de matiere qui anéantit l'impulsion donnée par une cause spirituelle qui n' ayant nulle analogie avec la matiere devroit ne pas trouver plus de difficulté à remuer le monde entier qu' à remuer un atôme, et un atôme que le monde entier. D'où l' on peut conclure qu' un tel être est une chimere, un être de raison. C'est néanmoins d' un pareil être simple ou d' un esprit semblable que l' on a fait le moteur de la nature entière! Dés que j' apperçois ou que j'éprouve du mouvement, je suis forcé de reconnoître de l'étendue, de la solidité, de la densité, de l'impénétrabilité dans la substance que je vois se mouvoir ou de laquelle je reçois du mouvement ; ainsi dès qu' on attribue de l' action à une cause quelconque, je suis obligé de la regarder comme matérielle. Je puis ignorer sa nature particulière et sa façon d' agir, mais je ne puis me tromper aux propriétés générales et communes à toute matiere ; d' ailleurs cette ignorance ne fera que redoubler, lorsque je la supposerai d' une nature, dont je ne puis me former aucune idée et qui de plus la priveroit totalement de la faculté de se mouvoir et d' agir. Ainsi une substance spirituelle qui se meut et qui agit, implique contradiction, d' où je conclus qu' elle est totalement impossible.
Les partisans de la spiritualité croient résoudre les difficultés dont on les accable en disant que l' ame est toute entière sous chaque point de son étendue . Mais il est aisé de sentir que ce n' est résoudre la difficulté que par une réponse absurde.- Car il faut, après tout, que ce point, quelqu' insensible et quelque petit qu' on le suppose, demeure pourtant quelque chose. Mais quand il y auroit dans cette réponse autant de solidité qu' il y en a peu, de quelque façon que mon esprit ou mon ame se trouve dans son étendue, lorsque mon corps se meut en avant, mon ame ne reste point en arrière; elle a donc alors une qualité tout-à-fait commune avec mon corps et propre à la matiere, puisqu' elle est transférée conjointement avec lui. Ainsi quand même l' ame seroit immatérielle, que pourroit-on en conclure? Soumise entiérement aux mouvemens du corps, elle resteroit morte, inerte sans lui. Cette ame ne seroit qu' une double machine nécessairement entraînée par l' enchaînement du tout: elle ressembleroit à un oiseau qu' un enfant conduit à son gré par le fil qui le tient attaché. C'est faute de consulter l' expérience et d' écouter la raison que les hommes ont obscurci leurs idées sur le principe caché de leurs mouvemens. Si dégagés de préjugés, nous voulons envisager notre ame, ou le mobile qui agit en nous-mêmes, nous demeurerons convaincus qu' elle fait partie de notre corps, qu' elle ne peut être distinguée de lui que par l' abstraction, qu' elle n' est que le corps lui-même considéré rélativement à quelques-unes des fonctions ou facultés dont sa nature et son organisation particulière le rendent susceptible. Nous verrons que cette ame est forcée de subir les mêmes changemens que le corps, qu'elle naît et se développe avec lui, qu'elle passe comme lui par un état d'enfance, de foiblesse, d'inexpérience; qu' elle s'accroît et se fortifie dans la même progression que lui, que c'est alors qu'elle devient capable de remplir certaines fonctions, qu' elle jouit de la raison, qu' elle montre plus ou moins d'esprit, de jugement, d'activité. Elle est sujette comme le corps aux vicissitudes que lui font subir les causes extérieures qui influent sur lui; elle jouit et elle souffre conjointement avec lui, elle partage ses plaisirs et ses peines; elle est saine, lorsque le corps est sain, elle est malade lorsque le corps est accablé par la maladie ; elle est, ainsi que lui, continuellement modifiée par les différens dégrés de pesanteur de l'air, par les variétés des saisons, par les alimens qui entrent dans l'estomac; enfin nous ne pouvons nous empêcher de reconnoître que dans quelques périodes elle montre les signes visibles de l' engourdissement, de la décrépitude et de la mort»


(39) Marx Critique de l'économie politique Avant-propos (1859) [CDP,395 - Magnard 368] - "Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors, et qui n'en sont que l'expression juridique. Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale. Le changement dans les fondations économiques s'accompagne d'un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ce bouleversements il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l'esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout. On ne juge pas une époque de révolution d'après la conscience qu'elle a d'elle-même. Cette conscience s’expliquera plutôt par les contrariété de la vie matérielle, par le conflit qui oppose les forces productives sociales et les rapports de production. Jamais une société n’expire avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir; jamais des rapports supérieurs de production ne se mettent en place avant que les conditions matérielles de leur existences ne soient écloses dans le sein même de la vielle société. C’est pourquoi l’humanité ne se propose jamais que les tâches qu’elle peut remplir: à mieux considérer les choses, on verra toujours que la tâche surgit là où les conditions matérielles de sa réalisation sont déjà formées, ou sont en voie de se créer. Réduits à leur grandes lignes, les modes de production asiatiques, féodal et bourgeois moderne apparaissent comme des époques progressives de la formation économique de la société. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagonique du processus social de la production. Il n’est pas question ici d’un antagonisme individuel; nous l’entendons bien plutôt comme le produit des conditions sociales de l’existence des individus; mais les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent dans le même temps les conditions matérielles propres à résoudre cet antagonisme. Avec ce système social c’est donc la préhistoire de la société humaine qui se clôt.


(40) J.P. Changeux, L'Homme neuronal « Au fil des chapitres, le lecteur se sera rendu à l'évidence que le cerveau de l'homme se compose de milliards de neurones reliés entre eux par un immense réseau de câbles et de connexions, que dans ces "fils" circulent des impulsions électriques ou chimiques intégralement descriptibles en termes moléculaires ou physico-chimiques, et que tout comportement s'explique par la mobilisation interne d'un ensemble topologiquement défini de cellules nerveuses. [cf. Platon T270 et Einstein T53] .Cette dernière proposition enfin a été étendue, à titre d'hypothèse, à des processus de caractère "privé" qui ne se manifestent pas nécessairement par un conduite "ouverte" sur le monde extérieur comme les sensations ou perceptions, l'élaboration d'images de mémoire ou de concepts, l'enchaînement des objets mentaux en "pensée". (...) L'identification d'événements mentaux à des événements physiques ne se présente donc en aucun cas comme une prise de position idéologique, mais simplement comme l'hypothèse de travail la plus raisonnable et surtout la plus fructueuse. Comme l'écrivait J.S. Mill, "si c'est être matérialiste que de chercher les conditions matérielles des opérations mentales, toutes les théories de l'esprit doivent être matérialistes ou insuffisantes". (...) Le moment historique que nous traversons rappelle celui où s'est trouvée la biologie avant la dernière guerre mondiale. Les doctrines vitalistes avaient droit de cité, même parmi les scientifiques. La biologie moléculaire les a réduites au néant. Il faut s'attendre à ce qu'il en soit de même pour les thèses spiritualistes et leurs divers avatars "émergentistes". Les possibilités combinatoires liées au nombre et à la diversité des connexions du cerveau de l'homme paraissent effectivement suffisantes pour rendre compte des capacités humaines. Le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais, à quoi bon parler d'"esprit" ? Il n'y a plus que deux "aspects" d'un seul et même événement que l'on pourra décrire avec des termes empruntés soit au langage du psychologue (ou de l'introspection), soit à celui du neurobiologiste» [CDP, 588]


(41)

(42)

(43) Richard Feynmann : "Le fait atomique" - Si, dans un cataclysme, toute notre connaissance scientifique devait être détruite, et qu'une seule phrase passe aux générations futures, quelle affirmation contiendrait le maximum d'information dans le minimum de mots? Je pense que c'est l’hypothèse atomique (ou le fait atomique, ou tout autre nom que vous voudrez lui donner) que toutes les choses sont faites d'atomes - petites particules qui se déplacent en mouvement perpétuel, s'attirant mutuellement à petite distance les unes des autres et se repoussant lorsqu'on veut les faire se pénétrer. Dans cette seule phrase vous verrez qu'il y a une énorme quantité d'informations sur le monde, si on lui applique simplement un petit peu d'imagination et de réflexion (Feynmann, 1999, p.13)

eau de feynmann
Fig. 1-1. Eau agrandie un milliard de fois.

Pour illustrer la puissance de l'idée atomique , supposez que nous ayons une goutte d'eau d'un centimètre de coté. Si nous la regardons de très près nous ne voyons que de l'eau — d'apparence homogène et continue. Mème si nous agrandissons avec le meilleur microscope optique utilisable — approximativement de deux mille fois — alors la goutte d'eau sera à peu près large de 20 mètres et aura la dimension d'une grande pièce, et si nous regardons à nouveau de très près, nous verrons encore de l'eau relativement uniforme — mais ça et là de petites choses en forme de ballon de football nageant de-ci de-là. Très intéressant. Ce sont les paramécies… (Feynmann, R. (1999) Le cours de Physique de Feynmann – Mécanique 1 – Dunod : Paris)


(44) Alonso/Fynn "NOTRE VUE DE L'UNIVERS" - Actuellement nous considérons la matière comme composée d'une poignée de particules fondamentales (ou élémentaires) et tous les corps, qu'ils soient vivants ou inertes, comme formés également de la réunion et de l'arrangement de telles particules.[...] Le système solaire est un ensemble de plusieurs corps énormes, appelés planètes, qui tournent autour d'une étoile, appelée le soleil. Une de ces planètes est notre terre, qui contient environ IO51 atomes. Le soleil est compose d'environ IO57 atomes.

atomes de alonso
Fig. 1-5. Structure cristalline du chlorure de sodium. Les atomes sont disposés dans un réseau géométrique régulier qui s'étend sur un volume relativement grand. Cette structure se retrouve dans l'aspect extérieur du cristal macroscopique. [...] Fig. 1-6.La grande nébuleuse d'Andromede, appelée aussi M-31. Cest la plus proche des grandes galaxies normales.

Le système solaire à son tour est une petite partie d'un très grand agrégat d'étoiles qui forment une galaxie appelée la Voie Lactée, composée d'environ 1011 étoiles ou 1070 atomes. [...] L'univers contiendrait approximativement 1O20 étoiles groupées dans environ 1010 galaxies et contenant un total d'environ 1080 atomes dans une région dont le rayon est de l'ordre de grandeur de 1026m ou encore de 1010 [M.Alonso/E.Finn – Physique Générale, Paris 2001]



(45) "Electron seen in orbit"


(46) Have Orbitals Really Been Observed?



(47)
solidification
« Fig. 2.7 Le mouvement chaotique des sphères fait en sorte qu’elles se diffusent dans tout le volume disponible – Fig.2.8 Le gaz dans le récipient fait pression contre ses parois, car les molécules s’y heurtent » [BRUSTOLON M. (1996) La Chimica, Treviso: Canova]

solidification
"Modèles" didactiques des éléments chimiques, et des opérations arithmétiques


(48) Les opérations de multiplication/puissance

multiplication

Sur la base de cette définition de puissance, l’écriture a1 serait DEPOURVUE DE SENS ; on pose alors par convention que cette base est égale à a, à savoir a1 = a.
EXPLICATION - Nous connaissons la propriété des puissances selon laquelle le quotient de deux puissances d’égale base est une puissance qui a la même base, et comme exposant la différence entre les exposants. A savoir : an : am = an-m. Etant donnée cette propriété, il s’ensuit que an+1:an= a1. Mais an+1: an = (a·a·a·a...·a) : (a·a·a...·a) = a. La convention a1 = a est donc justifiée [Chiellini/Santoboni, Elementi di Algebra secondo la teoria degli insiemi. 1981]



(49) Alonso/Fynn : "PREUVE D'EXISTENCE" - Fig. 1-1. (a)Traces de particules élémentaires dans une chambre à bulles à hydrogène liquide de 80 pouces (2m), placée dans un champ magnetique fort qui oblige les particules chargées à suivre des trajectoires courbes . On analyse ces traces et d'après cette analyse on en déduit les propriétés des différentes particules. Cette photographie, prise en 1964, est historique.

atomes de alonso

Elle apporta la première preuve de l'existence de la particule omèga moins. Existence qui avait été predite auparavant par la théorie. (b) Le diagramme indique les événements les plus importants enregistrés sur la photographie. La trace du Q est le court segment vers le bas de la figure. Les particules correspondant aux autres traces ont été également identifiées.


(50) Edoardo Amaldi: "UNE NOUVELLE ENTITE PHYSIQUE L’ambre, l’ébanite, le verre etc., lorsqu’ils sont frottés avec un chiffon de laine, acquièrent la propriété d’attraire des corps légers comme par exemple des morceaux de papier. Pour tendre telle attraction plus facilement observable, on peut se servir d’une petite balle très légère, par exemple de sambuque, attachée à un fil de soie (figure 3.1). On dit d’une baguette de ébanite, ambre, verre etc. ayant ainsi acquis la propriété d’attraire des corps légers, qu’elle est chargée d’électricité, ou électrifiée.

pendule éléctrique

Pour reconnaître l’état d’électrisation d’un corps on utilise souvent, à la place du pendule décrit ci-dessus, un outil très simple, qui s’appelle électroscope à feuilles. […] Si un corps chargé d’électricité est mis en contact avec l’extrémité supérieur de la baguette de l’électroscope, les deux feuilles en sont chargées d’électricité du même signe, et se repoussent.

électroscope

(Electroscope muni d’une échelle, qui permet de confronter les déviations subies par les feuilles lorsque des charges différents sont communiquées à leur support)

Nous voulons maintenant montrer que l’état d’électrification d’un corps peut être attribué à une charge électrique ou quantité d’électricité, qui satisfait le conditions nécessaires est suffisantes pour être traitée comme une nouvelle grandeur physique. Ces conditions, façonnées par analogie à celles posées par Euclide à la base de la théorie de la mesure des segments, sont les suivantes :
I Il faut fixer un critère grâce auquel il est possible vérifier expérimentalement si deux charges électriques sont égales ou différentes, et dans ce cas quel est le sens de l’inégalité
II On doit disposer d’une méthode qui permette de diviser en parties égales, grâce à des opérations physiquement réalisables, une charge électrique.
III On doit choisir, une fois pour toutes, une charge électrique, reproduisible exactement grâce à des opérations physiquement réalisables, comme échantillon ou unité de mesure.

De cette façon, il est possible de faire correspondre à une quelconque charge électrique un nombre , déterminable grâce à des opérations physiquement réalisables, qui exprime la mesure de la charge par rapport à l’unité de mesure adoptée.

Considérons maintenant des conducteurs: pour bien fixer les idées nous prenons deux sphères de métal, dont chacune est fixée sur un support isolant, par exemple un fil de soie. Appelons-les A et B.
Imaginons de réaliser l’expérience suivante.

1 On charge la sphère A avec un morceau d’ébanite frotté. Pour vérifier son état d’électrification, mettons-la en contact avec l’électroscope : indiquons avec a le nombre de divisions couvertes par la déviation des feuilles.

2 Après avoir vérifié que la sphère B n’est pas chargée, mettons-là en contact, pour un instant, avec la sphère A

3 Mettons à nouveau en contact la sphère B avec l’électroscope. On aura une déviation de b divisions, ce qui montre que la sphère s’estdonc chargée par contact.

4 Mettons maintenant la sphère A en contact avec l’électroscope : nous observons que ceci dévie de c divisions, et que c est inférieur au nombre de divisions observé avant que A entre en contact avec B.

On interprète cette expérience en disant que la charge électrique initialement possédée par la sphère A, s’est distribuée entre les sphères A et B à l’instant où elles sont entrées en contact.

sphères ébectriques

5-La charge électrique inconnue Q se divise exactement en deux , lorsque la sphère A est mise en contact avec la sphère B, identique à A et initialement déchargée. Après le contact, chacune des deux sphères a une charge électrique égale à Q/2.

6-La loi quantitative de la force avec laquelle deux corps chargés d’électricité s’attirent est la Loi de Coulomb. Dans la Loi de Coulomb, apparaît une nouvelle entité physique : LA CHARGE ELECTRIQUE, pour laquelle nous devons fixer une unité de mesure.

7-La Loi de Coulomb nous permet de calculer la force qui s’exerce entre DEUX CHARGES PUNTIFORMES placées dans le vide à une certaine distance l’une de l’autre. [Edoardo Amaldi Fisica generale , Bologna 1937]


(51) Pierre Duhem - L'expérience absurde et l'expérience fictive « Parmi les tares qui marquent un tel exposé, la plus fréquente et, en même temps, la plus grave par les idées fausses qu'elle dépose dans l'intelligence des élèves, c'est l’EXPERIENCE FICTIVE. Obligé d'invoquer un principe, qui, en réalité, n'a point été tiré des faits, qui n'a point été engendré par l'induction ; répugnant, d'ailleurs, à donner ce principe pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour un postulat, le physicien imagine une expérience qui, si elle était exécutée et si elle réussissait, pourrait conduire au principe qu'on souhaite de justifier. Invoquer une telle expérience fictive, c'est donner une expérience à faire pour une expérience faite ; c'est justifier un principe non pas au moyen de faits observés, mais de faits dont on prédit la réalisation; et cette prédiction n'a d'autre fondement que la croyance au principe à l'appui duquel on l'invoque ; un tel procédé de démonstration entraîne celui qui s'y fie dans un cercle vicieux ; et celui qui l'enseigne sans préciser que l'expérience citée n'a pas été faite commet un acte de mauvaise foi. […]

L’expérience absurde prétend prouver une proposition qu'il est contradictoire de regarder comme l’enoncé d'un fait d'expérience. Les physiciens les plus subtils n'ont pas toujours su se tenir en garde contre l'intervention, dans leurs exposés, de l'expérience absurde. Citons, par exemple, ces lignes empruntées à J. Bertrand : “Si l'on admet, comme un fait d'expérience, que l'électricité se porte à la surface des corps, et comme un principe nécessaire que l'action de l'électricité libre sur les points des masses conductrices doit être nulle, on peut, de ces deux conditions supposées rigoureusement satisfaites, déduire que les attractions et les répulsions électriques sont inversement proportionnelles au carré de la distance”. Prenons cette proposition : “Il n'y a aucune électricité à l'intérieur d'un corps conducteur lorsque l'équilibre électrique y est établi”, et demandons-nous s'il est possible de la regarder comme l'énoncé d'un fait d'expérience. Pesons exactement le sens des mots qui y figurent et, particulièrement, le sens du mot intérieur. Au sens où il faut entendre ce mot dans cette proposition, un point intérieur à un morceau de cuivre électrisé, c'est un point pris au sein de la masse de cuivre. Dès lors, comment pourrait-on constater s'il y a ou s'il n'y a pas d'électricité en ce point ? Il faudrait y placer un corps d'épreuve ; pour cela, il faudrait enlever auparavant le cuivre qui s'y trouve ; mais alors ce point ne serait plus au sein de la masse de cuivre ; il serait en dehors de cette masse. On ne peut, sans tomber dans une contradiction logique, prendre notre proposition pour un résultat de l'observation. » [Duhem, La théorie Physique]


(52AB) Pierre DUHEM - "Une galérie de tableaux n'est pas un enchînement de sillogismes"

(52A) «L'ÉCOLE ANGLAISE ET LA COORDINAION LOGIQUE D'UNE THEORIE - Voici une suite de leçons consacrées par W. Thomson à exposer la Dynamique moléculaire et la théorie ondulatoire de la lumière. Le lecteur français qui feuillette les notes de cet enseignement, pense qu'il y va trouver un ensemble d'hypothèses nettement formulées sur la constitution de l'éther et de la matière pondérable, une suite de calculs conduits méthodiquement à partir de ces hypothèses, une comparaison exacte entre les conséquences de ces calculs et les faits d'expérience ; grand sera son désappointement, mais courte sa méprise ! Ce n'est point une théorie ainsi ordonnée que W. Thomson a prétendu construire; il a voulu simplement considérer diverses classes de lois expérimentales et, pour chacune de ces classes, construire un MODELE MECANIQUE. Autant de catégories de phénomènes, autant de modèles distincts pour représenter le rôle de la molécule matérielle dans ces phénomènes.

