TEXTE 1 - LE TEST DE REFLEXION COGNITIVE (TRC) « Shane Frederick a développé un « Test de Réflexion Cognitive » qui comprend des questions choisies parce qu'elles suscitent une réponse intuitive irrésistible mais fausse. Puis il s'est intéressé aux caractéristiques des jeunes qui obtenaient de très mauvais résultats à ce test - chez qui, donc, le Système 1 de réponse immédiate et intuitive domine et la fonction de supervision du Système 2 est faible - et a découvert qu'ils sont enclins à répondre aux questions par la première idée qui leur vient à l'esprit, car ils répugnent à accomplir l'effort nécessaire pour vérifier leurs intuitions avant de répondre.
Or, dix ou quinze ans plus tard, un véritable gouffre séparait ceux qui avaient résisté à la tentation de réponse immédiate et ceux qui ne l'avaient pas pu. Les plus résistants disposaient d'un meilleur contrôle exécutif dans les tâches cognitives, en particulier de ·la capacité à refocaliser efficacement leur concentration. Une fois devenus de jeunes adultes, ils étaient moins susceptibles de consommer des stupéfiants. Une nette différence s'est fait jour également dans l'aptitude intellectuelle : les enfants qui avaient manifesté davantage de contrôle de soi à quatre ans réussissaient clairement mieux lors de tests d'intelligence » (Daniel Kahneman, Système 1 et Système 2 Flammarion 2012, pp.75-76)
(En 2002 Daniel Kahneman – père fondateur de la « finance comportamentale » - a reçu le Prix Nobel pour l’économie car ses découvertes sur le « Système 1 » - ce robot qui nous habite, à la riposte-irrésistible- et immédiate – permettent aux marchands de tout le monde d’en prévoir les comportements automatiques face aux stimuli de la pub, et lui vendre tout et n’importe quoi, en sachant qu'il le fera, mécaniquement. ).
TEXTE 2 - DES FRIVOLES DISCOURS QUI SE PERDENT DANS L'AIR « Combien de gens se font du tort, parce qu'ils veulent savoir parler avant que d'avoir appris à écouter avec fruit ? Ils croient que l'usage de la parole demande de l'étude et de l'exercice, et qu'il n'en faut pas pour celui de l'ouïe. Ceux qui veulent bien jouer à la paume n'apprennent-ils pas à recevoir et à renvoyer la balle comme il faut ? De même, quand on écoute quelqu'un qui nous instruit, le premier devoir est de bien entendre ce qu'il dit ; le second, d'y répondre à propos, ainsi que la conception et la grossesse précèdent l'enfantement. Les œufs clairs des oiseaux, que le vulgaire croit avoir été produits par le vent, sont des germes imparfaits qui n'ont pu prendre vie. Ainsi, les jeunes gens qui, faute de savoir écouter, ne profitent pas de ce qu'ils entendent d'utile, n'enfantent que du vent dans leurs paroles. Ce sont, dit un poète « De frivoles discours qui se perdent dans l'air » " (Plutarque, Oeuvres Morales)
TEXTE 3 LA VOIX INTERIEURE DE NOTRE "DEMON" - "Comme vous me l'avez maintes fois et en maints endroits entendu dire, se manifeste à moi quelque chose de divin, de démonique […]. Les débuts en remontent à mon enfance. C'est une VOIX qui, lorsqu'elle se fait entendre, me détourne toujours de ce que je vais faire, mais qui jamais ne me pousse à l'action. Voilà ce qui s'oppose à ce que je me mêle des affaires de la cité..." (Platon, Apologie de Socrate, 31c-d)
TEXTE 4 - LA VOIX MUETTE - « ... Cet art ingénieux de peindre la parole et de parler aux yeux... » ( Georges DE BRÉBEUF).
