Hélène est fuie de Troie, en obéissant au caprice féminin d’un instant… Agamemnon est à la tête de l’expédition qui part à sa récupération, Hélène étant la femme de son frère Ménélas et la sœur de sa propre femme. La Grèce entière (unie maintenant pour la première fois) se mobilise pour laver l’offense et corriger l’intolérable vanité de la reine fuie de son devoir, de son peuple, de son roi, de soi-même. Quoique dire « la Grèce entière » n’est pas correct : il faut dire les hommes de toute la Grèce, car les femmes sont restées au foyer, pendant que leurs maris sont allés à la chasse d’une femme fuie de son foyer. Cependant Artémis, fille de Zeus et sœur d’Apollon, trouve intolérable cette situation et arrête la flotte grecque en Aulide avec un terrible calme plat, en faisant connaître sa prétention par le devin Calchas : la fille d’Agamemnon doit être sacrifiée, sans quoi les Achéens n’arriveront jamais à Troie. Donc Agamemnon fait parvenir une lettre trompeuse à sa femme Clytemnestre, dans laquelle il lui ordonne d’envoyer Iphigénie là où se trouve la flotte puisque son intention est de la donner en épouse à Achille (qui ne sait rien de ce plan). Le cortège nuptial – qui en réalité ne transporte guère une mariée, mais une victime sacrificielle – se met donc en marche. Après quelque temps la mère Clytemnestre, la fille Iphigénie et le petit frère – l’autre sœur Électre est restée à Mycènes – arrivent à destination avec leur suivi de femmes grecques, lesquelles – nous le découvrons tout de suite – ne souhaitaient rien d’autre que «traverser le bois d’Artémis» pour se remplir les yeux de guerre.
LE CHOEUR DES FEMMES - "Me voici, enfin, au sableux littoral d’Aulide maritime. J’ai traversé l’étroit d’Euripe et ses courants,j’ai quitté Chalcis, ma ville, qu’alimente, près des ses rives, les eaux de la célèbre nymphe Aréneuse. Je voulais contempler l’armée des Achéens, les navires à rames des splendides héros: les héros que le blond Ménélas et le noble Agamemnon – c’est ce que racontent nos maris – envoient sur mille vaisseaux à la poursuite d’Hélène.
D’élan j’ai traversé le bois d’Artémis lieu de sacrifices, mes joues rougissantes de pudeur juvénile, mais je voulais jeter un coup d’œil aux boucliers, aux tentes des Danaens, aux bandes de chevaux. J’ai aperçu assis l’un près de l’autre les deux Ajax, le fils d’Oïlée, le fils de Télamon, orgueil de l’île de Salamine. J’ai vu Protésilas et Palamède, neveu de Poséidon : assis sur des tabourets, ils jouaient gaiement des pions multicolores. Et Diomède qui joyeusement lançait son disque ; à son côté était Mérionès, rameau d’Ares, merveilleux aux yeux des mortels, et le fils de Laërte, descendu des montagnes d’Ithaque, et Nireus, le plus beau des Grecs.
J’ai vu Achille, rapide comme le vent, comme la foudre. Thétis le généra, l’éleva Chiron ; il courait en armes sur la plage et sur les cailloux, en compétition avec un quadrige, et visait à la vaincre un tour après l’autre. L’aurige, Eumèlos fils de Phérès, criait. J’ai remarqué ses splendides destriers, éperonnés par l’aiguillon, munis d’un mors en or. Les chevaux du centre, à côté de la barre, avaient un manteau tacheté de blanc. Les chevaux externes, qui en courbe balancent des efforts opposés, avaient les crins rouge-brun et les cuisses balzanes. A côté d’eux courait le Pélide, effleurant les bords du char et les moyeux des roues.
Je suis venue ici pour rassasier mes yeux de femme : il y a tellement de navires, c’est un spectacle indescriptible, je vis le plaisir.
Les guerriers Myrmidons de la Phtiotide occupent l’aile droite de la flotte, avec cinquante nefs rapides : et aux sommets des poupes se dressent des images d’or des Néréides, symbole des armées d’Achille.
Contiguës aux navires Myrmidons, autant de navires Argiens aux ordres du fils de Méchistée, élevé par son grand-père Talaos, et de Sthénélos, fils de Capanée.