S'agit-il de représenter les caractères de l'élasticité dans un corps cristallisé ? La molécule matérielle est figurée par huit boules massives qui occupent les sommets d'un parallélépipède et que relient les unes aux autres un nombre plus ou moins grand de ressorts à boudin.

Est ce la théorie de la dispersion de la lumière qu'il s'agit de rendre saisissable à l'imagination ? La molécule matérielle se trouve composée d'un certain nombre d'enveloppes sphériques, rigides, concentriques, que des ressorts à boudin maintiennent en une semblable position. Une foule de ces petits mécanismes est semée dans l'éther. Celui-ci est un corps homogène, incompressible, rigide pour les vibrations très rapides, parfaitement mou pour les actions d'une certaine durée. Il ressemble à une gelée ou à de la glycérine.

Veut-on un modèle propre à imiter la polarisation rotatoire ? Les molécules matérielles que nous semons par milliers dans notre « gelée » ne seront plus construites sur le plan que nous venons de décrire ; ce seront des petites enveloppes rigides dans chacune desquelles un gyrostat tournera avec rapidité autour d'un axe lié à l'enveloppe

Entre ces divers modèles, exposés aux cours des Leçons sur la Dynamique moléculaire, il serait fort malaisé de choisir celui qui représente le mieux la structure de la molécule matérielle ; mais combien plus embarrassant sera ce choix si nous passons en revue les autres modèles imaginés par W. Thomson au cours de ses divers écrits ! Là un fluide homogène, incompressible, sans viscosité, remplit tout l'espace ; certaines portions de ce fluide sont animées de mouvements tourbillonnais persistants ; ces portions représentent les atomes matériels. Là, le liquide incompressible est figuré par un assemblage de boules rigides que lient les unes aux autres des tiges convenablement articulées [...]

Cette énumération, bien incomplète, des divers modèles par lesquels W. Thomson a cherché à figurer les diverses propriétés de l'éther ou des molécules pondérables, ne nous donne encore qu'une faible idée de la foule d'images qu'éveillent en son esprit les mots : constitution de la matière. Il faudrait joindre tous les modèles créés par d'autres physiciens...

Cette collection d'engins et de mécanismes déconcerte le lecteur français qui cherchait une suite coordonnée de suppositions sur la consitution de la matière, une explication hypothétique de cette constitution. Mais une telle explication, à aucun moment W. Thomson n'a eu l'intention de la donner ; sans cesse, le langage même qu'il emploie met en garde [123] le lecteur contre une telle interprétation de sa pensée. Les mécanismes qu'il propose sont «des modèles grossiers», des «représentations brutales»; ils sont «mécaniquement non naturels »; «la constitution mécanique des solides supposée dans ces remarques et illustrée par notre modèle ne doit pas être regardée comme vraie en nature»; « il est à peine besoin de remarquer que l’éther que nous avons imaginé est une substance purement idéale». Le caractère tout provisoire de chacun de ces modèles se marque dans la désinvolture avec laquelle l'auteur les abandonne ou les reprend selon les besoins du phénomène qu'il étudie: «Arrière nos cavités sphériques avec leurs enveloppes rigides et concentriques ; ce n'était, vous vous en souvenez, qu'une illustration mécanique grossière je vais donner un autre modèle mécanique, bien que je le croie très éloigné du mécanisme réel des phénomènes. » [...]

Le Traité d’électricité et de Magnétisme de Maxwell a beau avoir revêtu la forme mathématique ; pas plus que les Leçons sur la Dynamique moléculaire de W. Thomson, il n'est un système logique ; comme ces Leçons, il se compose d'une suite de modèles, dont chacun figure un groupe de lois, sans souci des autres modèles qui ont servi à figurer d'autres lois, qui, parfois, ont représenté ces mêmes lois ou quelques-unes d'entre elles. Seulement, ces modèles, au lieu d'être construits avec des gyrostats, des ressorts à boudin, de [126] la glycérine, sont des agencements de signes algébriques. Ces diverses théories partielles, dont chacune se développe isolément, sans souci de celle qui l'a précédée, recouvrant parfois une partie du champ que celle-ci a déjà couvert, s'adressent bien moins à notre raison qu'à notre imagination. Ce sont des tableaux, et l'artiste, en composant chacun d'eux, a choisi avec une entière liberté les objets qu'il représenterait et l'ordre dans lequel il les grouperait; peu importe si l'un de ses personnages a déjà posé, dans une attitude différente, pour un autre portrait ; le logicien serait mal venu de s'en choquer ; une glérie de tableaux n'est pas un enchaînement de syllogismes » [Pierre Duhem La théorie physique (1906) Première Partie, IV, §VII]

(52B) «LA DIFFUSION DES METHODES ANGLAISES - L'industriel est très souvent un esprit ample ; la nécessité de combiner des mécanismes, de traiter des affaires, de marner des hommes, l'a, de bonne heure, habitué à voir clairement et rapidement des ensembles compliqués de choses concrètes. En revanche c'est presque toujours un esprit très faible ; ses occupations quotidiennes le tiennent éloigne des idées abstraites et des principes généraux ; peu à peu, les facultés qui constituent la force d'esprit se sont atrophiées en lui, comme il arrive à des organes qui ne fonctionnent plus. Le modèle anglais ne peut donc manquer de lui apparaître comme la forme de théorie physique la mieux appropriée à ses aptitudes intellectuelles. Naturellement, il désire que la Physique sort exposée sous cette forme à ceux qui auront à diriger des ateliers et des usines. D'ailleurs, le futur ingénieur réclame un enseignement de peu de durée ; il a hâte de battre monnaie avec ses connaissances ; il ne saurait prodiguer un temps qui, pour lui, est de l'argent.

Or, la Physique abstraite, préoccupée, avant tout, de l'absolue solidité de l'édifice qu'elle élève, ignore cette hâte fiévreuse ; elle entend construire sur le roc et, pour 1'atteindre, creuser aussi longtemps qu'il sera nécessaire ; de ceux qui veulent être ses disciples, elle exige un esprit rompu aux divers exercices de la logique, assoupli par la gymnastique des sciences mathématiques ; elle ne leur fait grâce d'aucun intermédiaire, d'aucune complication. Comment ceux qui se soucient de l'utile, et non du vrai, se soumettraient-ils à cette rigoureuse discipline ? Comment ne lui préféreraient-ils pas les procédés plus rapides des théories qui s'adressent à l'imagination ? Ceux qui ont mission de donner l'enseignement industriel sont donc vivement pressés d'adopter les méthodes anglaises, d'enseigner cette Physique que, même dans les formules mathématiques, ne voit que des modèles

À cette pression, la plupart d'entre eux n'opposent aucune résistance ; bien au contraire ; ils exagèrent encore le dédain de l'ordre et le mépris de la rigueur logique qu'avaient professés les physiciens anglais ; au moment d'admettre une formule dans leurs leçons ou leurs traités, ils ne se demandent jamais si cette formule est exacte, mais seulement si elle est commode et si elle parle à l'imagination. À quel degré ce mépris de toute méthode rationnelle, de toute déduction exacte, se trouve porté dans maint écrit consacré aux applications de la Physique, c'est chose à peine croyable pour qui n'a pas eu la pénible obligation de lire attentivement [136] de tels écrits ; les paralogismes les plus énormes, les calculs les plus faux s'y étalent en pleine lumière ; sous l'influence des enseignements industriels, la Physique théorique est devenue un perpétuel défi à la justesse d'esprit.

Car le mal n'atteint point seulement les livres et les cours destinés aux futurs ingénieurs. Il a pénétré partout, propagé par les méprises et les préjugés de la foule, que confond la science avec l'industrie; qui, voyant passer la voiture automobile poudreuse, haletante et puante, la prend pour le char triomphal de la pensée humaine.

L'enseignement supérieur est déjà contaminé par l'utilitarisme, et l'enseignement secondaire est en proie à l'épidémie. Au nom de cet utilitarisme, on fait table rase des méthodes qm avaient servi, jusqu'ici, à exposer les sciences physiques ; on rejette les théories abstraites et déductives ; on s'efforce d'ouvrir aux élèves des vues inductives et concrètes ; on n'entend plus, mettre dans les jeunes esprits des idées et des principes, mais des nombres et des faits.

Ces formes inférieures et dégradées des théories d'imagination, nous ne nous attarderons pas à les discuter longuement. Aux snobs nous ferons remarquer que, s'il est aisé de singer les travers d'un peuple étranger, il est plus malaisé d'acquérir les qualités héréditaires qui le caractérisent ; qu’ils pourront bien renoncer à la force de l'esprit français, mais non point à son étroitesse ; qu'ils rivaliseront facilement de faiblesse avec l'esprit anglais, mais non pas d'amplitude ; qu'ainsi, ils se condamneront à être des esprits à la fois faibles et étroits, c'est-à-dire des esprits faux. Aux industriels qui n'ont cure de la justesse d'une formule pourvu qu'elle soit commode, nous rappellerons que l'équation simple, mais fausse, c'est tôt ou tard, par une revanche inattendue de la logique, l'entreprise qui échoue, la digue qui crève, le pont qui s'écroule ; c'est la ruine financière, lorsque ce n'est pas le sinistre qui fauche des vies humâmes.

Enfin, aux utilitaires qui croient faire des hommes pratiques en n'enseignant que des choses concrètes, nous annoncerons que leurs élèves seront tout au plus des manœuvres routiniers, appliquant machinalement des recettes incomprises ; car, seuls, les principes abstraits et généraux peuvent guider l'esprit en des régions inconnues et lui suggérer la solution de difficultés imprévues» [Pierre Duhem La théorie physique (1906) Première Partie, IV, §VIII]


T(53) ALBERT EINSTEIN «[A] Je veux seulement dire encore ce que signifient mes paroles quand je dis que nous devons essayer de coller à la «réalité physique». Nous sommes tous conscients de ce qui va se révéler être les concepts fondamentaux de la physique. La masse ponctuelle, ou la particule matérielle, n'en fait certainement pas partie ; le champ, au sens de Faraday et de Maxwell, peut-être, mais ce n'est pas certain. Mais ce que nous imaginons exister (être "réel") doit être localisé de quelque manière dans le temps et dans l'espace » [Einstein 1954a :156 ; Einstein à M.Born, le 18.3.1948]

[B] Pour la pensée physique, comme pour la pensée scientifique en général, il est caractéristique qu’elle s'efforce, en principe, de se tirer d'affaire uniquement avec les notions de “nature spatiale” et d'expliquer à leur aide tous les rapports ayant le caractère de loi. Le physicien cherche à réduire les couleurs et les sons à des vibrations, et le physiologiste la pensée et la douleur à des processus nerveux, de telle sorte que le psychique comme tel est éliminé de l'enchaînement causal de l'être et ne se manifeste, par conséquent, nulle part comme lien indépendant dans les liaisons causales . Cette attitude, qui considère en principe comme possible de saisir tous les rapports en employant exclusivement des notions de “nature spatiale” est bien ce qu'on entend actuellement par “matérialisme” (après que la “matière” eut perdu son rôle de notion fondamentale) [La théorie de la relativité restreinte et générale, 1917].

[C] «Pourquoi est-il nécessaire de faire descendre des régions olympiennes de Platon les notions fondamentales de la pensée scientifique et d'essayer de mettre à découvert leur origine terrestre ? C'est, répondrons-nous, pour les libérer du tabou qui leur est attaché et obtenir par là une plus grande liberté pour la formation des concepts. C'est en première ligne le mérite impérissable de Hume et de Mach d'avoir introduit cette réflexion critique. » [Ibid.]


T(54A) Descartes - "PERMETTEZ DONC A VOTRE PENSEE DE FEINDRE DES ESPACES IMAGINAIRES" «[1] Permettez donc pour un peu de temps à votre pensée de sortir hors de ce Monde pour en venir voir un autre tout nouveau que je ferai naître en sa présence dans les espaces imaginaires. Les philosophes nous disent que ces espaces sont infinis […] Mais afin que cette infinité ne nous empêche et ne nous embarrasse point, ne tâchons pas d'aller jusques au bout, entrons-y seulement si avant que nous puissions perdre de vue toutes les créatures que Dieu fit il y a cinq ou six mille ans; et après nous être arrêtés là en quelque lieu déterminé, supposons que Dieu crée de nouveau tout autour de nous tant de matière que, de quelque côté que notre imagination se puisse étendre , elle n'y aperçoive plus aucun lieu qui soit vide. […]

[2] Or puisque nous prenons la liberté de feindre cette matière à notre fantaisie […] concevons-la comme un vrai corps parfaitement solide qui remplit également toutes les longueurs, largeurs et profondeurs de ce grand espace au milieu duquel nous avons arrêté notre pensée; […] Ajoutons à cela que cette matière peut être divisée en toutes les parties et selon toutes les figures que nous pouvons imaginer; et que chacune de ses parties est capable de recevoir en soi tous les mouvements que nous pouvons aussi concevoir. Et supposons de plus que Dieu la divise véritablement en plusieurs telles parties, les unes plus grosses, les autres plus petites, les unes d'une figure, les autres d'une autre, telles qu'il nous plaira de les feindre. Non pas qu'il les sépare pour cela l'une de l'autre, en sorte qu'il y ait quelque vide entre deux: mais pensons que toute la distinction qu'il y met consiste dans la diversité des mouvements qu'il leur donne, faisant que, dès le premier instant qu'elles sont créées, les unes commencent à se mouvoir d'un côté, les autres d'un autre; les unes plus vite, les autres plus lentement (ou même, si vous voulez, point du tout).

[3] Or Dieu a si merveilleusement établi les Lois de la Nature qu'encore que nous supposions qu'il ne crée rien de plus que ce que j'ai dit et même qu'il ne mette en ceci aucun ordre ni proportion, mais qu'il en compose un chaos le plus confus et le plus embrouillé que les Poètes puissent décrire : elles sont suffisantes pour faire que les parties de ce Chaos se démêlent d'elles-mêmes et se disposent en si bon ordre qu'elles auront la forme d'un Monde très parfait et dans lequel on pourra voir non seulement de la lumière, mais aussi toutes les autres choses, tant générales que particulières, qui paraissent dans ce vrai Monde » [Descartes Le Monde 1633].


T(54B) - D'Alembert - "IL NOUS SERA TOUJOURS PERMIS D'IMAGINER" «Le Mouvement et ses propriétés générales, sont le premier et le principal objet de la Mécanique; cette Science suppose l'existence du Mouvement, et nous la supposerons aussi comme avouée et reconnue de tous les Physiciens. A l'égard de la nature du Mouvement, les Philosophes sont au contraire fort partagés là-dessus. Rien n'est plus naturel, je l'avoue, que de concevoir le Mouvement comme l'application successive du mobile aux différentes parties de l'espace indéfini, que nous imaginons comme le lieu des corps : mais cette idée suppose un espace dont les parties soient pénétrables et immobiles; or personne n'ignore que les Cartésiens (Secte qui à la vérité n'existe presque plus aujourd'hui) ne reconnaissent point d'espace distingué des corps, et qu'ils regardent l'étendue et la matière comme une même chose. Il faut convenir qu'en partant d'un pareil principe, le Mouvement serait la chose la plus difficile à concevoir, et qu'un Cartésien aurait peut-être beaucoup plutôt fait d'en nier l'existence, que de chercher à en définir la nature.
Au reste, quelque absurde que nous paroisse l'opinion de ces Philosophes, et quelque peu de clarté et de précision qu'il y ait dans les Principes Métaphysiques sur lesquels ils s'efforcent de l'appuyer, nous n'entreprendrons point de la réfuter ici : nous nous contenterons de remarquer, que pour avoir une idée claire du Mouvement, on ne peut se dispenser de distinguer au moins par l'esprit deux sortes d'étendues : l'une, qui soit regardée comme impénétrable, et qui constitue ce qu'on appelle proprement les corps; l'autre, qui étant considérée simplement comme étendue, sans examiner si elle est pénétrable ou non, soit la mesure de la distance d'un corps à un autre, et dont les parties envisagées comme fixes et immobiles, puissent servir à juger du repos ou du mouvement des corps. Il nous sera donc toujours permis de concevoir un espace indéfini comme le lieu des corps, soit réel, soit supposé, et de regarder le Mouvement comme le transport du mobile d'un lieu dans un autre » [D’Alembert, Traité de Dynamique Paris: David l'Ainé: 1743 :VI]


(55A) Aristote Physique - Les 4 "ARKAÏ" (CAUSES) «Après les explications précédentes, nous devons étudier les causes pour en déterminer les espèces et le nombre. Comme ce traité, en effet, a pour objet de faire connaître la Nature (physis), et qu'on ne croit connaître une chose que quand on sait le pourquoi (dia ti), en d'autres termes la cause première, il est clair que nous aussi nous devons faire cette étude en ce qui regarde la génération et la destruction des choses, c'est-à-dire toute transformation naturelle, afin qu'une fois que nous connaîtrons les principes (arkaï) de ces phénomènes, nous puissions essayer de rapporter à ces principes tous les problèmes que nous agitons.
(1) L'ARKÉ MATERIEL - D'abord, en un premier sens, on appelle "cause" ce qui est immanent à une chose [enuparkon], d'où elle provient [et ce dont elle est faite] . Ainsi, l'airain est en ce sens la cause de la statue (il en est l'argent est cause de la burette, ainsi que tous ces genres de choses.
(2) LA ARKÉ FORMEL - En un autre sens, la cause est la forme et le modèle des choses, c'est-à-dire (A) la proportion qui en détermine l'essence [le LOGOS: à la fois "notion", "proportion", "raison"]. Par exemple, en musique, la cause de l'octave [l'augmentation d'une octave lorsque par ex on raccourcit de la moitié une corde vibrante ] est le rapport de deux à un; d'une manière générale, c'est le nombre [comme 1/2, que nous appelons pour cela "rationnel"]. (B) Les parties de sa définition [par ex "Homme = animal + rationnel"]
(3) L'ARKÉ MOTEUR Dans une troisième acception, la cause est le principe premier d'où vient le mouvement ou le repos. Ainsi, celui qui a donné le conseil d'agir est cause des actes qui ont été accomplis; le père est la cause de son enfant ; et, en général, ce qui fait est cause de ce qui est fait. Ce qui produit le changement est donc cause du changement produit.
(4) L'ARKÉ FINAL - En dernier lieu, la cause signifie la fin, le but, et c'est alors le pourquoi (= à-quel-but) de la chose. Ainsi, la santé est la cause de la promenade. Pourquoi un tel se promène-t-il ? C'est, répondons-nous, pour conserver sa santé ; et, en faisant cette réponse, nous croyons indiquer la cause qui fait qu'il se promène. C'est en ce sens aussi qu'on appelle causes tous les intermédiaires qui contribuent à atteindre la fin poursuivie, après qu'une autre chose a eu commencé le mouvement. Par exemple, la diète et la purgation sont les causes intermédiaires de la santé, [195a] comme le sont aussi les remèdes ou les instruments du chirurgien. En effet, tout cela concourt à la fin qu'on se propose ; et, la seule différence entre toutes ces choses, c'est que les unes sont des actes, et les autres, de simples moyens»


T(55B) Aristote - L' ETRE comme SUBSTANCE/SUJET, et le SUJET comme FORME/MATIERE/SYNHOLON «L’être [TO ON] s’entend de plusieurs manières, mais parmi ces acceptions si nombreuses de l'être, il est une acception première ; et l'être premier c`est sans contredit la FORME distinctive, c'est-à-dire l'ESSENCE. […] Les autres choses ne sont appelées « êtres » que parce qu’elles sont ou des quantités de l'être premier, ou des qualités, ou des modifications de ce même être, ou quelque autre attribut de ce genre. On ne saurait donc affirmer sans prudence que marcher, se bien porter, s'asseoir… sont à plein titre des êtres, car aucun de ces modes n’a, par lui-même, une existence propre, aucun ne peut être séparé de la SUBSTANCE. Ces choses [les qualités, les propriétés contingentes, les états transitoires des choses…] semblent si fort marquées du caractère de l’être seulement parce qu’il y a sous chacune d'elles un être, un sujet déterminé. Et ce SUJET, c'est la SUBSTANCE, c‘est l'être particulier qui apparaît sous les divers attributs. «Bon», «assis», ne signifient rien sans cette substance.