Lorsqu'il rend visite à saint Ambroise, alors évêque de Milan, saint Augustin observe un phénomène si curieux qu'il le juge digne d'être rapporté dans ses mémoires, le phénomène d'une lecture "purement mentale", sans prononciation sonore des mots:
«Quand saint Ambroise lisait, ses yeux parcouraient la page dont son esprit perçait le sens, mais sa voix restait muette et sa langue immobile. Lorsque nous venions à lui rendre visite, nous le trouvions occupé à lire ainsi en silence, car il ne lisait jamais à haute voix»
Ainsi, au milieu du VIIe siècle, le théologien Isidore de Séville s'émerveillait de ce que « les lettres ont le pouvoir de nous communiquer silencieusement les propos des absents ». À l'époque, en effet, il était courant de lire le latin à voix haute, en remuant les lèvres. L' oralisation était à la fois une convention culturelle et une nécessité : confrontés à des pages où les mots n'étaient pas séparés les uns des autres, dans une langue qu'ils connaissent mal, la plupart des lecteurs devaient ânonner comme des enfants. Voilà pourquoi la "méthode directe" (lecture directement mentale) de saint Ambroise les étonne, alors que l'expérience nous en est aujourd'hui familière : nous lisons sans articuler les sons.
Cependant, lorsque nous pratiquons ainsi la lecture mentale, passons-nous vraiment directement des mots écrits à leur signification sans accéder à leur prononciation ? Ou bien transformons-nous toujours, sans en avoir nécessairement conscience, les lettres en sons, puis les sons en sens ? Tel est le grand débat des voies de la lecture qui a divisé, pendant près de trente ans, la communauté scientifique.
Pour les uns, le passage-par-le-son est essentiel - le langage écrit, après tout, n'est qu'un sous-produit du langage oral et nous devrions donc toujours passer par la voie des sons, ou voie phonologique, avant d'en retrouver le sens.
Pour les autres, le passage par la phonologie n'est qu'une étape initiale, caractéristique du lecteur débutant. Chez le bon lecteur, la lecture efficace passerait par une voie directe ou voie lexicale, en ligne directe depuis la chaîne de lettres jusqu'au sens du mot.
Aujourd'hui, un consensus se dégage : chez l'adulte, les deux voies de lecture existent et sont activées simultanément. Nous disposons tous d'une voie directe d'accès aux mots, qui nous évite de les prononcer mentalement avant de les compren-dre. Néanmoins, chez le lecteur expert, la sonorité des mots continue d'être utilisée, même si nous n'en avons pas toujours conscience. Il ne s'agit pas d'articulation - nous n'avons pas besoin de remuer les lèvres ni même de préparer un mouvement de la bouche. Mais, à un niveau plus profond de notre cerveau, des informations sur la prononciation des mots sont automatiquement activées. Les deux voies de traitement des mots, la VOIX LEXICALE et la VOIX PHONOLOGIQUE, fonctionnent donc en parallèle, l'une soutenant l'autre." (Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture Odile Jacob 2007 pp.52-53)
TEXTE 5 LE SYSTEME 3 : INHIBER POUR RAISONNER.
(A) « À la fin de son monumental ouvrage, Kahneman pose une question essentielle pour l’éducation : « Que peut-on faire pour éviter les biais du SYSTEME 1 ? Comment améliorer les jugements et les décisions, tant les nôtres que ceux des institutions que nous servons et qui nous servent ? » Il répond : « D’expérience, je sais que le Système 1 n’est pas facile à éduquer »
I. CORRECTION DES BIAIS OU COMMENT « DE-BIAISER » - Peut-on dé-biaiser le raisonnement ? Ce qui fait souvent défaut en cas d’erreur de raisonnement logique est la capacité préfrontale d’inhibition du circuit direct de réponse (SYSTEME 1) automatiquement déclenché par des parties plus impulsives de notre mémoire et de notre cerveau.