A leur côté, les soixante vaisseaux sont ancrés que le fils de Thésée a conduit de l’Actique : ils ont comme emblème la déesse Pallade sur un char de chevaux ailés, signe de bonne fortune pour les navigateurs.
J’ai vu les nefs des Béotiens, cinquante, ornées à poupe par une effigie: Cadmos avec le dragon d’or. Léitos, né de la terre, conduit l’armée marine.
Et de la Phocide, à la tête de cinquante vaisseaux locriens est arrivé Ajax, fils d’Oïlée, ayant laissé la ville splendide de Thronios.
Le fils d’Atrée a réuni et transporté ici de Mycènes cyclopéenne cent nochers. Il les commande avec Adraste, un ami venu à soutien d’un ami, pour que la Grèce se venge de la femme fuie du Palais dans le désir de noces barbares.Mes yeux n’ont pas perdu l’emblème de Nestor Gérénien, seigneur de Pylos : le fleuve Alphée en forme de taureau. Avec douze nefs les Ainianes sont présents, aux ordres du roi Gounée. Auprès d’eux les seigneurs de l’Elys, les Epéiens : ainsi le peuple les appelle. Le fils d’Eurytos les commande.
A la tête des navires Taphiens, aux blanc rames, est Mégès, fils de Philée, parti des îles Echinades dangereuses pour les navigateurs. Ajax, élevé dans l’île de Salamine, occupe le milieu entre l’aile droite et l’aile gauche : il s’est ancré à côté des autres nefs avec douze bateaux agiles.J’ai vu, telle que l’on me l’avait décrite, la flotte grecque.
Celui qui la prenne d’assaut avec des navires barbares ne connaîtra pas la voie de son retour. C’est une puissante armée que j’ai vue. J’en avais entendu parler chez moi, et maintenant je garderai vif le souvenir des ces troupes réunies.(Euripide- Iphigénie en Aulide)
Athéna punit Méduse pour une faute non commise par elle (KillBill).
Artémis prétend le sacrifice d’une femme innocente.
Athéna n’est pas intéressée par une «juste punition » du coupable qui viole Méduse : la déesse prétend, au contraire, que si une femme veut entrer dans son temple de sagesse, elle sache faire en sorte que cette violence n’arrive pas à se produire.
De même Artémis ne tolère pas une femme qui dans son coeur désirerait rassasier ses yeux de guerre, mais n’ose pas le dire, ni a le courage de traverser l’étroit d’Euripe pour se joindre à son mari dans la guerre dont il lui a parlé avant de partir en la laissant au foyer. La femme qu’Artémis ne tolère pas, ne traverse cet étroit et le bois sacré à la déesse que pour s’échapper de son propre mari et de son propre devoir (Hélène), ou pour aller trouver un mari selon la volonté de son père (Iphigénie), ou en ayant comme prétexte des noces et des maris autrui, mais en cachant son vrai amour : les boucliers et les navires des Danaens. Face à cette fuite générale, Artémis arrête tout et fait calme plat. La requête « féroce et injuste » qui s’en suit, enfin pousse – avec la tromperie – les femmes grecques justement à un aveu, qu’elles n’auraient jamais fait autrement.
Je ne suis pas ici pour faire la demoiselle d’honneur, ni par nostalgie de mon mari lointain et en péril. Je suis venue en songeant à la guerre des hommes, et j’aime et donc je me joins à la chasse qu’ils déchaînent pour dénicher la femme coquette, capricieuse et rebelle.
D’ailleurs c’est la reine Clytemnestre elle-même qui, sous les yeux d'Electre, vivait l’absence de son mari lointain à la guerre de la façon suivante :
« Je parlerais donc, et que ce soit le début. Si seulement, mère, avais-tu des meilleurs sentiments ! Certes, bien méritée est la renommée de ta beauté et de celle d’Hélène : mais vous êtes bien sœurs, vous deux, frivoles et indignes de Castor. Elle fut enlevée de son gré, et s’est perdue, toi, tu as assassiné le plus noble héros de l’Hellade, sous prétexte que tu tuais le mari pour venger la fille : mais les autres ne te connaissent pas aussi bien que moi ! Toi, avant que le sacrifice d’Iphigénie n’eût eu lieu, et même dès que ton mari eut quitté le palais, devant le miroir tu te coiffais tes boucles dorées. Une femme qui, lorsque son mari est loin du foyer, prend trop soin de sa beauté, ne mérite pas le nom de pudique. Elle n’a pas besoin de se promener pour montrer son bel aspect si elle n’est pas en cherche d’aventures. Je sais que toi, seule parmi les femmes grecques, tu jouissais si la guerre allait bien pour les Troyens, et t’affligeais si ça allait mal pour eux, car tu ne voulais pas qu’Agamemnon retourne de Troie !» (Euripide – Electre)
La colère d’Artémis arrête tous, et lâche les chiens et les femmes dans une guerre enfin ouverte, à la chasse d’eux-mêmes.