Il est donc évident que l'existence de chacun de ces modes dépend de l'existence même de la substance. D'après cela, la substance sera l'être premier; non point tel ou tel mode de l'être, mais l'être pris dans son sens absolu. […] Ainsi l'objet éternel de toutes les recherches, et passées et présentes, cette question éternellement posée : Qu'est-ce que l'être ? Se réduit à celle-ci : Qu’est-ce que la substance?»

[B] « La notion de SUBSTANCE a du moins quatre sens principaux: la SUBSTANCE d'un être c'est, à ce qu'il semble, ou son ESSENCE, ou l’UNIVERSEL, ou le GENRE, ou enfin le SUJET, c'est-à-dire ce dont tout le reste est attribut, et qui n’est à son tour attribut de rien.

Examinons donc d'abord le SUJET, car la sub-stance, ce doit être avant tout le sujet premier. Le sujet premier est, dans un sens, la MATIERE [hylé], dans un autre sens, la FORME [morphé], et en troisième lieu, l'ENSEMBLE [syn-holon] de la forme et de la matière. Par « matière » j’entends par exemple l’airain ; la « forme » c'est sa figure; l' « ensemble », c'est la statue réalisée. D'après cela, si la forme est antérieure à la matière, si elle a le caractère de l'être plus que la matière, elle sera antérieure aussi, par la même raison, à l'ensemble de la forme et de la matière » [Aristote, Métaphysique, Livre VII]


T(55C) Aristote - L'Ame est la Forme d'un corps organique ayant la vie en puissance - L'âme est d'un corps, tout en n'étant pas un corps - «(1)[412a3] Jusqu'à présent nous avons exposé les opinions que nos prédécesseurs nous ont transmises sur l'âme. Maintenant revenons sur nos pas, comme pour reprendre notre point de départ; et essayons de définir ce que c'est que l'âme, et d'en donner la notion la plus générale possible.
(2) Nous disons d'abord est que seulement un genre particulier d’êtres sont des substances. Or, par « substance » nous entendons en premier lieu : la matière, c'est- à-dire ce qui n'est pas par soi-même telle chose spéciale [la simple argile n’est pas en soi la statue qui en est faite] – Ensuite, la forme et l'espèce, et c'est bien d'après elles que la chose est celle qu’elle est [cette statue (= argile ayant cette forme), cet homme (animal de telle espèce)] – En troisième lieu, le composé [syn-holon] qui résulte de ces deux premiers éléments. […]
(3) Ce sont les corps surtout qui semblent être des substances, et particulièrement les corps naturels [=non artificiels] qui sont, en effet, les principes des autres corps. Parmi les corps naturels, les uns ont la vie, les autres ne l'ont pas, et nous entendons par la vie ces trois faits : se nourrir par soi-même, se développer et périr. Ainsi, tout corps naturel doué de la vie est une substance, composée comme on vient de dire [synholon de matière+forme]
(4) Or, puisque le corps est tel et que nécessairement il a la vie [car nous disons vivant/non-vivant, ou animé/inanimé] ce même corps ne saurait être l’âme/vie qui l’anime/fait vivre : dans le synholon dont il fait partie, il remplit bien plutôt lui-même le rôle de pur sujet et de matière.
(5) Donc, nécessairement, l'âme (ce qui anime et donne vie) ne peut être substance que dans le sens de forme [entéléchie] d'un corps naturel qui a la vie en puissance. Mais la substance est une réalité parfaite, une. L'âme est donc l'entéléchie du corps, tel que nous venons de le définir. […]
(6) De plus, Et il faut entendre que l’âme est la forme d'un corps organique [=structuré come un ensemble d’organes]. Ainsi, les parties mêmes des plantes sont des organes, mais des organes excessivement simples, comme le pétale, qui est la « peau » du péricarpe, et le péricarpe, qui est la « peau » du fruit. Les racines de leur côté correspondent à la bouche, car ces deux parties prennent également la nourriture. Si donc on veut quelque définition commune à toute espèce d'âme (tant végétale qu’animale) il faut dire que l'âme est la forme [entéléchie] première d'un corps naturel organique. […]
(7) Nous avons donc exposé d'une manière toute générale ce qu'est l'âme : elle est l'essence de tel corps [vivant] que la raison seule peut concevoir [cf. exemple de « Moi, je bouge les mains, les pieds… » etc.]. Mais l’essence, pour un corps quelconque, est ce qui le fait être ce qu'il est. Par exemple, si l'un des instruments dont nous nous servons, par ex. une hache, était un corps vivant, sont essence serait ce qui la fait être une hache, et ce serait là son « âme ». En fait, cette essence une fois enlevée (par ex. dans le cas une « hache » en papier) un tel objet ne serait plus une vraie hache [ainsi, un cadavre n’est plus un vrai homme, car sa matière n’est plus imprégnée de son essence=âme : c’est un corps qui n’est plus « animée »]. […]
(8) Il est donc clair que l'âme n'est pas séparée du corps [animé, comme une plante ou un homme], car elle en est la forme et l’essence en ce qu’il est essentiellement vivant. C'est là ce qui donne toute raison à ceux qui prétendent, à la fois, que l'âme n'existe point sans le corps, et que l'âme n'est pas un corps. Non, elle n'est pas un corps tout en étant quelque chose du corps .


(55D) Aristote - L’AME comme PRINCIPE, ESSENCE DU MOUVEMENT ET DE LA COGNITION «Le principe de toute investigation c’est d’exposer les caractères qui, de l’avis général, appartiennent éminemment à l’âme en vertu de sa nature. Or l’ «animé» diffère de l’ «inanimé», semble-t-il, par deux caractères principaux: le mouvement et la cognition. Et ce sont aussi, approximativement, ces deux conceptions que nous ont transmises nos prédécesseurs au sujet de l’âme.

(1) Certains d’entre eux, en effet, disent que l’âme est par excellence et primordialement le MOTEUR. Et, dans la pensée que ce qui n’est pas mû soi-même est incapable de mouvoir une autre chose, ils ont cru que l’âme appartient à la classe des choses en mouvement. De là vient que DÉMOCRITE assure que l’âme est une sorte de feu et de chaleur. Ses figures ou atomes sont, en effet, infinis, et ceux qui ont la forme sphérique, il les appelle feu et âme; ils peuvent être comparés à ce qu’on nomme les poussières de l’air, [...]C’est pourquoi aussi la respiration est pour eux le caractère essentiel de la vie. [...] Il semble aussi que la doctrine des PYTHAGORICIENS ait la même signification. Certains d’entre eux, en effet, ont déclaré que l’âme, ce sont les poussières de l’air d’autres, que c’est ce qui les meut; et au sujet de ces poussières, on fait remarquer qu’elles nous paraissent continuellement en mouvement, même quand le calme est complet. [...] Ainsi, tous les philosophes qui ont porté leur attention sur le fait que l’animé se meut, ont considéré l’âme comme le moteur par excellence.

(2) Au contraire ceux qui se sont attachés surtout au fait que l’animé connaît et perçoit les êtres, ceux-là disent que l’âme fait partie des PRINCIPES: pour ceux qui admettent plusieurs principes, l’âme est identique à ces principes, et pour ceux qui n’en admettent qu’un, l’âme est ce principe même.

C’est ainsi qu’EMPÉDOCLE déclare qu’elle est composée de tous les éléments, chacun de ces éléments étant aussi une âme. Voici, du reste, ses propres paroles:

"C’est par la terre que nous voyons la terre, par l’eau, l’eau,
Par l’éther, le divin éther, le feu par le feu,
Par l’amour, l’amour, et la haine par la triste haine
"

De là même manière, PLATON dans le Timée façonne l’âme à partir des éléments, car pour lui le semblable est connu par le semblable, et les choses sont constituées par les Principes » [Aristote, De l’Ame]


(56) Descartes - La matière comme sujet de trans-formation « Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche: il n'a pas encore perdu la douceur [forme1] du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs [forme2] dont il a été recueilli; sa couleur [forme3], sa figure [forme4], sa grandeur [forme5], sont apparentes; il est dur [forme6], il est froid [forme7], on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son [forme8]. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps, se rencontrent en celui-ci. Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu: ce qui y restait de saveur s'exhale [forme1-->forme9], l'odeur s'évanouit [forme2?forme10], sa couleur se change [forme3-->forme11], sa figure se perd [forme4-->forme12], sa grandeur augmente [forme5-->forme13], il devient liquide [forme6-->forme14], il s'échauffe [forme7-->forme15], à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son [forme8-->forme16]. La même cire demeure-t-elle après ce changement? Il faut avouer qu'elle demeure; et personne ne le peut nier » [Descartes T19 CDP, 196]


(57) Descartes - La forme (âme) comme sujet de "trans-matérialisation" (l'identité immaterielle du corps humain) - "Premièrement, je considère ce que c'est que le corps d'un homme, et je trouve que ce mot est fort équivoque; car, quand nous parlons d'un corps en général, nous entendons une partie déterminée de la matière, et ensemble de la quantité dont l'univers est composé, en sorte qu'on ne saurait ôter tant soit peu de cette quantité, que nous ne jugions incontinent que le corps est moindre et qu'il n'est plus entier; ni changer aucune particule de cette matière, que nous ne pensions par après que le corps n'est plus totalement le même ou idem numero.

Mais lorsque nous parlons du corps d'un homme, nous n'entendons pas une partie déterminée de matière, ni qui ait une grandeur déterminée, mais seulement nous entendons toute la matière qui est ensemble unie à l'âme de cet homme; en sorte que, bien que cette matière change, et que sa quantité augmente ou diminue, nous croyons toujours que c'est le même corps idem numero, pendant qu'il demeure joint et uni substantiellement à la même âme; et nous croyons que ce corps est tout entier, pendant qu’il a en soi toutes les dispositions requises pour conserver cette union.

Car il n'y a personne qui ne croie que nous avons les mêmes corps que nous avons eus dès notre enfance, bien que leur quantité soit de beaucoup augmentée, et que, selon l'opinion commune des médecins, et sans doute selon la vérité, il n'y ait plus en eux aucune partie de la matière qui y était alors, et même qu'ils n'aient plus la même figure; en sorte qu'ils ne sont eadem numero [les mêmes, numériquement], qu'à cause qu'ils sont informés de la même âme. Pour moi, qui ai examiné la circulation du sang, et qui crois que la nutrition ne se fait que par une continuelle expulsion des parties de notre corps, qui sont chassées de leur place par d'autres qui y entrent, je ne pense pas qu'il y ait aucune particule de nos membres qui demeure la même numero un seul moment, encore que notre corps, en tant que corps humain, demeure toujours le même numero pendant qu'il est uni avec la même âme. Et même, en ce sens-là, il est indivisible : car, si on coupe un bras ou une jambe à un homme, nous pensons bien que son corps est divisé, en prenant le nom de corps en la 1re signification, mais non pas en le prenant en la 2e ; et nous ne pensons pas que celui qui a un bras ou une jambe coupée, soit moins homme qu'un autre. Enfin, quelque matière que ce soit, et de quelque quantité ou figure qu'elle puisse être, pourvu qu'elle soit unie avec la même âme raisonnable, nous la prenons toujours pour le corps du même homme, et pour le corps tout entier, si elle n'a pas besoin d'être accompagnée d'autre matière pour demeurer jointe à cette âme» [Descartes CDP 200]



(58-59) PLATON : "L'AME SEULE EST L'HOMME" et L'ANIMA MUNDI [PDF]

(60) Platon - La Chora: la "MATERIA MUNDI" comme MERE de toute chose - «Supposons qu'on fasse prendre successivement toutes les formes possibles à un lingot d'or, et qu'on ne cesse de remplacer chaque forme par une autre, si quelqu'un, en montrant une de ces formes, demandait [50b] ce que c'est, on serait certain de dire la vérité en répondant que c'est de l'or; mais on ne pourrait pas dire, comme si cette forme avait une existence réelle, que c'est un triangle ou toute autre figure, puisque cette figure disparaît au moment même où l'on en parle. Si donc on répondait, pour éviter toute erreur: elle est l'apparence que vous voyez; il faudrait se contenter de cette réponse.
L'être qui contient tous les corps en lui-même est comme ce lingot d'or : il faut toujours le désigner par le même nom; car il ne change jamais de nature; il reçoit perpétuellement toutes choses dans son sein, sans revêtir jamais une forme [50c] particulière, semblable à quelqu'une de celles qu'il renferme; il est le fond commun où vient s'empreindre tout ce qui existe et il n'a d'autre mouvement ni d'autre forme que les mouvements et les formes des êtres qu'il contient. Ce sont eux qui le font paraître divers. Ces êtres qui sortent de son sein et y rentrent, sont des copies des êtres éternels, façonnées sur leurs modèles d'une manière merveilleuse et difficile à exposer, dont nous parlerons plus tard.
Maintenant il faut reconnaître trois genres différents, ce [50d] qui est produit, ce en quoi il est produit, ce d'où et à la ressemblance de quoi il est produit. Nous pouvons comparer à la MERE ce qui reçoit, au PERE< ce qui fait, et au FILS la nature intermédiaire; mais il faut nous rappeler que comme les copies prennent mille aspects divers et reçoivent toutes les formes qui existent, l'être dans le sein duquel se trouve ce qui doit être ainsi façonné, ne serait pas propre à sa destination s'il n'était pas lui-même privé de toutes les formes [50e] qu'il doit recevoir. En effet, s'il ressemble à quelqu'une de ses formes, quand viendra la forme contraire ou toute autre figure, il ne pourra la bien reproduire, puisqu'il aura lui- même un aspect qui lui est propre. Il est donc nécessaire que ce qui doit recevoir dans son sein toutes les espèces, soit dépourvu de toute forme; de même que ceux qui composent des onguents odoriférants, mettent d'abord tous leurs soins à priver de toute odeur la liqueur qu'ils veulent parfumer ; ou de même que quand on veut façonner une substance molle, on ne lui laisse auparavant aucune forme déterminée, et on s'applique, au contraire, à l'unir et à la polir autant que possible. [51a] Ainsi, il convient que ce qui doit être propre à recevoir dans toute son étendue des copies de tous les êtres éternels, soit dépourvu de toute forme par soi-même.
En conséquence, cette MERE DU MONDE ce réceptacle de tout ce qui est visible et perceptible par les sens, nous ne l'appellerons ni terre, ni air, ni feu, ni eau, ni rien de ce que ces corps ont formé, ni aucun des éléments dont ils sont sortis; mais nous ne nous tromperons pas en disant que c'est un certain être invisible, informe, [51b] contenant toutes choses en son sein, et recevant, d'une manière très obscure pour nous, la participation de l'être intelligible, un être, en un mot, très difficile à comprendre. […] Voici donc en peu de mots quelle est ma pensée : il existe, et il existait avant la formation de l'univers trois choses distinctes : l'être, l'ESPACE (CHORA), la génération [Platon, Timée, [CDP 86]]»


(61)


(62) Descartes - Du doute à l'Esprit [PDF]


(62b)[Comment l'idée ou l'image du corps pourrait-elle le représenter si elle n'est pas elle-même étendue ? Et comment pourrait-elle résider en notre esprit s'il n'est pas une chose étendue ? [...]. Si vous n'êtes pas étendu, comment pouvez vous être diffus par tout le corps? Et comment pouvez-vous le mouvoir? (Sur VI, 17.)

[549] Vous demandez ici comment j'estime que l'espèce ou l'idée du corps, lequel est étendu, peut être reçue en moi qui suis une chose non étendue. Je réponds à cela qu'aucune espèce corporelle n'est reçue dans l'esprit, mais que la conception ou l'intellection pure des choses, soit corporelles, soit spirituelles, se fait sans aucune image ou espèce corporelle ; et quant à l'imagination, qui ne peut être que des choses corporelles, il est vrai que pour en former une il est besoin d'une espèce qui soit un véritable corps et à laquelle l'esprit s'applique, mais non pas qui soit reçue dans l'esprit.[...] [550] Et certes dans tout le reste que vous ajoutez ici pour prouver que l'esprit a de l'étendue, d'autant, dites-vous, qu'il se sert du corps, lequel est étendu, il me semble que vous ne raisonnez pas mieux que si, de ce que Bucéphale hennit et ainsi pousse des sons qui peuvent être rapportés à la musique, vous tiriez cette conséquence que Bucéphale est donc une musique. Car, encore que l'esprit soit uni à tout le corps, il ne s'ensuit pas de là qu'il soit étendu par tout le corps, parce que ce n'est pas le propre de l'esprit d'être étendu, mais seulement de penser. Et il ne conçoit pas l'extension par une espèce étendue qui soit en lui, bien qu'il l'imagine en se tournant et s'appliquant à une espèce corporelle qui est étendue, comme j'ai dit auparavant. Et enfin il n'est pas nécessaire que l'esprit soit de l'ordre et de la nature du corps, quoiqu'il ait la force ou la vertu de mouvoir le corps. (Sur VI, 24.)