Or dès l’introduction de la distinction entre SYSTÈMES 1 et 2, nous avons posé le principe cognitif d’un nécessaire SYSTEME 3 de contrôle inhibiteur. De Neys, déjà cité, a mis au point d’ingénieuses situations expérimentales pour aider à distinguer, chez les enfants comme chez les adultes, le vrai défaut de logique, par rapport au défaut d’inhibition du SYSTEME 1. Il s’ensuit que le doute cartésien, finement mesuré, revient au centre des préoccupations expérimentales : le COGITO en résulte indemne : l’existence des biais de raisonnement ne signifie pas nécessairement une « irrationalité humaine » qui serait ontologique (« dans l’être »). [Olivier HOUDÉ, Le Raisonnement, PUF 2014]
(B)« Automatisation - Dans le cas du processus d’automatisation, c’est initialement la partie préfrontale (l’avant) du cerveau qui est activée, car la mise en place des habiletés nécessite un contrôle et un effort cognitif (apprendre et répéter par cœur une liste de mots, par exemple), puis ces habiletés s’automatisent avec l’apprentissage et c’est la partie postérieure du cerveau qui prend le relais. L’automatisme se cristallise.
Désautomatisation par l’inhibition active - Dans le cas inverse (désautomatisation), il s’agit d’apprendre à inhiber les automatismes acquis pour changer de stratégie cognitive.
L’imagerie cérébrale a permis de démontrer le changement qui se produit dans le cerveau des élèves lorsque, sous l’effet d’un apprentissage du contrôle inhibiteur réalisé avec un professeur (SYSTEME 3) , ils passent, au cours d’une même tâche de raisonnement, d’un mode perceptif facile, automatisé mais erroné (SYSTEME 1), à un mode logique difficile et exact qui requiert toute leur attention et leur effort (SYSTEME 2)
Figure 7 – Exemple de neuropédagogie : observation de ce qui se passe dans le cerveau d’un élève lors d’une tâche de logique, avant (à gauche) et après (à droite) un apprentissage de l’inhibition d’une erreur initiale de raisonnement, réalisé en interaction sociale avec un professeur. - Les résultats ont indiqué un basculement très net des activations cérébrales de la partie postérieure du cerveau au cortex préfrontal – dynamique cérébrale inverse de l’automatisation. Il a ensuite été démontré que plus la règle logique exige d’inhiber le biais perceptif, plus l’activation préfrontale est grande. Cette situation correspond au cas où les élèves doivent penser, prendre du recul par rapport à ce qu’ils perçoivent. Tels les prisonniers libérés de la caverne de Platon, les élèves découvrent, avec effort, la logique de la tâche, c’est- à-dire l’algorithme exact : le Vrai ! (Olivier HOUDÉ, Le cerveau à l’école)
Dans le youtube ci-dessous un exemple parfait d'une "même tâche de raisonnement" - éxecuter des opérations arithmétiques élémentaires en apparente-et-évidente continuité entre elles (par ex. 1+1,2+2,2X2,22... qui toutes sont intuitivement "vues" (= comprises selon un "mode perceptif facile", SYSTEME 1) comme l'accumulation de 1+1+1... objets) mais qui, le moment venu, bute sur un "bug de sens" demandant le recours à un "mode logique difficile et exact qui requiert toute notre attention et notre effort" (SYSTEME2)... si toutefois nous restons fermes (SYSTEME 3) dans notre volonté de comprendre.