La prophétie de Calchas – le devin qui prévoit la victoire des grecs contre les troyens – avait été ténébreuse et menaçante à cet égard. Voici la vision qui l’inspire :
« Le roi des oiseaux apparut au roi des navires [Agamemnon]. Ils étaient deux aigles, la noire et la blanche, elles apparurent près du palais du côté du bras qui jette la lance. Se lançant des leurs demeures aériennes, elles dévoraient une lèvre femelle, lourde de son poids d’enfants, saisie lors de sa dernière course. »
Voici l’oracle :
"Le jour viendra où Troie tombera… mais seulement si un dieu ne foudroie à l’avance, ni couvre de ténèbres l’armée campée autour de la ville. La chaste Artémis frémit de pitié pour la lèvre, et de haine pour les chiens volant du père, bourreaux de la pauvre, tremblante bête, immolée avec ses enfants avant l’accouchement... cette nourriture d’aigles est une horreur pour elle ! Tu es bienveillante, o belle Artémis, envers les petit des lions rapaces, et tendre avec les petits gourmands de lait de toute bête sauvage... mais que ce présage favorable s’accomplisse en bien, même si c’est une vision d’horreur pour toi » [Eschyle - Agamemnon]
Face à l’ire menaçante de la soeur d’Apollon, Calchas lève alors une invocation :
«J’invoque le Péan qui sauve: que la déesse ne crée pas d’entraves sur la mer. Vents obstiles, temps perdu, nefs cloués... ou qu’elle prétende une autre offrande à immoler : une offrande contre nature... sans partage de viande, génératrice de haine doméstique, qui rend l’épouse ennemie à son époux. Une terrible fureur restera dans le foyer, enracinée et toujours prête à résurgir pour venger les enfants »
Artemis prétend donc les femmes sur le champ de bataille. La vision de la guerre entre les murs domestiques est donnée à Electre...
"Tu veut que ceci soit mon oeuvre… Non, ne dit pas ainsi. Je ne suis pas la femme d’Agamemnon. L’aspect ai-je de la femme de ce mort, mais je suis l’ancien, implacable démon Alastor vengeur d’Atrée, qui me repaye de l’affreux souper en sacrifiant cet homme en vengeance des ses jeunes enfants ! " [Eschyle-Agamemnon]
... tandis qu’à Iphigénie il est imposé de voir le visage de son père dans ses guerres lointaines:
« Et Agamemnon plongea son cou dans le joug de la nécessité, et en exhalant de son cœur changé le sacrilège, et l’empiété, et la profanation, il fut prêt à oser tout. La folie misérable, en effet, avec ses pensées immondes - mère des crimes - enflamme les mortels. Il eut cœur, lui-même, de servir de bourreau à sa fille, poussée à la guerre qui allait punir une femme, expiation pour le voyage naval. A rien ne servirent les prières de sa fille, ni qu’elle appelât son père par son nom, ni son âge virginal, à apaiser les chefs désireux de guerre. Et il fut le père même qui donna les ordres aux serviteurs du sacrifice, après les veux aux dieux. Elle était prosternée, le visage tourné à terre, tombée sur ses vêtements. Qu’ils la prennent comme chèvre sauvage, elle, avec cœur ferme la soulèvent sur l’autel ; et afin qu’elle ne maudisse en criant sa maison, il voulut que sa bouche, la belle proue de son beau visage, fusse ancrée et fermée avec la violence de muets bâillons. Les vêtements de la couleur du crocus glissèrent à ses pieds, et de ses yeux égarés, des dards de pitié blessaient or l’un or l’autre des ses sacrificateurs. Et elle semblait une image peinte, et voulait parler... elle, qui maintes fois dans les salons du père, aux banquets, avait fait entendre son chant, et maintes fois, par sa voix de jeune fille intacte, amoureusement, en l’honneur de son père aimé, avait entonné le péan de bon augure à la troisième libation. » Ce qui suivit je ne le vit pas... ni puis-je le dire. Mais l’art prophétique de Calchas n’est jamais vain. Seulement à celui qui a souffert, la balance de la justice accorde la Sagesse. Le futur, une fois réalisé tu peux le connaître. Avant, qu’il suive son cours... ce serait comme de vouloir pleurer avant qu’il en soit temps. Il apparaîtra clair avec le jour qui vient. » (Eschyle, Agamemnon)