(63) Platon - L'Etre...Vivant "L'Etranger Mais quoi, par Jupiter! nous persuadera-t-on si facilement que, dans la réalité, le mouvement, la vie, l'âme, l'intelligence, ne conviennent pas à l'Etre Absolu? que cet être ne vit ni ne pense, et qu'il demeure immobile, immuable, sans avoir part à l'auguste et sainte intelligence? Théétète. Ce serait consentir, cher Éléate, à une bien étrange assertion. L’Etranger. Ou bien lui accorderons-nous l'intelligence, en lui refusant la vie? Théétète. Cela ne se peut. L’Etranger. Ou bien encore dirons-nous qu'il y a en lui l'intelligence et la vie, mais que ce n'est pas dans une âme qu'il les possède? Théétète. Et comment pourrait-il les posséder autrement? L’Etranger. Enfin, que doué d'intelligence, d'âme et de vie, tout animé qu'il est, il demeure dans une complète immobilité? [249b] Théétète. Tout cela me paraît déraisonnable. L’Etranger. Il faut donc accorder que le mouvement et ce qui est mû existent. Théétète. Sans doute. L’Etranger. Car si tout est immobile, il ne peut y avoir aucune connaissance d'aucune chose. Théétète. Évidemment". [Platon, Le Sophiste]


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(69) [Augustin CDP T2, 149]


(70) [Leibniz CDP T1, 244] L'esprit précède l'expérience


(71) [Berkeley CDP T1, 251 ] L'Esprit est la vraie substance


(72) Hegel, L'Esprit du Christianisme et son destin


(73) [Hegel CDP T16, 336] La Loi de Gravitation Sprituelle (Matière et Esprit)


(74A) [Hegel CDP T20, 340] Les individus historiques et l'esprit du temps


(74B) [Hegel CDP T21, 339]


(75) [Hegel CDP T2, 325] La Caverne de Hegel (L'image est la nuit de l'Esprit)


(76) [Hegel CDP T32, 349]


(77) [Husserl CDP ]


(78) Husserl - Seul l''Esprit est immortel


(79) Histoire biblique de l'Esprit


(80) [Montesquieu CDP T1, 253]


(81) Freud, Le Mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient


(82)


(83)


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2.LA VERITE

(86) Gandhi «J'ai forgé le terme de Satyagraha en Afrique du Sud pour exprimer la force dont les Indiens ont fait usage en ce pays pendant huit ans entiers, et je l'ai forgé pour le distinguer du mouvement qui se développait alors dans le Royaume-Uni et l'Afrique du Sud sous le nom de Résistance Passive. La signification étymologique (du mot) est etreinte indéfectible de la vérité; d'où la force de la Vérité, je l'ai aussi appelé force de l'Amour ou force de l'Ame.

En appliquant le Satyagraha, je découvris, dès les premières étapes, que la poursuite de la vérité n'admettait point que violence fût infligée à l'adversaire, mais qu'il devait être sevré de (son) erreur par la patience et la sympathie. Car ce qui apparaît à l'un comme étant la vérité peut apparaître à l'autre comme étant une erreur. Et la patience signifie souffrance volontaire. Ainsi la doctrine en vint à signifier revendication de la vérité, non point en infligeant des souffrances à l'adversaire, mais à soi-même. Le Satyagraha diffère de la Résistance Passive comme le Pôle Nord du Pôle Sud Cette dernière a été conçue comme l’arme des faibles et n'exclut pas l'usage de la force physique ou de la violence en vue d'atteindre le but ; tandis que le premier a été conçu comme l'arme des forts entre les forts, et exclut l'usage de la violence sous quelque aspect ou forme que ce soit.

Quand Daniel dédaigna les lois des Mèdes et des Perses qui offensaient sa conscience, et supporta avec douceur le châtiment de sa désobéissance, son sacrifice fut celui du Satyagraha sous sa forme la plus pure.

Socrate ne voulut point s'abstenir de prêcher à la jeunesse d'Athènes ce qu'il savait être la vérité, et supporta courageusement le châtiment de la mort. II fut, en cette occasion, un Satyagrahi.

Mon sentiment est que les nations ne peuvent être réellement unes, et que leurs activités ne sauraient conduire au bien commun de l'humanité entière, à moins de reconnaître expressément et d'accepter la loi familiale d'amour dans les choses nationales et internationales, en d'autres termes, dans l'ordre politique. Les nations ne peuvent être civilisées que dans la mesure où elles obéissent à cette loi.

Cette loi d'amour n'est rien d'autre qu'une loi de vérité. Sans vérité il n'est point d'amour; il peut y avoir blessure affective, par exemple pour son pays quand il est maltraité par d'autres; ou ivresse passionnée, comme d'un jeune homme pour une jeune fille ; ou l'amour peut être irraisonné et aveugle, comme celui de parents ignorants pour leurs enfants. L'amour transcende toute animalité et n'est jamais partial. C'est pourquoi le Satyagraha a été décrit comme une pièce de monnaie â l'avers de laquelle on lit Amour et au revers Vérité. C'est une monnaie qui a cours partout et d'une valeur qu'on ne saurait assigner » [Gandhi 1920]


(87) [Secondes: 62B] La Caverne de Descartes «[1] Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain; de façon qu'il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences. […] Maintenant donc que mon esprit est libre de tous soins, et que je me suis procuré un repos assuré dans une paisible solitude, je m'appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions.
[2] Je supposerai donc qu'il y a, non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant qui a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l'air, la terre, les couleurs, les figures, les sons et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité. Je me considérerai moi-même comme n'ayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point de sang, comme n'ayant aucuns sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses. Je demeurerai obstinément attaché à cette pensée; et si, par ce moyen, il n'est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d'aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement. C'est pourquoi je prendrai garde soigneusement de ne point recevoir en ma croyance aucune fausseté, et préparerai si bien mon esprit à toutes les ruses de ce grand trompeur, que, pour puissant et rusé qu'il soit, il ne pourra jamais rien imposer.
[3] Mais ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse m'entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu'un esclave qui jouissait dans le sommeil d'une liberté imaginaire, lorsqu'il commence à soupçonner que sa liberté n'est qu'un songe, craint d'être réveillé, et conspire avec ces illusions agréables pour en être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions, et j'appréhende de me réveiller de cet assoupissement, de peur que les veilles laborieuses qui succéderaient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m'apporter quelque jour et quelque lumière dans la connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir les ténèbres des difficultés qui viennent d'être agitées » [Fin de la Première Méditation. Cf T62]


(88) Nietzsche «[1] Le Prologue de Zarathoustra – Lorsque Zarathoustra eut atteint sa trentième année, il quitta sa patrie et le lac de sa patrie et s'en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s'en lassa point durant dix années. Mais enfin son cœur se transforma, et un matin, se levant avec l'aurore, il s'avança devant le soleil et lui parla ainsi: “O grand astre! Quel serait ton bonheur, si tu n'avais pas ceux que tu éclaires? Depuis dix ans que tu viens vers ma caverne: tu te serais lassé de ta lumière et de ce chemin, sans moi, mon aigle et mon serpent. Mais nous t'attendions chaque matin, nous te prenions ton superflu et nous t'en bénissions. Voici! Je suis dégoûté de ma sagesse, comme l'abeille qui a amassé trop de miel. J'ai besoin de mains qui se tendent. Je voudrais donner et distribuer, jusqu'à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres, heureux de leur richesse. Voilà pourquoi je dois descendre dans les profondeurs, comme tu fais le soir quand tu vas derrière les mers, apportant ta clarté au-dessous du monde, ô astre débordant de richesse! Je dois disparaître ainsi que toi, me coucher, comme disent les hommes vers qui je veux descendre. Bénis-moi donc, oeil tranquille, qui peux voir sans envie un bonheur même sans mesure! Bénis la coupe qui veut déborder, que l'eau toute dorée en découle, apportant partout le reflet de ta joie! Vois! cette coupe veut se vider à nouveau et Zarathoustra veut redevenir homme." Ainsi commença le déclin de Zarathoustra.
[2] “ Une nouvelle vérité s'est levée en moi. Je ne dois être ni berger, ni fossoyeur. Jamais plus je ne parlerai au peuple; pour la dernière fois j'ai parlé à un mort. Je veux me joindre aux créateurs, à ceux qui moissonnent et chôment: je leur montrerai l'arc-en-ciel et tous les échelons qui mènent au Surhumain. Je chanterai mon chant aux solitaires et à ceux qui sont deux dans la solitude; et quiconque a des oreilles pour les choses inouïes, je lui alourdirai le cœur de ma félicité. Je marche vers mon but, je suis ma route; je sauterai par-dessus les hésitants et les retardataires. Ainsi ma marche sera le déclin!
[3] De l’homme supérieur §18Cette couronne du rieur, cette couronne de roses: c'est moi-même qui me la suis posé sur la tête, j'ai canonisé moi-même mon rire. Je n'ai trouvé personne d'assez fort pour cela aujourd'hui. Zarathoustra le danseur, Zarathoustra le léger, celui qui agite ses ailes, prêt au vol, faisant signe à tous les oiseaux, prêt et agile, divinement léger: - Zarathoustra le devin, Zarathoustra le rieur, ni impatient, ni intolérant, quelqu'un qui aime les sauts et les écarts; je me suis moi-même placé cette couronne sur la tête! » [Nietzsche, Ainsi parla Zarathoustra 1898]


(89)[Nietzsche CDP T1, 402 ] « Un monstre de force sans commencement ni fin»

(90) [Nietzsche CDP T3, 404] «Les entrailles de l'Etre»

(91) Matrix « Tu as le regard d’un homme prêt à croire à tout ce qu’il voit parce qu’il s’attend à s’éveiller à tout moment… Je vais te dire pourquoi tu es là : tu es là parce que tu as un savoir : un savoir que tu ne t’expliques pas, mais qui t’habite. Un savoir que tu as ressenti toute ta vie. Tu sais que le monde ne tourne pas rond, sans comprendre pourquoi, mais tu le sais, comme un aplan dans ton esprit… de quoi te rendre malade. Sais-tu exactement de quoi je parle ? – De la matrice… - Est-ce que tu veux également savoir ce qu’elle est ? - … - La matrice est universelle, elle est omniprésente. Elle est avec nous, ici en ce moment même. Tu la voies chaque fois que tu regardes par la fenêtre, ou lorsque tu allumes la télévision. Tu ressens sa présence quand tu pars au travail, quand tu vas à l’église, ou quand tu paies tes factures. Elle est le monde qu’on superpose à ton regard pour t’empêcher de voir la vérité – Quelle vérité ? – Le fait que tu es un esclave Neo… comme tous les autres tu es né enchaîné. Le monde est une prison où il n’y a ni espoir, ni odeur, ni saveur… une prison pour ton esprit. Et il faut que tu sache que malheureusement, si tu veux découvrir ce qu’est la matrice, tu devras l’explorer toi-même…C’est là ta dernière chance : tu ne pourra plus faire marche arrière : choisis la pillule bleu, et tout s’arrête. Après tu pourras faire des beaux rêves et penser ce que tu veux. Choisis la pillule rouge, et tu restes au pays des merveilles, et on descend avec le lapin blanc au fond du gouffre. N’oublie pas : je ne t’offre que la vérité, rien de plus. » [Depuis "La Matrice", de Harry et Andy Wachowski , 1999]

(92)[Thomasd’Aquin CDP T3, 156] La vérité est adéquation


(93)[Hegel T6 CDP, 329] La dynamique du vrai/faux


(93B) Heidegger « [1] Qu'entend-on ordinairement par « vérité » ? Qu'est-ce qu'être vrai ?

(A) Nous disons par exemple : « c'est une vraie joie de collaborer à la réussite de cette entreprise ». Nous voulons dire par là qu'il s'agit d'une joie pure, «réelle». Le vrai est donc le réel. Nous parlons en ce sens de l'or véritable en le distinguant de l'or faux. L'or faux n'est pas réellement ce qu'il paraît être. Il n'est qu'une « apparence », il est, pour cette raison, irréel. L'irréel passe pour le contraire du réel.

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(B) Mais le cuivre doré est tout de même quelque chose de bien réel. C'est pourquoi nous dirons plus clairement : l'or réel est l'or authentique, tandis que « réels » ils le sort l'un et l'autre, l'or authentique aussi bien que le cuivre doré. La vérité de l'or authentique ne peut donc être garantie par sa simple réalité. La question renaît : que signifie ici être « authentique » et être « vrai » ?

(C) L'or authentique est ce réel dont la réalité se trouve en accord avec ce que, d'emblée et toujours, nous avons « proprement » en vue lorsque nous pensons à de l'or. Inversement nous dirons, dès que nous soupçonnons avoir affaire à du cuivre doré : « quelque chose ici ne "colle" [stimmt] pas ». Au contraire, nous remarquons à propos de ce qui est « comme il convient » : cela « colle ». La chose est en accord avec ce qu'elle est estimée être.

[2] Mais nous n'appelons pas seulement vraie une joie réelle, l'or authentique et tout étant de ce genre, mais, encore et avant tout, nommons-nous vraies ou fausses nos énonciations relatives à l'étant, lequel, lui-même, peut être, selon sa nature, authentique ou faux, tel ou tel dans sa réalité. Un énoncé est vrai lorsque ce qu'il signifie et exprime, se trouve en accord avec la chose dont il juge. Ici aussi nous disons : cela « colle ». À présent, ce n'est pas la chose qui est en accord mais le jugement.

[3] Le vrai donc, que ce soit une chose vraie ou un jugement vrai, est ce qui est en accord, ce qui concorde (das Stimmende). Etre vrai et vérité signifient ici: s'accorder, et ce d'une double manière : d'abord, comme accord entre la chose et ce qui est présumé d'elle et, ensuite, comme concordance entre ce qui est signifié par l'énoncé et la chose. Ce double caractère de l'accord fait apparaître la définition traditionnelle de l'essence de la vérité : veritas est adaequatio rei et intellectus. Cela peut signifier : la vérité est l'adéquation de la chose à la connaissance. Mais cela peut s'entendre aussi : la vérité est l'adéquation de la connaissance à la chose. Ces deux conceptions de l'essence de la veritas visent toujours un « se conformer à... » et pensent donc la vérité comme conformité »


(94) [Aristote CDP T3, 109] Acte et puissance

(95) Bagavadgita - Je suis la source des propriétés qui naissent de la vérité « 1 Si tu fixes sur moi ton esprit, pratiquant l’Union mystique, attentif à moi, écoute, fils de Prithâ, comment alors tu me connaîtras tout entier avec évidence. 2 Je vais t’exposer complètement, avec ses divisions, cette science au delà de laquelle, ici-bas, il ne reste rien à apprendre : 3 De tant de milliers d’hommes, quelques-uns seulement s’efforcent vers la perfection ; et parmi ces sages excellents, un seul à peine me connaît selon mon essence. 4 La terre, l’eau, le feu, le vent, l’air, l’esprit, la raison et le moi, telle est ma nature divisée en huit éléments : 5 C’est l’inférieure. Connais-en maintenant une autre qui est ma nature supérieure, principe de vie qui soutient le monde. 6 C’est dans son sein que résident tous les êtres vivants ; com-prends-le ; car la production et la dissolution de l’Univers, c’est moi-même ; 7 Au-dessus de moi il n’y a rien ; à moi est suspendu l’Univers comme une rangée de perles à un fil. 8 Je suis dans les eaux la saveur, fils de Kuntî ; je suis la lumière dans la Lune et le Soleil ; la louange dans tous les Vêdas ; le son dans l’air ; la force masculine dans les hommes ; 9 Le parfum pur dans la terre ; dans le feu la splendeur ; la vie dans tous les êtres ; la continence dans les ascètes. 10 Sache, fils de Prithâ, que je suis la semence inépuisable de tous les vivants ; la science des sages, le courage des vaillants ; 11 La vertu des forts exempte de passion et de désir. Je suis dans les êtres animés l’attrait que la justice autorise. 12 Je suis la source des propriétés qui naissent de la vérité, de la passion et de l’obscurité ; mais je ne suis pas en elles, elles sont en moi."