TEXTE 6 COGITO et TROISIEME OEIL
« DE DIEU, QU'IL EXISTE. - Claudam nunc oculos, aures obturabo, avocabo mones sensus... Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'effacerai même de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parce qu'à peine cela se peut-il faire, je les réputerai comme vaines et comme fausses ; et ainsi m'entretenant seulement moi-même, et considérant mon intérieur, je tâcherai de me rendre peu à peu plus connu et plus familier à moi- même
Je suis une chose qui pense, c'est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Car, ainsi que j'ai remarqué ci-devant, quoique les choses que je sens et que j'imagine ne soient peut-être rien du tout hors de moi et en elles-mêmes, je suis néanmoins assuré que ces façons de penser, que j'appelle sentiments et imaginations, en tant seulement qu'elles sont des façons de penser, résident et se rencontrent certainement en moi… (René Descartes, Troisième Méditation)
« YOGA DE DIEU INDIVISIBLE ET SUPREME - Lorsque la pensée me demeure constamment unie dans le Yoga et ne s’égare pas ailleurs, on retourne à l’Esprit céleste et suprême sur lequel on méditait : ce démiurge antique, modérateur du monde, plus délié que l’atome, soutien de l’Univers, incompréhensible en sa forme, brillant au-dessus des ténèbres avec l’éclat du Soleil. L’homme qui médite sur cet être, ferme en son cœur au jour de la mort, uni à lui par l’amour et par l’Union mystique, réunissant ENTRE SES SOURCILS le souffle vital se rend vers l’Esprit suprême et céleste. - Et ce, toutes les portes des sens étant fermées, l’esprit concentré dans le coeur et le souffle vital dans la tête, ferme et persévérant dans l’Union spirituelle ; adressant le mot mystique OM à Dieu unique et indivisible, et se souvenant de moi : celui qui part ainsi, abandonnant son corps, marche dans la voie suprême ». (Baghavadgita VIII)
TEXTE 7 LA CAVERNE
«Maintenant, repris-je, représente-toi de la façon que voici l'état de notre nature relativement à l'éducation et au manque d'éducation.
Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, EN FORME DE CAVERNE, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que (514b) devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles - Je vois cela, dit-il. Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en (515a) pierre, en bois, et en toute espèce de matière naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.
Voilà, s'écria-t-il, un étrange tableau et d'étranges prisonniers. Ils nous ressemblent, répondis-je.
Et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face? Et comment? observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie? (515b) Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même? - Sans contredit.
Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient? - Il y a nécessité.- Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux? - Non, par Zeus, dit-il - 515c Assurément, repris-je, de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués. - C'est de toute nécessité.
Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur ignorance
Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements il souffrira, et l'éblouissement 515d l'empêchera de distinguer ces objets dont tout à l'heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu'il répondra si quelqu'un lui vient dire qu'il n'a vu jusqu'alors que de vains fantômes, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste? si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige, à force de questions, à dire ce que c'est? Ne penses-tu pas qu'il sera embarrassé, et que les ombres qu'il voyait tout à l'heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant? - Beaucoup plus vraies, reconnut-il.
515e Et si on le force à regarder la lumière elle-même, ses yeux n'en seront-ils pas blessés? N'en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu'il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu'on lui montre? - Assurément.
Et si, repris-je, on l'arrache de sa caverne par force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu'à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences?
Et lorsqu'il sera parvenu à la lumière [516] pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies? Il ne le pourra pas, répondit-il; du moins dès l'abord. Il aura, je pense, besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieure. D'abord ce seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler 516b plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière. Sans doute. À la fin, j'imagine, ce sera le soleil - non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit - mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourra voir et contempler tel qu'il est. Nécessairement, dit-il. Après cela il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière, 516c est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne. - Evidemment, c'est à cette conclusion qu'il arrivera
Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l'on y professe, et de ceux qui y furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira du changement et plaindra ces derniers? Si, certes. Et s'ils se décernaient alors entre eux honneurs et louanges, s'ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l'oeil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et 516d qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fût jaloux de ces distinctions, et qu'il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et puissants? Ou bien, comme le héros d'Homère, ne préférera-t-il pas mille fois n'être qu'un valet de charrue, au service d'un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions et de vivre comme il vivait? 516e Je suis de ton avis, dit-il; il préférera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon-là.
Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place : n'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil? Assurément si, dit-il. Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue 517 est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (or l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long), n'apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens , et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas? - Sans aucun doute, répondit-il" (Platon, La Répulique VII)
TEXTE 8 FOI DANS LA BONTÉ DES OMBRES DE LA CAVERNE
«LE BIAIS DE SIMPLE EXPOSITION - Le célèbre psychologue ROBERT ZAJONC a consacré une grande partie de sa carrière à étudier le lien entre la répétition d’un stimulus arbitraire et l'affection superficielle qu'elle finit par entraîner chez les gens. Zajonc l'a baptisé l'effet de simple exposition.
Une démonstration effectuée à l'aide des journaux estudiantins de l'université du Michigan est une de mes expériences favorites.- Pendant quelques semaines, un encadré de type publicitaire a été publié en première page de ces Journaux. Il contenait l'un ou l'autre des mots suivants, turcs ou sonnant comme du turc : kadirga, saricik, biwonjni, namoma et iktitaf. La fréquence de répétition de ces mots variait : un des mots ne fut publié qu'une fois, les autres paraissant à deux, cinq, dix, ou vingt-cinq reprises.- Ceux qui apparaissaient le plus souvent dans un des journaux étaient les moins fréquents dans l’autre publication. Aucune explication n'était fournie, et quand les lecteurs s'en enquéraient, il leur était répondu que « l'acheteur de cet espace tient à rester anonyme ». Quand la mystérieuse série de publicités prit fin, les expérimentateurs diffusèrent des questionnaires sur les campus afin de savoir si, aux yeux des lecteurs, chacun de ces mots correspondait à « quelque chose de "bon" ou de "mauvais" ». Les résultats furent spectaculaires : les mots qui avaient été publiés le plus souvent étaient jugés beaucoup plus favorablement que ceux qui n'avaient été montrés qu'une ou deux fois. Cette découverte a été confirmée par de multiples expériences, que ce soit avec des idéogrammes chinois, des visages ou des polygones choisis au hasard » [D.Kahnemann,Système 1 et Système 2]
TEXTE 9 FOI DANS LA VÉRACITÉ DES OMBRES DE LA CAVERNE
«LE BIAIS DE CROYANCE ET DE CONFIRMATION - Le psychologue DANIEL GILBERT a écrit un essai intitulé How Mental Systems Believe ( Comment croient les systèmes mentaux), où il développe une théorie sur la croyance et l'incroyance qu'il fait remonter à Spinoza.
Gilbert avance qu' avant de comprendre une déclaration, il faut commencer par la croire : vous devez d'abord savoir ce que l'idée signifierait si elle était vraie. C'est seulement alors que vous pouvez décider ou non de ne pas la croire. Cette tentative première de croire est une opération automatique du Système 1, qui implique l'élaboration de la meilleure interprétation possible de la situation. Même une déclaration absurde, soutient Gilbert, suscitera au départ une certaine conviction
Pour Gilbert donc le fait de ne pas croire est une opération du Système 2, comme l'a montré cette expérience élégante : on a soumis aux participants des affirmations absurdes, comme « un dinca est une flamme », suivies quelques secondes plus tard d'un seul mot, « vrai» ou « faux ». Puis on leur a demandé de se souvenir des phrases qui ont été suivies de « vrai ». Or, une des conditions de l'expérience obligeait les sujets à garder des chiffres en mémoire pendant qu'ils accomplissaient cette tâche : cela occupait ailleurs le Système 2 responsable de la critique rationnelle. Cette perturbation du Système 2 a eu un effet sélectif : les gens ont eu plus de difficultés à « ne pas croire » les phrases fausses. Plus tard, lors d'un autre test mémoriel, les participants, épuisés, ont fini par croire que beaucoup de ces phrases fausses étaient vraies. On en retire une morale édifiante : quand le Système 2 est occupé ailleurs, nous sommes prêts à croire presque n'importe quoi » (D. Kahneman Système 1, Système 2 p. 126-128)