L’histoire d’Electre, d’Iphigénie et de leur frère Oreste est en même temps l’histoire – voulue par l’esprit d’Artémis, déesse guerrière de la chasse et des petits – d’une réunion de petits qui avaient été abandonnés à eux-mêmes au milieu des guerres – domestiques et de campagne – trempées de la folie capricieuse des parents sanguinaires, et l’histoire de l’entrée de la femme dans le domaine du combat. Artémis prétend : celui qui attend au foyer ne le fasse pas par vanité et avec rancune, et celui qui part à la guerre ne le fasse pas pour fuir. Le chemin Electre/Iphigénie est celui de Beatrix-Alicia : mort et résurrection servent à réunir une conscience à soi-même et à gagner une identité effective et un esprit capable de juger.
Stick/Calchas l’introduit à la guerre en faisant la volonté d’Artémis, mais il doit lui enseigner quelque chose que seulement la déesse peut lui inspirer et lui faire comprendre.
"Je croyais d’être l’élève la meilleure. - Pas la meilleure : seulement la plus forte. Tu connais violence et souffrance, mais tu ne connais pas la voie. - Enseigne-moi ! - Ceci est le point : je ne peux pas t’enseigner. Je ne veux plus de toi ici. - C’est une épreuve, Senseï ? - Non, ce n’est pas une épreuve. Va-t’en»
Celui qui accepte la guerre de la conscience et de la mémoire, accepte les ténèbres et l’obscur.
Iphigénie – sauvée au dernier instant par Artémis – deviendra une sacrificatrice d’hommes dans le temple barbare, sacré à la déesse, du roi de la Tauride Thoas. Oreste est éxilié. Entre-temps Electre ne vit pas, elle survit. Effacée dans la mémoire de sa mère et de sa ville, elle a soif de sang et de justice, pendant qu’elle vit exilée dans sa propre terre. Le bâillon qui réduit Iphigénie au silence est dans son cas la serpillière pour faire le ménage, et le voyage des ténèbres fait d’elle en même temps une vengeuse sanguinaire et une domestique au foyer.
" - Arrête, ne la pose pas à terre, je viens de nettoyer! - Mais pourquoi tu nettoies tout le temps?... - J’enlève mon ADN..."
Electre a maintenant la science de Stick/Calchas, mais elle n’a pas terminé son entraînement. Elle prévoit le futur, mais ce n’est pas pour la résurrection, c’est au contraire pour la mort.
"Mais qu’est-ce que c’est… yoga ? – Non, il s’appelle Kimaguri... il est beaucoup plus utile qu’apprendre à utiliser une arme, car il te montre ce qui se passera avant qu’il ne se passe. Concentre-toi, médite... lasse-toi aller et vois le monde autour de toi... ce n’est pas facile. – Mais toi, combien de temps il t’a fallu pour l’apprendre? – Je n’ai jamais terminé l’entraînement. Je sais ce qu’il suffit pour rester vivante. Mais il y a des grands maîtres comme Stick, qui avec le Kimaguri ressuscitent les morts..."
Eschyle l’a mise en garde (Seulement à celui qui a souffert, la balance de la justice accorde la Sagesse. Le futur, une fois réalisé on peut le connaître. Avant, qu’il suive son cours... ce serait comme de vouloir pleurer avant qu'il en soit temps). Mais Electre doit encore comprendre la Voie.