(96) « Serment des jurés : “Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X, de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.” Après la lecture de la formule du serment par le Président de la Cour, chaque juré dit : “je le jure”.
Serment des magistrats : “Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat”
Serment des avocats : “ Je jure de ne rien dire ou publier comme défendeur ou conseil de contraire aux lois, aux règlements et aux bonne mœurs, à la sureté de l'état et à la paix publique et de ne jamais m'écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques”
Serment des témoins : “Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité” »


(97) La Bible : "Si la chose est cachée aux yeux..." « Le Seigneur parla à Moïse, en disant: 12 «Parle aux enfants d'Israël, et dis-leur: Si une femme mariée se détourne et devient infidèle à son mari, 13 un autre homme ayant eu commerce avec elle, et que la chose soit cachée aux yeux de son mari, cette femme s'étant souillée en secret, sans qu'il y ait eu de témoin contre elle, et sans qu'elle ait été prise sur le fait: 14 si le mari est saisi d'un esprit de jalousie et qu'il soit jaloux de sa femme qui s'est souillée, ou bien s'il est saisi d'un esprit de jalousie et qu'il soit jaloux de sa femme qui ne s'est pas souillée: 15 cet homme amènera sa femme au prêtre […] 16 Le prêtre la fera approcher de l'autel et se tenir debout devant Yahweh. 17 Le prêtre prendra de l'eau sainte dans un vase de terre et, ayant pris de la poussière sur le sol de la Demeure, il la mettra dans l'eau. 18 Le prêtre fera tenir la femme debout devant Yahweh, il dénouera la chevelure de la tête de la femme et lui posera sur les mains l'oblation de souvenir; c'est une oblation de jalousie. Le prêtre aura dans la main les eaux amères qui apportent la malédiction. 19 Le prêtre adjurera la femme et lui dira: Si aucun homme n'a couché avec toi, et si tu ne t'es pas détournée pour te souiller, étant sous la puissance de ton mari, sois préservée de l'effet de ces eaux amères qui apportent la malédiction. 20 Mais si, étant sous la puissance de ton mari, tu t'es détournée et t'es souillée, et si un autre homme que ton mari a couché avec toi: 21 le prêtre adjurera la femme par les serment d'imprécation, et lui dira: Que Yahweh fasse de toi une malédiction et une exécration au milieu de ton peuple, en faisant maigrir tes flancs et enfler ton ton ventre, 22 et que ces eaux qui apportent la malédiction entrent dans tes entrailles pour te faire enfler le ventre et maigrir les flancs! Et la femme dira: Amen! Amen!». [Bible, Les Nombres 5]


(98)Kant: "rien d'autre que deux article de foi?" «Mais, dira-t-on , est-ce-la toute l’œuvre de la raison, quand elle s'étend au-delà des bornes de l'expérience? N'a-t-elle donc que ces deux articles de foi? Le sens commun en aurait pu faire autant, sans avoir besoin de consulter là-dessus les philosophes. Je ne rapporterai pas ici les services que la philosophie a rendus à la raison humaine, par la recherche pénible de sa critique, quoique ces services dussent se trouver par le fait purement négatifs ; ce dont il sera encore question dans le chapitre suivant. Mais exigez-vous donc qu'une connaissance qui, aux yeux de tous les hommes, surpasse le sens commun, doive vous être découverte par les philosophes ? Ce reproche est la meilleure preuve de la vérité de ce que nous avons affirmé jusqu'ici, puisqu'il fait voir ce que l'on n'aurait pas pu pré- voir dans, le principe, savoir, que la nature, dans ce qui intéresse tous les hommes sans distinction, n'est coupable d'aucune distribution partiale de ses dons, et que la philosophie la plus élevée par rapport aux fins essentielles de la nature humaine, ne peut pas conduire plus loin que la direction accordée par elle à l'intelligence même la plus vulgaire» [Kant, Critique de la Raison Pure, Méthodologie Transcendantale]


(99) Credo ut intelligam - [1] St Augustin « Moi j’avais dit : Si quelqu’un croit, et j’avais conseillé de croire. Si tu n’as pas compris, je le répète, aie la foi; car l’intelligence est la récompense de la foi. Ne cherche donc pas à comprendre, afin de croire; mais crois, afin de comprendre [noli quaerere intellegere ut credas, sed crede ut intellegas], parce que « si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas. [St. Augustin, Traité sur l'évangile de Saint Jean, XXIX, 6]

[2]St Anselme « Je n'essaie point, ô mon Dieu, de sonder les profondeurs mystérieuses de votre nature; mon intelligence bornée ne peut mesurer l'immensité de vos perfections ; mais je désire comprendre, autant qu'il est en moi, les saintes vérités que mon cœur aime et que ma foi reconnaît en vous. Je ne cherche pas à comprendre afin de croire, je crois afin de comprendre; je ne puis avoir l'intelligence qu'à condition d'avoir d'abord la foi» [Saint Anselme, Proslogion]


(99B) Pascal - Les vérités du coeur PDF «Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement qui n’y a point de part essaye de les combattre. Les pyrrhoniens qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non point l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi ridicule et inutile que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu'à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refusé ce bien, elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte. Toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement. Et c'est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. Mais à ceux qui ne l'ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur. Sans quoi la foi n'est qu'humaine et inutile pour le salut.

3.LA DEMONSTRATION

(100) Kant « Le système stoïcien faisait de la conscience des forces de l'âme comme le pivot de toutes les intentions morales, […] La vertu était ainsi pour eux une sorte d'héroïsme, par où le sage s'élève au dessus de la nature animale de l'homme, se suffit à lui-même. […] Mais ils n'eussent point pensé ainsi, s'ils s'étaient représenté cette loi dans toute sa pureté et toute sa sévérité, comme le fait l'Évangile en ses préceptes. […] Si l’on considère la morale chrétienne par son côté philosophique, et qu'on la rapproche des écoles grecques, on peut les caractériser en disant que les idées des cyniques, des épicuriens, des stoïciens et des chrétiens sont la simplicité de la nature, la prudence, la sagesse et la sainteté. Quant au chemin à suivre pour y arriver, les écoles grecques se distinguaient entre elles, en ce que les cyniques se contentaient du sens commun, tandis que les deux autres ne croyaient pouvoir se passer de la science ; mais les uns et les autres trouvaient suffisant l'usage des forces naturelles » [Kant, Critique de la raison pratique]


(101) Aristote - "Non seulement la science existe, mais qu'il y a pour la science un Principe"

[I] Toute connaissance rationnelle, soit enseignée soit acquise, dérive toujours de notions antérieures. L'observation démontre que ceci est vrai de toutes les sciences; car c'est le procédé des sciences mathématiques, et de tous les autres arts sans exception.

[II] De ce qu'il faut savoir les principes primitifs, (A) quelques-uns en concluent qu'il n'y a pas de science possible; (B) d'autres, tout en admettant la possibilité de la science, croient cependant que tout peut se démontrer; deux opinions qui ne sont ni vraies ni nécessaires.

(A) De ce que [pour achever une démonstration] il faut connaître des principes primitifs [qui ne nous renvoient pas en arrière] quelques-uns en concluent que la science est impossible - Ceux qui affirment cela le font car ils pensent qu'il y a nécessairement regres à l'infini. Ils disent en effet, avec raison, qu'on ne peut pas savoir des choses postérieures (les conclusions) par des antérieures (les prémisses) s’il n’y a pas des termes primitifs, car il est bien impossible de parcourir l'infini. Or ceci est bien vrai, mais ils ajoutent aussi que quand on s'arrête à ces termes primitifs – les « principes » – ces principes mêmes seront inconnus puisqu'il n'y a pas de démonstration pour eux, et que la démonstration est, à ce qu'on suppose, le seul moyen de connaître »

(B) D'autre part, on admet bien la possibilité du savoir; car on dit que c'est par la démonstration seule qu'on sait, mais on prétend aussi qu'il n'y a aucun obstacle à ce que tout se démontre, attendu que la démonstration peut être circulaire; et que les choses se prouvent les unes par les autres.

(C) Pour nous, nous soutenons, d'abord, que toute science [toute vraie connaissance] n'est pas de démonstration, et que les propositions immédiates sont connues sans démonstration. Et que cela soit de toute nécessité, c'est ce qu'on voit sans peine.

En effet, (1) s'il est nécessaire de savoir des choses antérieures à celles qu’il faut démontrer, et (2) que de plus il est nécessaire que l’on trouve un point d'arrêt dans les propositions immédiates, il s'ensuit, bien certainement, que ces derinières sont indémontrables.

Nous soutenons donc qu'il en est ainsi, et que, en tant que nous connaissons les termes mêmes dont la science se sert» [Aristote, Analytiques Postérieurs]



(102A) Euclide, Eléments I-32 – [p0] Thèse La somme des angles internes d’un triangle est équivalente à deux angles droits
Démonstration


[p1] Étant donné le triangle ABC, le couple de parallèles AB//CE et la droite CD colinéaire à BC, il s’en suit que
[p2] comme BAC=ACE puisqu’alternes internes, et
[p3] que ABC=DCE puisque correspondants externes, alors
[p4] les trois angles internes CAB, ABC, BCA sont équivalent aux trois angles adjacents BCA, ACE, ECD en ce que
[p5] ajoutant une même chose (BCA) à deux choses égales (CAB,ABC ; ACE, ECD) le résultat est le même. Mais
[p6] BCA, ACE, ECD = 2droits
DONC
[p7 = p0] Conclusion La somme des angles internes du triangle ABC est équivalente à deux angles droits


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T102B - Sur la surface évidente des phénomènes, les parallèles AB et CD ne convergent pas. Ceci est une vérité postulée avec une force tellement impérative, que notre perception se charge elle-même de feindre un espace de profondeur, pour qu’un tel événement absolument impossible puisse avoir lieu. La même chose se passe au niveau de nos projections dans la profondeur purement intellectuelle de la sphère riemanienne.
Fig.
T102C - Un cercle n’est pas une ellipse. Cette vérité euclidienne est tellement absolue, que notre perception se charge elle-même de feindre la troisième dimension d’une sphère ou d’un « disque volant », lorsque nous décidons activement que ce même cercle et cette même ellipse sont (ou appartiennent à) une seule et même chose.

(103) [Aristote CDP T1, 107] Le syllogisme


(104) Poincaré - "Pour les lycéens qui reçoivent les premières notions de physique"104 [1] « La vérité nous effraie. Et en effet, nous savons qu’elle est quelquefois décevante, que c’est un fantôme qui ne se montre à nous un instant que pour fuir sans cesse, qu’il faut la poursuivre plus loin et toujours plus loin, sans jamais pouvoir l’atteindre. Et cependant pour agir il faut s’arrêter, ananké sténaï comme a dit je ne sais plus quel grec, Aristote ou un autre. [Henri Poincaré, La Valeur de la science (1905)] [2] Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute; la logique de la science est infaillible et, si les savants se trompent quelquefois, c'est pour en avoir méconnu les règles. Les vérités mathématiques dérivent d'un petit nombre de propositions évidentes par une chaîne de raisonnements impeccables; elles s'imposent non seulement à nous, mais à la nature elle-même. Elles enchaînent pour ainsi dire le Créateur et lui permettent seulement de choisir entre quelques solutions relativement peu nombreuses. Il suffira alors de quelques expériences pour nous faire savoir quel choix il a fait. De chaque expérience, une foule de conséquences pourront sortir par une série de déductions mathématiques, et c'est ainsi que chacune d'elles nous fera connaître un coin de l'Univers. Voilà quelle est pour bien des gens du monde, pour les lycéens qui reçoivent les premières notions de physique, l'origine de la certitude scientifique » [Henri Poincaré, Science et hypothèse (1905)]

(105) Einstein – "Quand vous étiez jeune garçon" - Sans doute avez-vous, cher lecteur, quand vous étiez jeune garçon, fait la connaissance du superbe édifice de la Géométrie d'Euclide, et vous vous rappelez peut-être, avec plus de respect que de plaisir, cette imposante construction sur le haut escalier de laquelle des maîtres consciencieux vous forçaient de monter pendant des heures innombrables. En vertu de ce passé vous traiteriez avec dédain toute personne qui regarderait même la moindre proposition de cette science comme inexacte. Mais ce sentiment de fière certitude vous abandonnerait peut-être, si l'on vous posait cette question : « Qu'entendez-vous par l'affirmation que ces propositions sont vraies ?» A cette question nous voulons nous arrêter un peu. […] La géométrie part de certaines notions fondamen¬tales telles que le point, la droite, le plan, auxquelles nous sommes capables d’associer des représentations plus ou moins claires, et de certaines propositions simples (axiomes), que nous sommes disposés à regarder, en vertu de ces représentations, comme «vraies ». Toutes les autres propositions sont ensuite ramenées, au moyen d’une méthode logique dont nous nous sentons forcés de reconnaître la légitimité, aux axiomes, c’est-à-dire démontrées. Une proposition est, par consé¬quent, exacte ou «vraie», si elle est déduite des axiomes de la manière généralement admise. La question de savoir si telle ou telle proposition géométrique est « vraie » se ramène, par conséquent, à la question de savoir si les axiomes sont « vrais ». Mais on sait depuis longtemps que non seulement on ne peut répondre à cette dernière question au moyen des méthodes de la géométrie, mais qu’elle n’a en elle-même aucun sens. On ne peut pas demander s’il est vrai que par deux points il ne passe qu’une seule droite. On peut seulement dire que la Géométrie euclidienne traite de figures qu’elle appelle « droites » et auxquelles elle attribue la propriété d’être déterminées d’une manière univoque par deux de ses points. La notion de « vrai » ne s’applique pas aux énoncés de la géométrie pure, car par le terme « vrai » nous désignons, en dernier ressort, toujours la concordance avec un objet « réel ». Or, la Géométrie ne s’occupe pas du rapport entre ses notions et les objets de l’expérience, mais seulement du rapport logique de ces notions entre elles. [Einstein 1917]


(106A) Dedekind - "Qu'on l'avoue aussi franchement aux élèves..." « Mais n'est-il pas proprement révoltant que l'enseignement des mathématiques à l'école passe pour un moyen éminemment efficace pour former l'entendement, alors qu'aucune autre discipline (comme par ex. la grammaire) ne tolérerait un seul instant des infractions si grossières à la logique ? Si l'on ne veut pas procéder scientifiquement, ou si on ne peut le faire faute de temps, que l'on soit au moins honnête et qu'on l'avoue aussi franchement aux élèves déjà si enclins à croire un théorème sur parole du maître ; cela vaudrait mieux que d'étouffer ce sens pur et noble de la vraie démonstration en usant des pseudo-démonstrations. » [À Rudolph Lipschitz. Dedekind 1876 : 41- 42]
(106B) «Je soutiens en même temps que la plus grande partie (en fait la quasi intégralité) de ces théorèmes de l'arithmétique n'ont pas été démontrés jusqu'ici, et pour pousser si possible la contradiction à l'extrême, je dis que le théorème : V2×V3=V6 n'a encore jamais été prouvé. […] Croyez-vous vraiment qu'une telle démonstration existe dans un quelconque livre ? J'ai naturellement examiné sous cet angle toute une série d'ouvrages de divers pays, et qu'y trouve-t-on ? Rien d'autre que les cercles vicieux les plus grossiers comme ..... ; il n’y a pas la moindre explication du produit de deux nombres irrationnels qui précède, et le théorème ...., démontré pour des nombres rationnels m, n est appliqué sans aucune hésitation aux nombres irrationnels eux aussi. » [À Rudolph Lipschitz. Dedekind 1876 : 41]


(107A) Poincaré: "La vérité nous effraie""La vérité nous effraie. Et en effet, nous savons qu’elle est quelquefois décevante, que c’est un fantôme qui ne se montre à nous un instant que pour fuir sans cesse, qu’il faut la poursuivre plus loin et toujours plus loin, sans jamais pouvoir l’atteindre. Et cependant pour agir il faut s’arrêter - anaké sténaï - comme a dit je ne sais plus quel grec, Aristote ou un autre »
(107B)Poincaré : "L'affirmation de la puissance de l'esprit qui se sait"«Pourquoi ces jugements [sur les nombres naturels] s'impose-t-ils à nous avec une irrésistible évidence? C'est qu'il n'est que l'affirmation de la puissance de l'esprit qui se sait capable de concevoir la répétition indéfinie d'un même acte dès que cet acte est une fois possible ».
(107C) Einstein: "Nous prenons ainsi conscience de notre liberté" – «Au point de vue logique, les notions de base de la science [les nombres, le temps, l’espace] sont des créations libres de l'intelligence humaine, des instruments de la pensée, qui doivent servir à établir un lien entre les expériences, de façon à pouvoir mieux les embrasser. […] Nous prenons ainsi conscience de notre liberté, dont c'est toujours une affaire difficile de faire un usage raisonnable en cas de nécessité…
(107E) Einstein : "Les libérer des tabous" «Pourquoi est-il nécessaire de faire descendre des régions olympiennes de Platon les notions fondamentales de la pensée scientifique et d'essayer de mettre à découvert leur origine terrestre ? C'est, répondrons-nous, pour les libérer du tabou qui leur est attaché et obtenir par là une plus grande liberté pour la formation des concepts. C'est en première ligne le mérite impérissable de Hume et de Mach d'avoir introduit cette réflexion critique[Ibid.]» [Einstein, cit.]

4.LA CONSCIENCE

(108)La Traumdeutung de Descartes: "Non seulement il décida, en dormant, que c'était un songe, mais il en fit encore l'interprétation"


(108B) Le Moi cartésien de Marcel Proust: "Je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors ». Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait - The inaccuracies of Proust...


(109)Proust: la conscience comme affirmation d'existence «Sans trop savoir pourquoi, ma grand’mère trouvait au clocher de Saint-Hilaire cette absence de vulgarité, de prétention, de mesquinerie, qui lui faisait aimer et croire riches d’une influence bienfaisante, la nature, quand la main de l’homme ne l’avait pas, comme faisait le jardinier de ma grande tante, rapetissée, et les œuvres de génie. Et sans doute, toute partie de l’église qu’on apercevait la distinguait de tout autre édifice par une sorte de pensée qui lui était infuse, mais c’était dans son clocher qu’elle semblait prendre conscience d’elle-même, affirmer une existence individuelle et responsable. C’était lui qui parlait pour elle » [M.Proust, Du côté de chez Swann]


(110 = (62[2])) Descartes: l'Etre dans la Conscience «Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe; et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition: Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit» [Descartes]»


(110B) Hobbes: je suis une promenade «Je suis une chose qui pense. C'est fort bien dit ; car de ce que je pense, ou de ce que j'ai une idée, soit en veillant, soit en dormant, l'on infère que je suis pensant : car ces deux choses, Je pense et je suis pensant signifient ia même chose. De ce que je suis pensant, il s'ensuit que je suis, parce que ce qui pense n'est pas un rien. Mais où notre auteur ajoute: c'est-à-dire un esprit, une âme, un entendement une raison, de là naît un doute. Car ce raisonnement ne me semble pas bien déduit, de dire: je suis pensant, donc je suis une pensée: ou bien je suis intelligent donc je suis un entendement. Car de la même façon je pourrais dire: je suis promenant, donc je suis une promenade. Monsieur Descartes, donc prend la chose intelligente et l'intellection, qui en est l'acte, pour une même chose; ou du moins il dit que c'est le même que la chose qui entend et l'entendement, qui est une puissance ou faculté d'une chose intelligente. Néanmoins, tous les philosophes distinguent le sujet de ses facultés et de ses actes, c'est-à-dire de ses propriétés et de ses essences, car c'est autre chose que la chose même qui est et autre chose que son essence. Il se peut donc faire qu'une chose qui pense soit le sujet de l'esprit, de la raison ou de l'entendement et partant, que ce soit quelque chose de corporel, dont le contraire est pris, ou avancé et n'est pas prouvé» [Thomas Hobbes, Troisièmes objections aux Méditations métaphysiques]


(111) Aristote: la Conscience dans l'Etre (Dieu comme "Noesis-Noeseos")


(112) Bouddha La Nature-Bouddha comme Présence


(113) Aristote - Se savoir, pour participer de l'Eternité «L'acte le plus naturel aux êtres vivants qui sont complets, et qui ne sont ni avortés ni produits par génération spontanée, c'est de produire un autre être pareil à eux, l'animal un animal, la plante une plante, afin de participer de l'éternel et du divin autant qu'ils le peuvent . Tous, en effet, ont ce désir instinctif; et c'est en vue de cet acte qu'ils font tout ce qu'ils font selon la nature. [...] Mais comme ces êtres ne peuvent jouir de l'éternel et du divin par leur propre continuité, parce qu'aucun des êtres périssables ne saurait demeurer identique et « un » numériquement, chacun d'eux y participe pourtant, dans la mesure où il le peut, les uns plus, les autres moins ; et si ce n'est pas l'être même qui subsiste, c'est presque lui: s'il n'est pas un en nombre, il est un du moins en espèce»



(114) Blaise Pascal - Se savoir misérable - (a) La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. C'est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable. Penser fait la grandeur de l'homme. Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tête (car ce n'est que l'expérience qui nous apprend que la tête est plus nécessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir un homme sans pensée : ce serait une pierre ou une brute. L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage de l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai point d’avantage en possédant des terres. Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point : par la pensée je le comprends. La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable. [Pensées, Brunschvicg 558-759-347-348]


(115) Edmund Husserl - La conscience comme intentionnalité Tout état de conscience en général est, en lui même, conscience de quelque chose, quoi qu'il en soit de l'existence réelle de cet objet et quelque abstention que je fasse, dans l'attitude transcendantale qui est mienne, de la position de cette existence et de tous les actes de l'attitude naturelle. Par conséquent, il faudra élargir le contenu de l'ego cogito transcendantal, lui ajouter un élément nouveau et dire que tout est cogito ou encore tout état de conscience "vise" quelque chose, et qu'il porte en lui-même, en tant que "visé" (en tant qu'objet d'une intention), son cogitatum respectif. Chaque cogito, du reste, le fait à sa manière. La perception de la "maison" "vise"(se rapporte à) une maison - ou, plus exactement, telle maison individuelle - de manière perceptive; le souvenir de la maison "vise" la maison comme souvenir: l'imagination, comme image; un jugement prédicatif ayant pour objet la maison "placée devant moi" la vise de la façon propre au jugement prédicatif: un jugement de valeur surajouté la viserait encore à sa manière, et ainsi de suite. Ces états de conscience sont aussi appelés états intentionnels. Le mot intentionnalité ne signifie rien d'autre que cette particularité foncière et générale qu'à la conscience d'être conscience de quelque chose, de porter, en sa qualité de cogito, son cogitatum en elle-même" [Méditations cartésiennes (1929)]


(116) Pascal : L'insasissabilité du Moi - "Qu'est-ce que le MOI?" Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir? Non; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi? Non; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.


