Conférence tenue le 18 mai 2010, où j'ai parlé à nouveau dans le cadre des séminaires du "Groupe d'études et de recherches épistémologiques", Maison d'Auguste Comte. Ce compte-rendu des sujets abordés - Education à la science et science de l'éducation : le chiasme philosophique du nouveau millénaire est apparu sur Dogma, tandis qu'ici vous en trouvez des vidéos.
Dans ma conférence du 2008 sur Proust, Poincaré, Piaget et la naissance du symbole mathématique et littéraire, il était question de la nature intimement génétique du symbole, en général. La matière du symbole est le temps. La science est dans son devenir créateur (Poincaré/Dedekind), l’esprit humain est dans le processus continu de sa propre genèse (Piaget/Bregson) ; la matière première de la vie mentale est le temps signifiant de la narration (Proust/Galilée).
Depuis lors j’ai développé ce que moi j’ai à apporter d’original à cette perspective.
1) Tout symbole est un événement, par la même capable de marquer sa coche dans le temps. 2) D’autre part, un temps sans événements est comme un espace sans corps : une pure et simple abstraction. Mais 3) à son tour l’événement n’est capable de se faire identifier dans le temps qu’en ce qu’il appartient au continu dedekindien d’un récit. En ce sens les atomes événementiels du monde (Wittgenstein) se présentent uniquement en leur identifiabilité narrative, c'est-à-dire en leur puissance symbolique.
Cette triple acquisition fait ma spécificité par rapport à l’idée Hamilton/Booléenne que la matière du symbole mathématique (algébrique/logique) est le temps. J’enrichis cette perspective d’un contenu essentiellement développemental :
A) Tout symbole est fait de temps car il est un événement au sein d’une histoire.
B) Si le temps est l’étendue interne du symbole, alors l’histoire qui sépare sa provenance de profondeur de sa présence de surface à la nature développementale d’une évolution.
C) Tout événement d’identification logique d’un symbole à l’intérieur d’un enchaînement déductif – c'est-à-dire toute opération mathématique – est un acte narratif d’auto-expression : il s’agit donc, par la même, d’un geste d’éducation.
"Quand nous nous servons du pendule pour mesurer le temps , quel est le postulat que nous admettons implicitement ? C'est que la durée de deux phénomènes identiques est la même; ou, si l'on aime mieux, que les mêmes causes mènent le même temps à produire les mêmes effets. [...] Quand je dis, de midi à une heure, il s'est écoulé le MÊME TEMPS que de deux heures à trois heures, QUEL SENS A CETTE AFFIRMATION ? Elle N'EN A AUCUN PAR ELLE MÊME. [...] Tout cela importe peu, dira-t-on, sans doute nos instruments de mesure sont imparfaits, mais il suffit que nous puissions CONCEVOIR un instrument parfait. Cet idéal ne pourra être atteint, mais ce sera assez de l'avoir conçu et d'avoir ainsi mis la rigueur dans la définition de l'unité de temps. Le malheur est que cette rigueur ne s'y rencontre pas." [VS44][Poincaré 1905 : 44]
"Les hypothèses que je viens de faire n'ont rien de contraire au principe de contradiction. Sans doute elles ne sauraient se réaliser sans que le principe de raison suffisante semble violé. Mais pour justifier une définition aussi fondamentale, j'aimerais mieux un autre garant» [VS : 45]"- [ La fronde de Foucault]
REPONSE
«Sur la base de notre définition de puissance, l’écriture a1 serait DEPOURVUE DE SENS; on pose alors par convention que cette base est égale à a, à savoir a1 = a. EXPLICATION - Nous connaissons la propriété des puissances selon laquelle le quotient de deux puissances d’égale base est une puissance qui a la même base, et comme exposant la différence entre les exposants. A savoir : an : am = an-m. Etant donnée cette propriété, il s’ensuit que an+1:an= a1. Mais an+1: an = (a·a·a·a...·a) : (a·a·a...·a) = a. La convention a1 = a est donc justifiée
Supposons maintenant a0, et considérons l’identité an:an=1 (le quotient d’un nombre divisé par lui même est égal à l’unité); si dans l’égalité qui exprime la propriété citée nous posons m=n, nous obtenons an:an=an-n=a0, qui est une écriture formellement dépourvue de sens. Puisque nous avons constaté que an:an=1, il est spontané de poser la convention a0=1.» [Chiellini/Santoboni 1981]- [La Foi dans la Raison]
« Aux niveaux élémentaires, toute connaissance commence avec l’expérience, mais nous pouvons distinguer dès le début les expériences physiques, dues à des abstractions tirées de l’objet, et les expériences logico/mathématiques, dues à des abstractions réfléchissantes tirées des coordinations entre les actions du sujet (comme imposer un ordre aux objets, ou le modifier pour vérifier 2+3=3+2). En conséquence, la prétendue « tautologie » qui caractérise la logique, est certainement fondée lorsqu’il s’agit de fixer une propriété « toujours vraie » de certaines opérations, mais le « toujours vraie » ne se réduit pas à une identité, parce qu’il peut bien résulter d’une combinatoire, qui est un processus tant de diversifications que d’identifications »[Piaget 1993 :79. Ma trad.]