"Une fois réalisé " le Maître lui révélera:
«Il y a des choses que l’on ne peut pas enseigner. Ce n’est qu’en les vivant que c’est possible de les apprendre. Tu es venue ici bouillonnante de haine ; tout le bon était obscuré en toi de violence et d’obscure tragédie... mais ce n’est pas la Voie... ce n’est pas ça notre Voie. – Tu parles par énigmes, vieux... – Je garde vive l’attention de mes élèves. Je savais que ton cœur était pur... mais il te fallait le découvrir toute seule »
Voilà la raison de la guerre Electre et d’Iphigénie : savoir juger des amis et des ennemis, de la guerre et la de paix.
ELECTRE – O femmes, servantes et règle du foyer, soyez à mon côté, escortez-moi dans ce conjuration rituel. Inspirez-moi : c’est le moment ! Moi, proférer ? Mais quels mots, pendant que je verse ces gouttes sacrées de deuil ? Moi, scander des voix affectueuses ? Mais comment pourrais-je ! Et comment redire de coeur la supplication du père ! Par cette formule, peut-être : « Offert à son mari bien-aimé, par sa femme bien-aimée ? » Mais celle qui offre est ma mère ! Ou je récite, comme il est tradition dans le monde, la formule rituelle : « Accorde une précieuse récompense à celui qui couronne d’offrandes – les voici – ta tombe, et un don, qui paye les fautes ! » Ou plutôt le mépris, et le silence... la façon – exactement – où mon père tomba. Je verse l’offre – la giclée est absorbée par le sol... Je recule, comme lorsqu’on éparpille la lie, en jetant la tasse par terre : mes yeux cloués loin... Ainsi ? Je n’ai pas d’impulsion pour cela. Je ne connais pas les mots, pour verser le liquide sur la pierre de mon père. O mes femmes, partagez cette idée avec moi : une pensée de haine nous joint, moi et vous, ici dans le palais. Ne fermez pas votre coeur, par la terreur d’un nom : nous devons tous mourir... autant le maître que celui qui le sert. Or, parle, si tu as des meilleurs plans que le mien.
CHOEUR – Fidèle à la pierre du père, je te dirais la pensée qui me vient du coeur.
ELECTRE – Dis donc, comme te dicte la dévotion pour la tombe paternelle.
CHOEUR – Verse, et exclame une prière solennelle pour qui lui est loyal.
ELECTRE – A qui de la famille donnerai-je ce titre ?
CHOEUR – D’abord, à toi-même. Et à tous ceux qui ont Egisthe en horreur.
ELECTRE – Pour moi. Mais pour toi aussi je dirai cette supplication. N’est-ce pas ?
CHOEUR – C'est à toi de le dire !
ELECTRE – Et qui d’autre inscrirai-je dans notre révolte ?
CHOEUR – Oreste ! Pense à lui : n’importe qu’il soit loin du foyer.
ELECTRE – Heureux avis, celui-ci ! Tu ne m’as pas mal conseillée.
CHOEUR – Et maintenant les auteurs de l’assassinat. Concentre-toi.
ELECTRE – Quelle parole à dire ? Aide-moi, sors moi de l’incertitude.
CHOEUR – Que quelqu’un les assaute, esprit ou homme.
ELECTRE – Un juge... un justicier, veut-tu dire ?...
CHOEUR – Dis-le et c’est un point : que la mort vienne rendue.
ELECTRE – Quelle prière, la mienne, aux dieux ! Sera-t-elle permise ?
CHOEUR – Compenser avec le mal quelqu’un qui te hait ? Tu en doutes ?