(117) David Hume - "Je ne peux jamais me saisir, moi..." Il y a certains philosophes qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre MOI ; que nous sentons son existence et sa continuité d'existence ; et que nous sommes certains, plus que par l'évidence d'une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle "moi", je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps, je n'ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n'existe pas. Si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort et que je ne puisse ni penser ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé et je ne conçois pas ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant." [Traité de la nature humaine (1739)]



(118) Kant - Le "je pense" doit pouvoir accompagner toutes mes représentations" - Le "je pense" doit pouvoir accompagner toutes mes représentations ; car autrement serait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui revient à dire ou que la représentation serait impossible, ou que, du moins, elle ne serait rien pour moi ». [Kant, Critique de la raison Pure, Analytique Transcendantale, Déduction Transcendantale §16]


(119) Kant - Posséder le Je dans sa représentation - Posséder le Je dans sa représentation ce pouvoir élève l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne : et grâce a l'unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise : et ceci, même lorsqu'il ne peut pas dire Je. car il l'a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu'elles parlent à la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l'expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l'entendement. Il faut remarquer que l'enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu'assez tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher. etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir; maintenant il se pense"("Anthropologie du point de vue pragmatique")


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(120) Piaget : un système dynamique en activité continuelle -"Pour le sens commun des psychologues, la prise de conscience ne consiste qu'en une sorte d'éclairage ne modifiant ni n'ajoutant rien, sinon la visibilité à ce qui était donné avant qu'on y projette la lumière. Freud va jusqu'à comparer la conscience à un « organe des sens interne », étant entendu, dans sa perspective, que la sensation se borne à recevoir une matière extérieure sans être susceptible de la transformer. Cependant, nul n'a contribué plus que lui à nous faire considérer l'« inconscient » comme un système dynamique en activité continuelle. Nos présentes recherches conduisent à réclamer des pouvoirs analogues en faveur de la conscience elle-même. [Piaget, La Prise de Conscience : 261]


(121) Jean Piaget - La Prise de Conscience en sa dimension macrocosmique - "Le passage du CHAOS au COSMOS, s'opère donc par une élimination de l'égocentrisme. [...] A l'autre extrême, c'est-à-dire au moment où l'intelligence sensori-motrice a suffisamment élaboré la connaissance pour que soient rendus possibles le LANGAGE et l'intelligence réfléchie, l' UNIVERS est au contraire constitué en une structure à la fois substantielle et spatiale, causale et temporelle. Or cette organisation du réel s'effectue, verrons-nous, dans la mesure où le MOI se délivre de lui même en se découvrant et se situe ainsi comme une chose parmi les choses, un événement parmi les événements"[La construction du réel chez l'enfant]

L'espace euclidien lié à nos organes n'est que l'un de ceux qui s'adaptent à l'expérience physique. Au contraire, l'activité déductive et organisatrice de la RAISON est illimitée et conduit précisément, dans le domaine de l'espace à des généralisations dépassant toute intuition .
Pour autant que cette activité est héréditaire, c'est donc en un tout autre sens. [...] C'est en ce second sens que H. Poincaré a pu considérer la notion spatiale de « groupe » comme a priori, parce que liée à l'activité même de l'intelligence. Quant à l'hérédité de l'intelligence comme telle, nous retrouvons la même distinction. D'une part, une question de structure : l'«hérédité spéciale» de l'espèce humaine et de ses « lignées » particulières comporte certains niveaux d'intelligence, supérieurs à celui des singes, etc. Mais, d'autre part, l'activité fonctionnelle de la raison (l'IPSE INTELLECTUS qui ne vient pas de l'expérience) est évidemment liée à l'«hérédité générale» de l'organisation vitale elle-même : de même que l'organisme ne saurait s'adapter aux variations ambiantes s'il n'était pas déjà organisé, de même l'intelligence ne pourrait appréhender aucune donnée extérieure sans certaines fonctions de cohérence (dont le terme ultime est le principe de non-contradiction ), de mise en relations, etc , qui sont communes à toute organisation intellectuelle [La naissance de l'intelligence chez l'enfant ].

IIB - Du simple réflexe à l'intelligence la plus systématique, un même fonctionnement nous paraît se prolonger au travers de tous les stades , établissant ainsi une continuité entière entre des structures de plus en plus complexes. NI137 Si les structures dont use la pensée varient d'un stade à l'autre et, a fortiori, d'un SYSTEME MENTAL à un autre, la PENSEE demeure constamment identique à elle-même du point de vue fonctionnel.[La Construction du réel chez l'enfant]


5.LE LANGAGE


(122) N.Wiener : "Information is information" - «Le cerveau mécanique ne produit pas les pensées « comme le foie produit la bile » comme le prétendaient les matérialistes d’autrefois. Et il ne les produit non plus comme une forme d’énergie, comme le font les muscles avec leurs activités. Non, l’information est l’information: ce n’est ni de la matière ni de l’énergie. Aucun matérialisme qui ne l’admette pas ne pourra survivre à cette époque » [Wiener, La Cybernétique1965]


(123) N.Wiener : toute machine parle « Qu'est-ce qu'une machine ? D'un certain point de vue, on peut considérer une machine comme un mouvement primaire, une source d'énergie, mais ce ne sera pas l'angle de vue adopté dans cet ouvrage. Pour nous, une machine est un dispositif convertissant des messages d'entrée en messages de sortie. Un message, dans ce contexte, est une séquence de quantités qui représentent des signaux dans le message. Ces quantités peuvent être des courants ou tensions électriques, mais sans s'y limiter, car ils peuvent être aussi d'une tout autre nature. De plus, les signaux élémentaires peuvent être distribués de manière soit continue soit discontinue dans le temps. Une machine transforme un certain nombre de messages d'entrée en un certain nombre de messages de sortie, chaque message de sortie dépendant à tout moment des messages d'entrée saisis jusque-là. Un ingénieur dirait dans son jargon qu'une machine est un transducteur à entrées et à sorties multiples » [Wiener 2000]


(124) Bateson - L'Evolution comme échange d'Idées «Nous aurions tort de penser que l’évolution ne résulte que d'un ensemble de transformations de la façon dont l'être vivant «s'adapte» à la vie dans son milieu; elle s'explique, bien plutôt, par une relation de communication permanente entre l’être vivant et ce même milieu. Car en réalité c'est l'Ecosystème en sa totalité qui survit et évolue lentement. Dans cette relation, les termes en rapport sont soumis à certains changements, qui, certes, peuvent être décrits comme «adaptatifs», mais la «survie» signifie en réalité que certaines des « énonciations » d'un être vivant déterminé continuent d'être vraies pendant une période de temps donnée; inversement, l' «évolution» se rapporte aux transformations / améliorations qui affectent la vérité de ces mêmes énonciations» [G.Bateson, Vers une écologie de l’Esprit]


(125) Cameron (Avatar): la "transduction" des signes « Oh… ça va si vite ? Impressionnant n’est-pas ?... Donc ça c’est la transduction du signal, de cette racine à celle de l’arbre le plus proche... » […] Il s’agit d’un phénomène visible et mesurable lié à la biologie de cette forêt. D’après nos observations il y a une sorte de transmission de type électrochimique qui permet aux arbres de communiquer entre eux. Ca agit comme les synapses entre les neurones, et chaque arbre a 104 connexions avec les arbres voisins, et on sait qu’il y a environ 1012 arbres sur Pandora : c’est plus de connexions que dans le cerveau humain. C’est comme un réseau… un réseau d’une dimension phénoménale et auquel les Navi ont accès et grâce auquel ils peuvent échanger des données, de la mémoire. La richesse de ce monde est tout autour de nous, et pas seulement sous nos pieds » [James Cameron, Avatar]


(126)Benveniste - "Un abus de termes" «Appliquée au monde animal, la notion de langage n'a cours que par un abus de termes. On sait qu'il a été impossible jusqu'ici d'établir que les animaux disposent, même sous une forme rudimentaire, d'un mode d'expression qui ait les caractères et les fonctions du langage humain (...). Les conditions fondamentales d'une communication proprement linguistique semblent faire défaut dans le monde des animaux même supérieurs» [E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris : Gallimard : 1952].


(127)De Saussure - Le signifié est "immotové" par rapport au signifiant « Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par « signe » le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement: le signe linguistique est arbitraire. Ainsi l’idée de «sœur» n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n’importe quelle autre: à preuve les différences entre les langues et l’existence même de langues différentes: le signifié «bœuf» a pour signifiant b-ö-f d’un côté de la frontière, et o – k – s (Ochs) de l’autre. [...] Le mot « arbitraire » appelle toutefois une remarque. Il ne doit pas donner l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu’il n’est pas au pouvoir de l’individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique); nous voulons dire qu’il est immotivé, c’est-à-dire arbitraire par rapport au signifié avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la réalité » [Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale]



(128)Platon - Le signifié est une propriété naturelle du signifiant VII « Cratyle que voici prétend, mon cher Socrate, qu'il y a pour chaque chose un nom qui lui est propre et qui lui appartient par nature; selon lui, ce n'est pas un nom que la désignation d'un objet par tel ou tel son d'après une convention arbitraire ; il veut qu'il y ait dans [383b] les noms une certaine propriété naturelle qui se retrouve la même et chez les Grecs et chez les Barbares ».



(129) La danse en cercle, la danse en huit...
«La danse en cercle - Tout d’abord, l’abeille qui a trouvé une source de nourriture, régurgite une partie de sa récolte de nectar. Puis, aussitôt, elle exécute une série de mouvements très stéréotypés. Elle se met à exécuter, sur le rayon ou elle se trouve, une sorte de danse en rond : elle décrit un cercle, se retrouve à son point de départ, fait demi-tour et reprend le même mouvement en sens inverse.

La danse en huit - Tout d’abord, l’abeille qui a trouvé une source de nourriture, régurgite une partie de sa récolte de nectar. Puis, aussitôt, elle exécute une série de mouvements très stéréotypés. Elle se met à exécuter, sur le rayon ou elle se trouve, une sorte de danse en rond : elle décrit un cercle, se retrouve à son point de départ, fait demi-tour et reprend le même mouvement en sens inverse» [http://tecfa.unige.ch.html]



(130) Benveniste - Le langage des abeilles, et la parole des hommes
(I) LE LANGAGE DES ABEILLES EN EST CERTAINEMENT UN…
«Ce problème fascinant a défié longtemps les observateurs. On doit à Karl Von Frisch (professeur de zoologie à l’Université de Munich) d’avoir par des expériences qu’il poursuit depuis une trentaine d’années, posé les principes d’une solution. Ses recherches ont fait connaître le processus de la communication parmi les abeilles. Il a observé, dans une ruche transparente, le comportement de l’abeille qui rentre après une découverte de butin. Elle est aussitôt entourée par ses compagnes au milieu d’une grande effervescence, et celles-ci tendent vers elles leurs antennes pour recueillir le pollen dont elle est chargée, ou elles absorbent du nectar qu’elle dégorge. Puis, suivie par ses compagnes, elle exécute des danses. C’est ici le moment essentiel du procès et l’acte propre de la communication. L’abeille se livre, selon le cas, à deux danses différentes.
L’une consiste à tracer des cercles horizontaux de droite à gauche, puis de gauche à droite successivement.
L’autre, accompagnée d’un frétillement continu de l’abdomen (wagging dance), imite à peu près la figure d’un 8 : l’abeille court droit, puis décrit un tour complet vers la gauche, de nouveau court droit, recommence un tour complet sur la droite, et ainsi de suite.
Après les danses, une ou plusieurs abeilles quittent la ruche et se rendent droit à la source que la première a visitée, et, s’y étant gorgées, rentrent à la ruche, où, à leur tour, elles se livrent aux mêmes danses, ce qui provoque de nouveaux départs, de sorte qu’après quelques allées et venues, des centaines d’abeilles se pressent à l’endroit où la butineuse a découvert la nourriture. La danse en cercles et la danse en huit apparaissent donc comme de véritables messages par lesquels la découverte est signalée à la ruche. La danse en cercle annonce que l’emplacement de la nourriture doit être cherché à une faible distance, dans un rayon de cent mètres environ autour de la ruche. Les abeilles sortent alors et se répandent autour de la ruche jusqu’à ce qu’elles l’aient trouvé. L’autre danse, que la butineuse accomplit en frétillant et en décrivant des huit, indique que le point est situé à une distance supérieure, au-delà de cent mètres et jusqu’à six kilomètres. Ce message fournit deux indications distinctes, l’une sur la distance propre, l’autre sur la direction. La distance est impliquée par le nombre de figures dessinées en un temps déterminé; elle varie toujours en raison inverse de leur fréquence. Par exemple, l’abeille décrit neuf à dix « huit » complets en quinze secondes quand la distance est de cent mètres, sept pour deux cent mètres, quatre et demi pour un kilomètre, et deux seulement pour six kilomètres. Plus la distance est grande, plus la danse est lente.

Les abeilles apparaissent capables de produire et de comprendre un véritable message, qui enferme plusieurs données. Elles peuvent donc enregistrer des relations de position et de distance; elles peuvent les conserver en « mémoire »; elles peuvent les communiquer en les symbolisant par divers comportements somatiques. Le fait remarquable est d’abord qu’elles manifestent une aptitude à symboliser : il y a bien correspondance « conventionnelle » entre leur comportement et la donnée qu’il traduit. Ce rapport est perçu par les autres abeilles dans les termes où il leur est transmis et devient moteur d’action. Jusqu’ici nous trouvons, chez les abeilles, les conditions mêmes sans lesquelles aucun langage n’est possible, la capacité de formuler et d’interpréter un «signe » qui renvoie à une certaine « réalité », la mémoire de l’expérience et l’aptitude à la décomposer.

Le message transmis contient trois données, les seules identifiables jusqu’ici: l’existence d’une source de nourriture, sa distance, sa direction On pourrait ordonner ces éléments d’une manière un peu différente. La danse en cercle indique simplement la présence du butin, impliquant qu’il est à faible distance. Elle est fondée sur le principe mécanique du « tout ou rien ». L’autre danse formule vraiment une communication; cette fois, c’est l’existence de la nourriture qui est implicite dans les deux données (distance, direction) expressément énoncées.

On voit ici plusieurs points de ressemblance avec le langage humain. Ces procédés mettent en œuvre un symbolisme véritable bien que rudimentaire, par lequel des données objectives sont transposées en gestes formalisés, comportant des éléments variables et de «signification » constante. En outre, la situation et la fonction sont celles d’un langage, en ce sens que le système est valable à l’intérieur d’une communauté donnée et que chaque membre de cette communauté est apte à l’employer ou à le comprendre dans les mêmes termes.

(II) … MAIS IL N’EST PAS LA PAROLE DES HOMMES «Mais les différences sont considérables et elles aident à prendre conscience de ce qui caractérise en propre le langage humain.
(A)Celle-ci, d’abord, essentielle, que le message des abeilles consiste entièrement dans la danse, sans intervention d’un appareil « vocal » alors qu’il n’y a pas de langage sans voix. (B) D’où une autre différence, qui est d’ordre physique. N’étant pas vocale mais gestuelle, la communication chez les abeilles s’effectue nécessairement dans des conditions qui permettent une perception visuelle, sous l’éclairage du jour; elle ne peut avoir lieu dans l’obscurité. Le langage humain ne connaît pas cette limitation. (C) Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d’autres qui parlent, telle est la réalité humaine. (D) Cela révèle un nouveau contraste. Parce qu’il n’y a pas dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée « linguistique »; déjà parce qu’il n’y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une manifestation linguistique; (E) mais aussi en ce sens que le message d’une abeille ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu elle-même les choses que la première annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par exemple porter dans une autre ruche le message qu’elle a reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de transmission ou de relais.

(F) On voit la différence avec le langage humain, où, dans le dialogue, la référence à l’expérience objective et la réaction à la manifestation linguistique s’entremêlent librement et à l’infini. L’abeille ne construit pas de message à partir d’un autre message. Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse, sortent et vont se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la même information, non d’après le message premier mais d’après la réalité qu’elle vient de constater. Or, le caractère du langage est de procurer un substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace, ce qui est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.

(III) (A) Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer qu’ il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain. (B) De plus, la conduite qui signifie le message des abeilles dénote un symbolisme particulier qui consiste en un décalque de la situation objective, de la seule situation qui donne lieu à un message, sans variation ni transposition possible. Or, dans le langage humain, le symbole en général ne configure pas les données de l’expérience, en ce sens qu’il n’y a pas de rapport nécessaire entre la référence objective et la forme linguistique. Il y aurait ici beaucoup de distinctions à faire au point de vue du symbolisme humain dont la nature et le fonctionnement ont été peu étudiés. Mais la différence subsiste.(C) Un dernier caractère de la communication chez les abeilles l’oppose fortement aux langues humaines. Le message des abeilles ne se laisse pas analyser. Nous n’y pouvons voir qu’un contenu global, la seule différence étant liée à la position spatiale de l’objet relaté. Mais il est impossible de décomposer ce contenu en ses éléments formateurs, en ses « morphèmes », de manière à faire correspondre chacun de ces morphèmes à un élément de l’énoncé. Le langage humain se caractérise justement par là. Chaque énoncé se ramène à des éléments qui se laissent combiner librement selon des règles définies, de sorte qu’un nombre assez réduit de morphèmes permet un nombre considérable de combinaisons, d’où naît la variété du langage humain, qui est capacité de tout dire. Une analyse plus approfondie du langage montre que ces morphèmes, éléments de signification se résolvent à leur tour en phonèmes, éléments d’articulation dénués de signification, moins nombreux encore, dont l’assemblage sélectif et distinctif fournit les unités signifiantes. Ces phonèmes « vides », organisés en systèmes, forment la base de toute langue. Il est manifeste que le langage des abeilles ne laisse pas isoler de pareils constituants; il ne se ramène pas à des éléments identifiables et distinctifs » [E.Benveniste.Problèmes de linguistique générale].