GEORGE BOOLE- «In the spring of the present year my attention was directed to the question then moved between Sir W. Hamilton and Professor De Morgan; and I was induced by the interest which it inspired, to resume the almost-forgotten thread of former inquiries. It appeared to me that, although Logic might be viewed with reference to the idea of quantity, it had also another and a deeper system of relations. If it was lawful to regard it from without, as connecting itself through the medium of Number with the intuitions of Space and Time, it was lawful also to regard it from within, as based upon facts of another order which have their abode in the constitution of the Mind. » [Boole 1847: 1]
«The law xy=yx may be characterized by saying that the literal symbols x, y, z, are commutative, like the symbols of Algebra. In saying this, it is not affirmed that the process of multiplication in Algebra, of which the fundamental law is expressed by the equation xy = yx, possesses in itself any analogy with that process of logical combination which xy has been made to represent above; but only that if the arithmetical and the logical process are expressed in the same manner, their symbolical expressions will be subject to the same formal law. The evidence of that subjection is in the two cases quite distinct. » [Ibid.]
"THE INTIMATE LAWS OF THOUGHT" - «As a law of thought [the law xy=yx] it is actually developed in a law of Language, the product and the instrument of thought. Though the tendency of prose writing is toward uniformity, yet even there the order of sequence of adjectives absolute in their meaning, and applied to the same subject, is indifferent, but poetic diction borrows much of its rich diversity from the extension of the same lawful freedom to the substantive also. The language of Milton is peculiarly distinguished by this species of variety. Not only does the substantive often precede the adjectives by which it is qualified, but it is frequently placed in their midst. In the first few lines of the invocation to Light, we meet with such examples as the following:
“Offspring of heaven first-born. / The rising world of waters dark and deep./ Bright effluence of bright essence increate."[1]
Now these inverted forms are not simply the fruits of a poetic license. They are the natural expressions of a freedom sanctioned by the intimate laws of thought, but for reasons of convenience not exercised in the ordinary use of language» [Boole 1854; 21]
WILLIAM B. HAMILTON - «There are various Immediate Inferences of one proposition from another. Of these some have been wholly overlooked by the logicians; whilst what they teach in regard to those which they do consider, appears to me at variance with the truth. […] The first of these is Conversion. When, in a categorical proposition for to this we now limit our consideration, the Subject and Predicate are transposed, that is, the notion which was previously the subject becomes the predicate, and the notion which was previously the predicate becomes the subject, the proposition is said to be converted. – Such is the doctrine touching Conversion taught even to the present day. This in my view is beset with errors; but all these errors originate in two, as these two are either the cause or the occasion of every other. The First cardinal error is that the quantities are not converted with the quantified terms. For the real terms compared in the conversion, and which, of course, ought to reappear without change, except of place, in the Converse, are not the naked, but the quantified terms. – The Second cardinal error of the logicians is, the not considering that the Predicate has always a quantity in thought , as much as the Subject; although this quantity be frequently not explicitly enounced, as unnecessary in the common employment of language; for the determining notion or predicate being always thought as at least adequate to, or coextensive with, the subject or determined notion, it is seldom necessary to express this, and language tends ever to elide what may safely be omitted. But this necessity recurs the moment that, by conversion, the predicate becomes the subject of the proposition xxxx its formal statement is to degrade Logic from the science of the necessities of thought, to an idle subsidiary of the ambiguities of speech. [W.B.Hamilton 1858 : 514-516]
ARISTOTE «Puisqu’il est possible qu’une chose elle-même soit prédiquée d’une autre chose non par accident – et je dis par accident par exemple quand nous disons « ce blanc est un homme » : ce qui n’est pas comme lorsque nous disons « cet homme est blanc », car ce dernier n’est pas « blanc » en étant quelque chose d’autre, tandis que ce blanc ne l’est qu’en ce qu’il s’est passé à cet homme d’être blanc – il y a en conséquence des choses telles qu’elles sont prédiqué par soi» [Aristote Anal.Post XXII : 82b39-83a35]
« Il est donné de dire, avec vérité, « le blanc marche » ou « ce grand est du bois »; et réciproquement, « le bois est grand » et « l'homme marche ». Il y a pourtant différence à s'exprimer de l'une ou de l'autre de ces deux façons. En effet, quand je dis « le blanc est du bois » je dis que ce à quoi il est arrivé d’être blanc est du bois et non pas que le blanc est le substrat du bois, car ce n’est ni en étant blanc ni en ce qu’il est un certain blanc qu’il est devenu du bois, de sorte qu’il n’est du bois qu’en ce qu’il passe ainsi» [Aristote Anal.Post XXII : 82b39-83a35]
[1]«Hail holy light, ofspring of Heav'n first-born, / Or of th' Eternal Coeternal beam / May I express thee unblam'd? since God is light, / And never but in unapproached light / Dwelt from Eternitie, dwelt then in thee, Bright effluence of bright essence increate. / Or hear'st thou rather pure Ethereal stream, / Whose Fountain who shall tell? before the Sun, / Before the Heavens thou wert, and at the voice / Of God, as with a Mantle didst invest / The rising world of waters dark and deep, / Won from the void and formless infinite. - [Milton, The paradise lost: Book III, 1-55] - Salut, Lumière sacrée, fille du Ciel, née la première, ou de l'Eternel rayon coéternel !Ne puis-je pas te nommer ainsi sans être blâmé ? Puisque Dieu est lumière, et que de toute éternité il n'habita jamais que dans une lumière inaccessible, il habita donc en toi, brillante effusion d'une brillante essence incréée. Ou préfères-tu t'entendre appeler ruisseau de pur éther ? Qui dira ta source ? Avant le soleil, avant les cieux, tu étais, et à la voix de Dieu, tu couvris comme d'un manteau le monde s'élevant des eaux ténébreuses et profondes ; conquête faite sur l'infini vide et sans forme. Maintenant je te visite de nouveau..."[Chateaubriand]