ELECTRE – O souverain messager de Ceux d’en bas et de Ceux d’en haut..., o Hermès de l’Abyme. Annonce pour moi aux Puissances, dans l’abîme profond : qu’ils exaucent ma supplication, eux, sentinelles de la famille paternelle. Et à la Terre qui porte tous les êtres à la lumière, et les fait grandir et qui enfin en recueille le bouton turgide. J’éparpille ce liquide pur aux défunts. J’évoque mon père ! Je prie : « Sois pieux avec moi. Et fait que ton Oreste resplendisse, lumière vivide dans le palais ! Maintenant nous semblons des vagabonds, dépréciés par celle qui nous a donné la vie, et qui se prit en mari, en échange de toi, Egisthe: celui qui partagea ton assassinat. Moi, comme une pauvre servante. Oreste est en fuite, loin de tout ce qui lui appartient. Mais le couple, il bat son plein, il déborde arrogant de joie : dans les fruits des tes fatigues ! Qu’Oreste revienne, et qu’il ait un destin : ceci je te prie de tout mon coeur. Ecoute moi, père. Accorde pour moi l’équilibre de l’esprit, bien plus solide de celui de ma mère, et des mains plus chastes. Pour nous, ceci je te demande. Contre les autres, les ennemis, je dis : que leur justicier se lève ! Qui donna la mort, paye le juste châtiment : la mort ! Ceci je mets au centre de mon bon conjuration, et contre ceux-là je prononce mon mauvais conjuration. Mais pour nous, escorte de l’abyme la joie prospère, avec le signe des dieux, de la Terre, de la Justice qui vainc » (Eschyle – Choéphores)
Pour Iphigénie – occupée à préparer le sacrifice de tout grec qui s’approche de son temple – le chemin d’obscurité et de rancune est le même :
« Mon pauvre coeur, tu étais gentil une fois envers les étrangers : j’éprouvais de la compassion à chaque fois que des Grecs tombaient dans mes mains, je versais des larmes pour ceux de ma souche. Le songe m’a rendue cruelle, l’idée qu’Oreste ne voie plus la lumière : vous ne trouverez certes pas de compréhension auprès de moi, vous qui débarquez ici, qui que vous soyez. Et c’est vrai, mes amies, je m’en rends compte : les malheureux, justement car ils souffrent, ne gardent pas de pitié pour celui qui est encore plus malheureux qu’eux. Aucun tourbillon de Zeus, aucun navire par les Symplègades ne m’a jamais porté Hélène, la cause de ma ruine, et Ménelas, pour que je puisse me venger d’eux, rendre par une Aulide à moi l’Aulide ou les Danaens m’attrapèrent comme un veau, pour m’égorger : et le grand prêtre était mon père, qui m’avait mise au monde. Hélas, je ne peux pas oublier ces atroces moments : combien des fois je tendit mes mais vers le visage de mon père, en lui disant : « Père, quelles noces affreuses tu célèbres pour moi : tu me tues et ma mère et les femmes argives chantent l’hyménée, la musique résonne dans tout le palais : et je viens assassinée par toi ». L’époux qui m’était destiné n’était pas Achille, fils de Pélée, mais le roi des morts : sur une superbe carrosse tu m’as portée à des noces de sang, en traître. Mois je regardais par-dessous le voile, et je n’étreignis pas au sein mon frère qui maintenant n’est plus, je n’offris pas mes lèvres à ma sœur, par pudeur, parce que j’étais sur le point d’entrer dans la maison de Pélée : je remis les embrassements à plus tard, quand je retournerais à Argos. Pauvre Oreste, si tu es vraiment mort, quels biens paternels a tu perdu, quelle condition désirable... J’accuse les ergoteries de la déesse : si quelqu’un s’est taché de sang, s’il a touché une femme accouchée ou un cadavre, elle l’éloigne des autels, en le considérant impur : mais elle se réjouit des sacrifices humains. Possible que Latone, épouse de Zeus, aie généré une créature si incapable de comprendre ? » (Iphigénie en Tauride)
Que pourra-t-il apaiser Electre, comment la haine d’Iphigénie pourra-t-elle s'apaiser?
Au moment juste où Iphigénie reconnaît que son coeur s’est endurci dans la haine, et qu’elle n’a aucune pitié pour les hommes qui lui sont envoyés pour le sacrifice... arrive au temple barbare Oreste – son frère – pour être sacrifié.
...et Oreste est l’homme qui réussit à rendre le coeur et la mémoire à la prêtresse d’Artémis furieuse et implacable.
Ainsi, Electre s’apaise lorsqu’elle rencontre de nouveau en Oreste la fillette qui avait sauvé son petit frère des mains du perfide Egisthe…
Le kimaguri et la méditation guerrière deviennent alors toute autre chose… avec d’autres fins et d’autres Voies...
La formule ésotérique de résurrection des morts ne sonne pas tellement énigmatique...
"Petite guerrière ne me quitte pas… ne me quitte pas Ebbie... je venais juste de te trouver "...
Et Electre cesse de survivre après la première résurrection, et commence enfin à vivre...
"Tu m’as rendu la vie... E tu l'as rendue à moi..."
"De toute façon, la deuxième vie n’est jamais pareille à la première, n’est-ce pas ?
Parfois c’est même un peu mieux !"