(131) Bergson - La "mobilité" de la Parole «Si les fourmis, par exemple, ont un langage, les signes qui composent ce langage doivent être en nombre bien déterminé, et chacun d'eux rester invariablement attaché, une fois l'espèce constituée, à un certain objet ou à une certaine opération. Le signe est adhérent à la chose signifiée. Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l'action sont de forme variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n'y étant pas prédestiné par sa structure. Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu'on sait à ce quon ignore. Il faut un langage dont les signes - qui ne peuvent pas être en nombre infini - soient extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transporter d'un objet à un autre est caractéristique du langage humain. On l'observe chez le petit enfant, du jour où il commence à parler. Tout de suite, et naturellement, il étend le sens des mots qu'il apprend, profitant du rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pour détacher et transporter ailleurs le signe qu'on avait attaché devant lui à un objet. "N'importe quoi peut désigner n'importe quoi", tel est le principe latent du langage enfantin. On a eu tort de confondre cette tendance avec la faculté de généraliser. Les animaux eux-mêmes généralisent, et d'ailleurs un signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre. Ce qui caractérise les signes du langage humain, ce n'est pas tant leur généralité que leur mobilité. Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile» [Bergson,L’évolution créatrice]


(132) Hegel - C'est dans les mots que nous pensons « C'est dans les mots que nous pensons. Nous n'avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité et par suite nous les marquons d'une forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable. Mais c'est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l'ineffable, c'est la pensée obscure, la pensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie.» [Hegel, Philosophie de l'Esprit]


(133) Merleau-Ponty - La pensée n'est rien d'«intérieur» «La pensée n'est rien d'« intérieur », elle n'existe pas hors du monde et hors des mots. Ce qui nous trompe là-dessus, ce qui nous fait croire à une pensée qui existerait pour soi avant l'expression, ce sont les pensées déjà constituées et déjà exprimées que nous pouvons rappeler à nous silencieusement et par lesquelles nous nous donnons l'illusion d'une vie intérieure. Mais en réalité ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur.La pensée n'est rien d'« intérieur », elle n'existe pas hors du monde et hors des mots. Ce qui nous trompe là-dessus, ce qui nous fait croire à une pensée qui existerait pour soi avant l'expression, ce sont les pensées déjà constituées et déjà exprimées que nous pouvons rappeler à nous silencieusement et par lesquelles nous nous donnons l'illusion d'une vie intérieure. Mais en réalité ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur. La pensée « pure » se réduit à un certain vide de la conscience, à un vœu instantané. L'intention significative nouvelle ne se connaît elle-même qu'en se recouvrant de significations déjà disponibles, résultat d'actes d'expression antérieurs. Les significations disponibles s'entrelacent soudain selon une loi inconnue, et une fois pour toutes un nouvel être culturel a commencé d'exister. La pensée et l'expression se constituent donc simultanément. [Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception» 1945]

6.LE VIVANT

(134) Descartes: une pure différence de taille - «Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent a la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les 10 heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est a un arbre de produire ses fruits. C'est pourquoi, en même façon qu'un horloger, en voyant une montre qu'il n'a point faite, peut ordinairement juger, de quelques-unes de ses parties qu'il regarde, quelles sont toutes les autres qu'il ne voit pas : ainsi, en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels, j'ai taché de connaitre quelles doivent être celles de leurs parties qui sont insensibles » [PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE (1644)]


(135) Aristote: l’animé diffère de l’inanimé par la vie
« Nous posons donc, comme point de départ de notre enquête, que l’animé diffère de l’inanimé par la vie. Or le terme "Vie" reçoit plusieurs acceptions, et il suffit qu’une seule d’entre elles se trouve réalisée dans un sujet pour que nous disions qu’il vit: que ce soit, par exemple, l’intellect, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, ou encore le mouvement de nutrition, le décroissement et l’accroissement - C’est aussi pourquoi tous les végétaux semblent bien avoir la vie, car il apparaît, en fait, qu’ils ont en eux-mêmes une faculté et un principe tel que, grâce à lui, ils reçoivent accroisse ment et décroissement selon des directions locales contraires. En effet, ce n’est pas seulement vers le haut qu’ils s’accroissent, à l’exclusion du bas, mais c’est pareillement dans ces deux directions; ils se développent ainsi progressivement de tous côtés et continuent à vivre aussi longtemps qu’ils sont capables d’absorber la nourriture. Cette faculté peut être séparée des autres, bien que les autres ne puissent l’être d’elle, chez les êtres mortels du moins. Le fait est manifeste dans les végétaux, car aucune des autres facultés de l’âme ne leur appartient. C’est donc en vertu de ce principe que tous les êtres vivants possèdent la vie. Quant à l’animal, c’est la sensation qui est à la base de son organisation même, en effet, les êtres qui ne se meuvent pas et qui ne se déplacent pas, du moment qu’ils possèdent la sensation, nous les appelons des animaux et non plus seulement des vivants. Maintenant, parmi les différentes sensations, il en est une qui appartient primordialement à tous les animaux: c’est le toucher. Et de même que la faculté nutritive peut être séparée du toucher et de toute sensation, ainsi le toucher peut l’être lui-même des autres sens. Pour l’instant, contentons-nous donc de dire que l’AME est le principe des fonctions que nous avons indiquées et qu’elle est définie par elles, savoir par les facultés motrice, sensitive, dianoétique, et par le mouvement».[Aristote, De L’Ame 413a-b]



(136) Kant - Pour les autres n'est pas PAR les autres
«[1] Dans un tel produit de la nature [l’être vivant] chaque partie, de même qu'elle n'existe que PAR toutes les autres, est également pensée comme existant POUR les autres et pour le tout, c'est-a-dire comme instrument (organe). Cet «être-pour» toutefois ne suffit pas, car une telle partie pourrait être aussi un instrument de l'art. C'est pourquoi on la conçoit plutôt comme un organe produisant les autres parties, chacune produisant donc les autres et réciproquement[…]; et ce n'est qu'alors et pour cette seule raison qu'un tel produit, en tant qu'être organisé et s'organisant lui-même, peut être appelé une «fin naturelle». - [2] Dans une montre, une partie est l'instrument du mouvement des autres, mais un rouage n'est pas la cause efficiente de la production d'un autre rouage; une partie est certes là POUR l'autre, mais elle n'est pas la PAR cette autre partie. C'est pour cette raison que la cause qui produit celles-ci (les rouages) et leur forme n'est pas contenue dans la nature même de leur matière, mais hors d'elle. C'est la raison pour laquelle également, dans une montre, un rouage ne peut en produire un autre, pas plus qu'une montre ne peut produire d'autres montres, en utilisant (en organisant) pour cela d'autres matières. C'est aussi la raison pour laquelle la montre ne remplace pas non plus d'elle-même les parties qui lui ont été enlevées, ni ne compense leur défaut dans la première formation en faisant intervenir les autres parties, ni ne se répare elle-même lorsqu'elle est déréglée: or, tout cela, nous pouvons l'attendre en revanche de la nature organisée"


(137) Pichot - Le critères lamarkistes du Vivant
«Pour Lamarck les êtres vivants comme les objets inanimés sont de pures productions de la nature, il commence donc par les comparer les uns aux autres, afin d'établir ce qui les différencie. C'est ce dont traite le début de la deuxième partie de la Philosophie zoologique, partie plus particulièrement consacrée a l'étude de la spécificité des êtres vivants. Par rapport aux objets inanimés, ces caractères des êtres vivants sont:
(1) L'individualité
(2) La naissance, et non une apparition « accidentelle » (3) La mort
(4) Une croissance par assimilation, et non par simple juxtaposition
(5) La forme
(6) La nutrition
(7) L'hétérogénéité de composition
(8) L'interdépendance des parties
(9) Le mouvement des parties les unes par rapport aux autres
(10) L'impossibilité d'être parfaitement solide » [A.Pichot, Histoire de la notion de vie]



(138) Disséquer l'Indivisible (Aristote, Voltaire, Shelton)

(A) ARISTOTE «L’observation montré aussi que les plantes continuent de vivre une fois divisées, ainsi d’ailleurs que certains insectes, tout se passant comme si les segments avaient une âme spécifiquement et non numériquement identique, puisque chacun d’eux conserve la sensation et le mouvement local pendant un certain temps. Dans chacune des parties segmentées, toutes les parties de l’âme sont intégralement contenues, et les âmes des segments sont spécifiquement identiques entre elles et à l’âme entière, ce qui implique que les différentes parties de l’âme ne sont pas séparables les unes des autres, tandis que l’âme entière est, au contraire, divisible.»
(B) VOLTAIRE – Le 27 de mai, par les neuf heures du matin, le Ra temps étant serein, je coupai la tête entière avec ses quatre antennes, à vingt limaces nues incoques, de couleur mordoré brun, et à douze escargots à coquille. Je coupai aussi la tête à huit autres escargots, mais entre les deux antennes. Au bout de quinze jours, deux de mes limaces ont montré une tête naissante ; elles mangeaient déjà, et leurs quatre antennes commençaient à poindre. Les autres se portent bien. Il n'est mort que la moitié de mes escargots. Ils marchent, ils grimpent au mur, ils allongent le cou, mais il n'y a nulle apparence de tête, excepté à un seul. [...] Qu'il revienne une tête à un animal assez gros, visiblement vivant, et dont le genre n'est point équivoque, c'est là un prodige inouï, mais un prodige qu'on ne peut contester ».
(C) SHELTON «Coupez une feuille de bégonia en petits morceaux, soignez-les bien et chaque morceau donnera naissance à un nouveau massif de bégonias. Les substances contenues dans le fragment de feuille sont utilisées pour la constitution d'une nouvelle plante. [...] Si des planaires, ou vers plats, sont coupés en petits morceaux et placés dans un milieu où ils peuvent absorber de la nourriture, chaque morceau se développera et deviendra un petit ver. S'ils ne peuvent absorber de nourriture, ils ne peuvent croître. Par conséquent, chaque morceau redistribue ses éléments totalement de façon à devenir un ver parfait, bien que tout petit.[…] Nous avons ici un processus semblable à la métamorphose des insectes qui se produit au stade pupal. Ici la capacité de dissocier une partie et d'en transférer les composants est manifeste. La même chose est observée dans le ramollissement et l'absorption de l'anneau osseux qui sert de support autour d'une fracture » [Shelton, Le jeune : 77,80]



(139) Piaget: le Principe de l'Assimilation «Assurément un appel à la notion d'assimilation ne constitue en rien une explication de l'assimilation elle-même. […] L'idéal d'une déduction absolue ne saurait conduire qu'à une explication verbale. Renoncer à une telle tentation, c'est choisir à titre de principe une donnée élémentaire susceptible d'un traitement biologique en même temps que d'une analyse psychologique. L'assimilation est telle. L'explication de cette donnée est l'affaire de la biologie : l'existence d'une totalité organisée qui se conserve en assimilant le monde extérieur soulève, en effet, tout le problème de la vie elle-même» [Piaget La Naissance de l’intelligence:46,151.]



(140) Piaget: l'historicité du Vivant
«D'une manière générale, on peut dire que le réflexe se consolide et s'affermit en vertu de son propre fonctionnement. […] À [certains] excitants précis, liés à des moments particuliers de la vie de l’organisme, il s'ajoute, nous semble-t-il, cette circonstance essentielle que la répétition même des mouvements réflexes constitue une dynamogénie pour eux. Pourquoi, par exemple, Lucienne suce-t-elle ses doigts dix minutes de suite tôt après sa naissance ? […] Pourquoi l'excitation dure-t-elle, dans un tel cas, puisqu'elle ne conduit à aucun résultat, sinon précisément à l'exercice du réflexe ? [Or même l’observation du simple exercice des « reflexes »] nous a convaincu de l'impossibilité de détacher n'importe quelle conduite du contexte historique dont elle fait partie. […] Bref, les comportements nouveaux dont l'apparition définit chaque stade, se présentent toujours comme développant ceux des stades précédents […] On peut concevoir cette transformation comme due à une évolution historique telle que l'exercice des schèmes soit nécessaire à leur structuration et telle que le résultat de leur activité se transmette ainsi d'une période à l'autre. […] On peut suivre l'histoire particulière de chaque schème au travers des stades successifs du développement, la constitution des structures ne pouvant être dissociée du déroulement historique de l'expérience.» [Piaget 1936 : 35, 333-335]



(141) Jacob: la temporalité macrocosmique de la Vie -
«On ne rencontre, sur cette terre, aucun organisme, fût-ce le plus humble, le plus rudimentaire, qui ne constitue l'extrémité d'une série d'êtres ayant vécu au cours des deux derniers milliards d'années ou plus. À l'idée de Temps sont indissolublement liées celles d'origine, de continuité, d’instabilité et de contingence.

[1] ORIGINE , parce qu'on considère l'apparition de la vie comme un événement survenu, sinon une fois depuis la formation de la terre, du moins très rarement : tous les êtres vivant actuellement descendent donc d'un seul et même ancêtre, ou d'un très petit nombre de formes primitives.

[2] CONTINUITE parce que, depuis l'apparition du premier organisme, le vivant est regardé comme ne pouvant naître que du vivant : c'est donc par le seul effet de reproductions successives que la terre est aujourd'hui peuplée d'organismes variés.

[3] INSTABILITE parce que si la fidélité de la reproduction conduit presque toujours à la formation de l'identique, il lui arrive, rarement mais sûrement, de donner naissance au différent : cette étroite marge de flexibilité suffit à assurer la variation nécessaire à l'évolution.

[4] CONTINGENCE, enfin, parce qu’on ne décèle aucune intention d'aucune sorte dans la nature, aucune action concertée du milieu sur l'hérédité, capable d'orienter la variation dans un sens prémédité : il n'y a donc aucune nécessité a priori à l'existence d'un monde vivant tel qu'il est aujourd'hui. Tout organisme, quel qu'il soit, se trouve alors indissolublement lié, non seulement à l'Espace qui l'entoure, mais encore au Temps qui l'a conduit là et lui donne comme une quatrième dimension » [ F.Jacob, La Logique du vivant (1970), Gallimard, pp. 146]



(142) Darwin - Le Principe de Conservation du Vivant
«Si, au milieu des conditions changeantes de la vie, les êtres organisés offrent, dans toutes les parties de leur conformation, des différences individuelles, fait qu'on ne saurait contester ; si la raison géométrique de son augmentation' expose chaque espèce à une lutte sévère pour l'existence, à un âge, une saison, ou une période quelconque de sa vie, point qui n'est pas moins certainement incontestable ; alors, en tenant compte de la complexité infinie des relations réciproques qu'ont entre eux et avec leurs conditions d'existence tous les êtres organisés, causes déterminantes d'une diversité infinie de constitutions, de conformations et de moeurs qui peuvent leur être avantageuses, il serait extraordinaire qu'il ne dût jamais survenir de variations utiles à leur prospérité, comme il s'en est tant présenté que l'homme a utilisées. Si des variations utiles à un être organisé apparaissent, les individus affectés doivent assurément avoir une meilleure chance de l'emporter dans la lutte pour l'existence, de survivre et, en vertu de l'hérédité, de produire des descendants semblablement caractérisés.

C'est ce principe de conservation, de survivance du mieux adapté, que j'appelle sélection naturelle. Il conduit â l'amélioration de chaque être dans ses rapports avec les conditions organiques et inorganiques dans lesquelles il vit et, par conséquent, vers ce qu'on peut, dans la majorité des cas, considérer comme un état progressif d'organisation. Néanmoins, des formes inférieures et simples pourront durer longtemps, lorsqu'elles seront bien adaptées aux conditions peu complexes de leur existence... » [Charles Darwin, L’Origine des espèce au moyen de la selection naturelle, 1859]


7.L'INCONSCIENT


(143) Freud - "Notre Dieu le Logos n'est peut-être pas très puissant"
«Freud était un loyal héritier du Siècle des Lumières, le dernier des philosophes. Pfister l'avait bien vu, qui déclarait ainsi, un peu tendancieusement peut-être : «Votre substitut de religion, c'est en substance la pensée des Lumières du xvnie siècle, orgueilleusement revue et modernisée w12, écrivit-il à Freud sans autre forme de procès. Freud, même s'il ne considérait pas la psychanalyse comme un substitut de religion, se plaisait à voir dans le Siècle des Lumières la source de ses idées. Il est révélateur qu'il ait choisi de dénier toute originalité à sa critique de la religion dans l'avenir d'une illusion, qui est précisément le livre où il se montre le plus agressif. Il admettait être dépendant des esprits éclairés de jadis, et en tirait une certaine force : « En outre, n'ai-je rien dit que d'autres hommes, plus autorisés que moi, n'aient dit avant moi, et de façon plus complète, plus forte et plus éloquente. Les noms de ces hommes sont connus de tous; je ne les citerai pas, je ne voudrais pas avoir l'air de me considérer comme l'un d'entre eux. » Ces noms, nous pouvons les citer ici : ce sont Voltaire, Diderot, Feuerbach et Darwin. [...] Puisque la raison n'est aucunement omnipotente, sa victoire, même si l'on était en droit de l'espérer, était encore bien loin : elle n'était qu'une petite lueur vacillante dans les ténèbres des superstitions, des préjugés et de l'ignorance. « Notre Dieu le Logos n'est peut-être pas très puissant et il ne pourra peut-être tenir qu'une petite part de ce que ses prédécesseurs ont promis » [L’avenir d’une illusion, 1927] » [P.Gay, Freud, un juif sans dieu (1989) p. 49, 69)


(144) Freud: La Terre de l'Ame est ronde et en grande partie dans l'obscurité [CDP Freud T9, 433] -
"Dans le cours des siècles, la science a infligé à l'égoïsme naïf de l'humanité deux graves démentis.

COPERNIC - La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la Terre, loin d'être le centre de l'univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine ait déjà annoncé quelque chose de semblable.

DARWIN - Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains.

