Le Moyen Age



ou le cercle brisé de la Romania



TEXTE 1 « L’invasion des Huns en Europe montra brusquement toute la gravité du péril. Les Goths, qui s’étaient établis sur les deux rives du Dniestr – les Ostrogoths, comme leur nom l'indique, à l'est du fleuve, les Wisigoths à l'ouest – ne cherchèrent pas à résister à ces cavaliers mongols, dont le seul aspect les frappait d'effroi. Devant eux, les Ostrogoths remuèrent en désordre. Les Wisigoths, pressés par leur recul, se trouvèrent jetés sur la frontière du Danube. Ils demandèrent le passage. La soudaineté de l'événement avait empêché de prendre des mesures. On n'avait rien prévu. La terreur même des Wisigoths prouvait qu'ils n'hésiteraient pas à recourir à la force si on repoussait leur prière. On leur permit de passer, et ils passèrent durant plusieurs jours sous les yeux des postes romains ébahis, hommes, femmes, enfants, bétail, sur des radeaux, dans des canots, les uns accrochés à des planches, d'autres à des outres gonflées ou à des tonneaux. C'était tout un peuple qui émigrait, conduit par son roi. Mais en cela justement gisait le danger de la situation. Que faire de ces nouveaux venus? Il était impossible de les éparpiller dans les provinces. On se trouvait devant une nation ayant tout entière quitté son territoire pour occuper une nouvelle patrie. Cette patrie, il allait donc falloir la lui faire dans l'Empire, admettre à vivre sous la souveraineté romaine, un peuple qui conserverait ses institutions propres et son roi particulier. C'était la première fois qu'un tel problème se présentait… » [Henri Pirenne, Histoire d’Europe des Invasions au XVIe siècle, 1917]

TEXTE 2 « – Je vais du côté des Alpes, dit Henri Maximilien.
– Moi, dit Zénon, du côté des Pyrénées.
Ils se turent, la route plate, bordée de peupliers étirait devant eux un fragment du libre univers. L’aventurier de la puissance et l’aventurier du savoir marchaient côte à côte.
– Voyez, continua Zénon. Par-delà ce village, d’autres villages, par-delà cette abbaye, d’autres abbayes, par-delà cette forteresse, d’autres forteresses. Et dans chacun de ces châteaux d’idées, de ces masures d’opinions superposés aux masures de bois et aux châteaux de pierre, la vie emmure les fous et ouvre un pertuis aux sages. Par-delà les Alpes, l’Italie. Par-delà les Pyrénées, l’Espagne. D’un côté, le pays de La Mirandole, de l’autre, celui d’Avicenne. Et, plus loin encore, la mer et, par-delà la mer, sur d’autres rebords de l’immensité, l’Arabie, la Morée, l’Inde, les deux Amériques. Et, partout, les vallées où se récoltent les simples, les rochers où se cachent les métaux dont chacun symbolise un moment du Grand Œuvre, les grimoires déposés entre les dents des morts, les dieux dont chacun a sa promesse, les foules dont chaque homme se donne pour le centre de l’univers. Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ? Vous le voyez, frère Henri, je suis vraiment un pèlerin. La route est longue, mais je suis jeune.
– Le monde est grand, dit Henri-Maximilien.
– Le monde est grand, dit gravement Zénon.Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le cœur humain à la mesure de toute la vie.
Et de nouveau, ils se turent. » [Marguerite Yourcenar – L’œuvre au Noir, 1968]

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