FREUD - Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c'est à eux que semble échoir la mission d'étendre cette manière de voir avec le plus d'ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l'expérience et accessibles à tous. D'où la levée générale de boucliers contre notre science, l'oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d'une opposition qui secoue toutes les entraves d'une logique impartiale. [Introduction d la psychanalyse (1916), 3ème partie, chap. 18, ]



(145) Freud - "Prêts à résurgir": la laïcisation de l'"imposition des mains" (CDP Freud T3, 429 - Intégré) -

«Le traitement cathartique, appliqué par Breuer, exigeait qu'on plongeât le malade dans une hypnose profonde puisque seuls les états hypnotiques lui permettaient de se rappeler les événements pathogènes qui lui échappaient à l'état normal. Or, je n'aimais pas l'hypnose ; c'est un procédé incertain et qui a quelque chose de mystique. Mais lorsque j'eus constaté que, malgré tous mes efforts, je ne pouvais mettre en état d'hypnose qu'une petite partie de mes malades, je décidai d'abandonner ce procédé et d'appliquer le traitement cathartique.

J'essayai donc d'opérer en laissant les malades dans leur état normal. Cela semblait au premier abord une entreprise insensée et sans chance de succès. Il s'agissait d'apprendre du mala­de quelque chose qu'on ne savait pas et que lui-même ignorait. Comment pouvait-on espérer y parvenir ? Je me souvins alors d'une expérience étrange et instructive que j'avais vue chez Bernheim, à Nancy; Bernheim nous avait montré que les sujets qu'il avait mis en somnambulisme hypnotique et aux­quels il avait fait accomplir divers actes, n'avaient perdu qu'apparemment le souvenir de ce qu'ils avaient vu et vécu sous l'hypnose, et qu'il était possible de réveiller en eux ces souvenirs à l'état normal. Si on les interroge, une fois réveillés, sur ce qui s'est passé, ces sujets prétendent d'abord ne rien savoir ; mais si on ne cède pas, si on les presse, si on leur assure qu'ils le peuvent, alors les souvenirs oubliés reparaissent sans manquer.

J'agis de même avec mes malades. (CDP Freud T3, 429) Lorsqu'ils prétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu'ils savaient, qu'ils n'avaient qu'à parler et j'assurais même que le souvenir qui leur reviendrait au moment où je mettrais la main sur leur front serait le bon.

De cette manière, je réussis, sans employer l'hypnose, à apprendre des malades tout ce qui était nécessaire pour établir le rapport entre les scènes pathogènes oubliées et les symptômes qui en étaient les résidus. Mais c'était un procédé pénible et épuisant à la longue, qui ne pouvait s'imposer comme une technique définitive.

Je ne l'abandonnai pourtant pas sans en avoir tiré des conclusions décisives : la preuve était faite que les souvenirs oubliés ne sont pas perdus, qu'ils restent en la possession du malade, prêts à surgir, associés à ce qu'il sait encore[Cinq Leçons sur la Psychanalyse, Deuxième Leçon]


(146) Freud - Le Postulat du Determinisme Psychique et la psycho-dynamique du "symptome" comme "allusion" et "traduction" -
[L'usage de l'hypnose se révélant décevant et aléatoire, Freud est à la recherche d'une technique capable de faire resurgir les souvenirs inconscients sans contrainte]
[A]Incapable de m'en sortir, je m'accrochai à un principe dont la légitimité scientifique a été démontrée plus tard [...]. C'est celui du déterminisme psychique en la rigueur duquel j'avais la foi la plus absolue. Je ne pouvais pas me figurer qu'une idée surgissant spontanément dans la conscience d'un malade, surtout une idée éveillée par la concentration de son attention, pût être tout à fait arbitraire et sans rapport avec la représentation oubliée que nous voulions retrouver. Qu'elle ne lui fût pas identique, cela s'expliquait par l'état psychologique supposé.
Deux forces agissaient l'une contre l'autre dans le malade ; d'abord son effort réfléchi pour ramener à la conscience les choses oubliées, mais latentes dans son inconscient ; d'autre part la résistances que je vous ai décrite et qui s'oppose au passage à la conscience des éléments refoulés. Si cette résistance est nulle ou très faible, la chose oubliée devient consciente sans se déformer; on était donc autorisé à admettre que la déformation de l'objet recherché serait d'autant plus grande que l'opposition à son arrivée à la conscience serait plus forte
[B] - L'idée qui se présentait à l'esprit du malade à la place de celle qu'on cherchait à rappeler avait donc elle-même la valeur d'un symptôme . C'était un substitut nouveau, artificiel et éphémère de la chose refoulée et qui lui ressemblait d'autant moins que sa déformation, sous l'influence de la résistance, avait été plus grande. Pourtant, il devait y avoir une certaine similitude avec la chose recherchée, puisque c'était un symptôme et, si la résistance n'était pas trop intense, il devait être possible de deviner, au moyen des idées spontanées, l'inconnu qui se dérobait. L'idée surgissant dans l'esprit du malade est, par rapport à l'élément refoulé,comme une allusion, comme une traduction de celui-ci dans un autre langage. [Troisième leçon]


(147) Freud et Le Principe de Raison Suffisante : "L’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime" (CDP Freud T1, 427 )

«On nous conteste de tous côtés le droit d'admettre un psychisme inconscient et de travailler avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l'hypothèse de l'inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l'existence de l'inconscient. Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires; aussi bien chez l'homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d'autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués et les rêves, chez l'homme sain, et tout ce qu'on appelle symptômes compulsionnels chez le malade; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d'idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l'origine, et de résultats de pensée dont l'élaboration nous est demeurée cachée.

Tous ces actes conscients demeurent incohérents si nous nous obstinons à prétendre qu'il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d'actes psychiques; mais ils s'ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or, nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d'aller au-delà de l'expérience immédiate. Et s'il s'avère de plus que nous pouvons fonder sur l'hypothèse de l'inconscient une pratique cou-ron-née de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l'existence de ce dont nous avons fait l'hypothèse. L'on doit donc se ranger à l'avis que ce n'est qu'au prix d'une prétention intenable que l'on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive être connu de la conscience. On peut aller plus loin et avancer, à l'appui d'un état psychique inconscient, que la conscience ne comprend à chaque moment qu'un contenu minime, si bien que la plus grande partie de ce que nous nommons connaissance consciente doit, de toute façon, se trouver nécessairement, durant les plus longues périodes, à l'état de latence, donc dans un état d'inconscience psychique » [Freud, Métapsychologie


(148) Freud et le Principe de Conservation de la Force Psychique

«Il existe une force qui les empêche de devenir conscients. L'existence de cette force peut être considérée comme certaine, car on sent un effort quand on essaie de ramener à la conscience les souvenirs inconscients. Cette force, qui maintient l'état morbide, on l'éprouve comme une résistance opposée par le malade. C'est sur cette idée de résistance que j'ai fondé ma conception des proces­sus psychiques dans l'hystérie. La suppression de cette résistance s'est montrée indispensable au rétablissement du malade. D'après le mécanisme de la guérison, on peut déjà se faire une idée très précise de la marche de la maladie.
Les mêmes forces qui, aujourd'hui, s'opposent à la réintégration de l'oublié dans le conscient sont assurément celles qui ont, au moment du trau­matisme, provoqué cet oubli et qui ont refoulé dans l'inconscient les incidents pathogènes.
J'ai appelé refoulement ce processus supposé par moi et je l'ai considéré comme prouvé par l'existence indéniable de la résistance.
Dans tous les cas observés, on constate qu’un désir violent a été ressenti, qui s’est trouvé en complète opposition avec les autres désirs de l’individu, inconciliable avec les aspirations morales et esthétiques de sa personne. Un bref conflit s’est ensuivi; à l’issue de ce combat intérieur, le désir inconciliable est devenu l’objet du refoulement, a été chassé hors de la conscience et oublié. Puisque la représentation en question est inconciliable avec le moi du malade, le refoulement se produit sous formes d’exigences morales ou autres de la part de l’individu. L’acceptation du désir inconciliable ou la prolongation du conflit auraient provoqué un malaise intense; le refoulement épargne ce malaise, il apparaît ainsi comme un moyen de protéger la personne psychique» [Cinq Leçons sur la psychanalise - Deuxième leçon]


(149) Freud et le côté obcur de la Force: non pas un manque de force - psychasténie - mais un conflit de forces
[Selon Pierre Janet (1859/1947) les « hystériques » seraient incapables de maintenir en un seul faisceau les multiples phénomènes psychiques, et il en résulterait la tendance à la dissociation mentale]
"Notre conception diffère de celle de Janet Pour nous, la dissociation psychique ne vient pas d’une inaptitude innée de l’appareil mental à la synthèse; nous l’expliquons dynamiquement par le conflit de deux forces psychiques, nous voyons en elle le résultat d’une révolte active des deux constellations psychiques, le conscient et l’inconscient, l’une contre l’autre. Exprimons-nous maintenant sans images : l’examen d’autres malades hystériques et d’autres névrosés nous conduit à la conviction qu’ils n’ont pas réussi à refouler l’idée à laquelle est lié leur désir insupportable. Ils l’ont bien chassée de leur conscience et de leur mémoire, et se sont épargné, apparemment, une grande somme de souffrances, mais le désir refoulé continue à substituer dans l’inconscient; il guette une occasion de se manifester et il réapparaît bientôt à la lumière, mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable ; en d’autres termes, l’idée refoulée est remplacée dans la conscience par une autre qui lui sert de substitut, d’ersatz, et à laquelle viennent s’attacher toutes les impressions de malaise que l’on croyait avoir écartées par le refoulement. Ce substitut de l’idée refoulée – le symptôme – est protégé contre de nouvelles attaques de la part du moi ; et, au lieu d’un court conflit, intervient maintenant une souffrance continuelle. A côté des signes de défiguration, le symptôme offre un reste de ressemblance avec l’idée refoulée»



(150) Freud métaphysicien de l'Inconscient: (A) éternité, totipotence et (B)immortalité animique du "Ics" ([A] CDP Freud T2, 428: [B] CDP Freud T15, 439]


(151) Freud hermeneutique: la "conversion" comme mécanisme de "traduction" (CDP Freud T4, 430)


(152) Freud husserlien: "Les actes manqués ont un sens" (CDP Freud T5, 430)


(153) Freud leibniz/husserlien: "Les rêves sont incompréhensibles car ils ont subi une défiguration" (CDP Freud T6, 431)


(154) Freud spinoza/husserlien: "Le sens profond des rêves est un désir" (CDP Freud T6, 431)


(155) Sartre augustinien/cartésien [cf T99]: la "mauvause" Foi suppose un vrai trompeur

«Dans l’interprétation psychanalytique on utilise l’hypothèse d’une censure, conçue comme une ligne de démarcation avec douane, services de passeports, contrôle des devises, etc., pour rétablir la dualité du trompeur et du trompé. L’instinct – ou si l’on préfère les tendances premières et les complexes de tendances constitués par notre histoire individuelle – figure ici la réalité. Il n’est ni vrai ni faux puisqu’il n’existe pas pour soi. Il est simplement, tout juste comme cette table qui n’est ni vraie ni fausse en soi mais simplement réelle. Quant aux symbolisations conscientes de l’instinct, elles ne doivent pas être prises pour des apparences mais pour des faits psychiques réels. La phobie, le lapsus, le rêve existent réellement à titre de faits de conscience concrets, de la même façon que les paroles et les attitudes du menteur sont des conduites concrètes et réellement existantes. Simplement le sujet est devant ces phénomènes comme le trompé devant les conduites du trompeur. Il les constate dans leur réalité et doit les interpréter.

Il y a une vérité des conduites du trompeur : si le trompé pouvait les rattacher à la situation où se trouve le trompeur et à son projet de mensonge, elles deviendraient parties intégrantes de la vérité, à titre de conduites mensongères

Pareillement, il y a une vérité des actes symboliques – c’est celle que découvre le psychanalyste lorsqu’il les rattache à la situation historique du malade, aux complexes inconscients qu’ils expriment, au barrage de la censure. Ainsi, le sujet se trompe sur le sens de ses conduites, ou les saisit dans leur existence concrète mais non pas dans leur vérité, faute de pouvoir les dériver d’une situation première et d’une constitution psychique qui lui demeurent étrangères.

C’est qu’en effet, par la distinction du « ça » et du « moi », Freud a scindé en deux la masse psychique. Je suis moi, mais je ne suis pas ça. Je n’ai point de position privilégiée par rapport à mon psychisme non conscient.

Je suis mes propres phénomènes psychiques, en tant que je les constate dans leur réalité consciente : par exemple, je suis cette impulsion à voler tel ou tel livre à cet étalage, je fais corps avec elle, je l’éclaire et je me détermine en fonction d’elle à commettre le vol. Mais je ne suis pas ces faits psychiques, en tant que je les reçois passivement et que je suis obligé de faire des hypothèses sur leur origine et leur véritable signification, tout juste comme le savant fait des conjectures sur la nature et l’essence d’un phénomène extérieur : ce vol, par exemple, que j’interprète comme une impulsion immédiate déterminée par la rareté, l’intérêt ou le prix du volume que je vais dérober, il est en vérité un processus dérivé d’autopunition qui se rattache plus ou moins directement à un complexe d’Œdipe. Il y a donc une vérité de l’impulsion au vol, qui ne peut être atteinte que par des hypothèses plus ou moins probables. Le critère de cette vérité ce sera l’étendue des faits psychiques conscients qu’elle explique ; ce sera aussi, d’un point de vue plus pragmatique, la réussite de la cure psychiatrique qu’elle permet. Finalement, la découverte de cette vérité nécessitera le concours du psychanalyste, qui apparaît comme le médiateur entre mes tendances inconscientes et ma vie consciente. Autrui apparaît comme pouvant seul effectuer la synthèse entre la thèse inconsciente et l’antithèse consciente. Je ne puis me connaître que par l’intermédiaire d’autrui, ce qui veut dire que je suis par rapport à mon « ça » dans la position d’autrui.

La censure, pour appliquer son activité avec discernement, doit connaître ce qu’elle refoule. Si nous renonçons en effet à toutes les métaphores représentant le refoulement comme un choc de forces aveugles, force est bien d’admettre que la censure doit choisir et, pour choisir, se représenter.

D’où viendrait, autrement, qu’elle laisse passer les impulsions sexuelles licites, qu’elle tolère que les besoins (faim, soif, sommeil) s’expriment dans la claire conscience ? Et comment expliquer qu’elle peut relâcher sa surveillance, qu’elle peut même être trompée par les déguisements de l’instinct ? Mais il ne suffit pas qu’elle discerne les tendances maudites, il faut encore qu’elle les saisisse comme à refouler, ce qui implique chez elle à tout le moins une représentation de sa propre activité. En un mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de soi ? Savoir, c’est savoir qu’on sait, disait Alain. Disons plutôt : tout savoir est conscience de savoir. Ainsi les résistances du malade impliquent au niveau de la censure une représentation du refoulé entant que tel, une compréhension du but vers quoi tendent les questions du psychanalyste et un acte de liaison synthétique [au cours de la cure psychanalytique, le malade mettrait en relation (de façon forcément consciente selon Sartre) les représentations qu’il se fait de ce qu’il a refoulé et l’explication de ce refoulement vers laquelle le psychanalyste tenterait de l’orienter] par lequel elle compare la vérité du complexe refoulé à l’hypothèse psychanalytique qui le vise. Et ces différentes opérations à leur tour impliquent que la censure est conscience (de) soi. Mais de quel type peut être la conscience (de) soi de la censure ? Il faut qu’elle soit conscience (d’)être conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour n’en être pas conscience. Qu’est-ce à dire sinon que la censure doit être de mauvaise foi ?

La psychanalyse ne nous a rien fait gagner puisque, pour supprimer la mauvaise foi, elle a établi entre l’inconscient et la conscience une conscience autonome et de mauvaise foi. C’est que ses efforts pour établir une véritable dualité – et même une trinité (Es, Ich, Über-Ich s’exprimant par la censure) – n’ont abouti qu’à une terminologie verbale.[L’Être et le Néant (1943), chapitre II, la mauvaise foi]


(156) LEIBNIZ ET L’INCONSCIENT « PSYCHASTHENIQUE »: CES IMPRESSIONS PAS ASSEZ FORTES QUI SONT DANS L’AME (CDP T3-2, 246-7)
I1 y a mille marques qui font juger qu' il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même, dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont, ou trop petites et en grand nombre, ou trop unies, en sorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant à part, mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir, au moins confusément dans l'assemblage. C'est ainsi que l'accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d'un moulin ou à une chute d'eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n'est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes et qu'il ne se passe encore quelque chose dans l'âme qui y réponde, à cause de l'harmonie de l'âme et du corps ; mais ces impressions qui sont dans l'âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s'attirer notre attention et notre mémoire, attachée à des objets plus occupants. Car toute attention demande de la mémoire ; et souvent, quand nous ne sommes point avertis de prendre garde à quelques-unes de nos perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans être remarquées ; mais si quelqu'un nous en avertit incontinent après, et nous fait remarquer, par exemple, quelque bruit qu'on vient d'entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d'en avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi c'étaient des perceptions dont nous ne nous étions pas aperçus incontinent, l'aperception ne venant, dans ce cas, que de l'avertissement, après quelque intervalle, tout petit qu'il soit. [Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain (écrits en 1704, publiés en 1765)]


Sigmund Freud - Trois maîtres du moi - Un adage nous déconseille de servir deux maîtres à la fois. Pour le pauvre moi la chose est bien pire, il a à servir trois maîtres sévères et s’efforce de mettre de l’harmonie dans leurs exigences. Celles-ci sont toujours contradictoires et il paraît souvent impossible de les concilier ; rien d’étonnant dès lors à ce que souvent le moi échoue dans sa mission. Les trois despotes sont le monde extérieur, le surmoi et le ça. Quand on observe les efforts que tente le moi pour se montrer équitable envers les trois à la fois, ou plutôt pour leur obéir, on ne regrette plus d’avoir personnifié le moi, de lui avoir donné une existence propre. Il se sent comprimé de trois côtés, menacé de trois périls différents auxquels il réagit, en cas de détresse, par la production d’angoisse. Tirant son origine des expériences de la perception, il est destiné à représenter les exigences du monde extérieur, mais il tient cependant à rester le fidèle serviteur du ça, à demeurer avec lui sur le pied d’une bonne entente, à être considéré par lui comme un objet et à s’attirer sa libido. En assurant le contact entre le ça et la réalité, il se voit souvent contraint de revêtir de rationalisations préconscientes les ordres inconscients donnés par le ça, d’apaiser les conflits du ça avec la réalité et, faisant preuve de fausseté diplomatique, de paraître tenir compte de la réalité, même quand le ça demeure inflexible et intraitable. D’autre part, le surmoi sévère ne le perd pas de vue et, indifférent aux difficultés opposées par le ça et le monde extérieur, lui impose les règles déterminées de son comportement. S’il vient à désobéir au surmoi, il est puni par de pénibles sentiments d’infériorité et de culpabilité. Le moi ainsi pressé par le ça, opprimé par le surmoi, repoussé par la réalité, lutte pour accomplir sa tâche économique, rétablir l’harmonie entre les diverses forces et influences qui agissent en et sur lui : nous comprenons ainsi pourquoi nous sommes souvent forcés de nous écrier : « Ah, la vie n’est pas facile ! [Nouvelles conférences de psychanalyse (1932)]