La tradition pratique

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Problem "solving"?

De la torpille socratique aux SYSTEME 1-SYSTEME 2 de Daniel Kahneman

La méthode de Eironeia n'est pas tout à fait nouvelle. Au contraire, dans mes cours je me borne à faire revivre la Méthode la plus ancienne, expérimentée et efficace que notre civilisation (et pas que la nôtre) connaisse pour "réactiver" - dirait Edmund Husserl - nos energies mentales et intellectuelles endormies.

En un mot, il ne s'agit pas d'apprendre à "résoudre" des problèmes que quelqu'un d'autre nous pose , et qui en eux-mêmes nous laisseraient parfaitement indifferents, mais d'en créer des vrais, qui vraiment nous interessent, en ce que nous en sommes la source première et spontanée.

Comment ça? Mais par la torpille socratique!

Il y a 2500 ans, Socrate nous a parlé de l'existence de certains faits dans notre expérience, qui nous nous "électrocutent" comme une torpille, en nous réveillant et en nous obligeant à refléchir....

Je te montrerai donc, si tu veux bien regarder, que parmi les objets de la sensation les uns n'invitent point l'esprit à l'examen, parce que les sens suffisent à en juger, tandis que les autres l'y invitent instamment, parce que la sensation, à leur sujet, ne donne rien de sain. Par objets ne provoquant point l'examen, répondis-je, j'entends ceux qui ne donnent pas lieu, en même temps, à deux sensations opposées; et je considère ceux qui y donnent lieu comme provoquant l'examen, puisque, qu'on les perçoive de près ou de loin, les sens n'indiquent pas qu'ils soient ceci plutôt que le contraire.

Voici trois doigts, le pouce, l'index et le majeur. - "Fort bien", dit-il. -
Conçois que je les suppose vus de près. Mais quoi? la vue discerne-t-elle bien la grandeur et la petitesse des doigts, et à cet égard lui est-il indifférent que l'un d'eux soit au milieu ou à l'extrémité? et n'en est-il pas de même pour le toucher à l'égard de l'épaisseur et de la minceur, de la mollesse et de la dureté? […] Je veux dire: le sens préposé à la perception de ce qui est dur a charge de percevoir aussi ce qui est mou, et il rapporte à l'âme que le même objet lui donne une sensation de dureté et de mollesse... d'accord? - "D'accord".
Or, n'est-il pas inévitable qu'en de tels cas l'âme soit embarassée(APOREÏN) et se demande ce que signifie une sensation qui lui présente une même chose comme dure et comme molle, comme longue et comme courte? - "En effet, dit-il, ce sont là d'étranges témoignages pour l'âme et qui réclament l'examen"
Il est donc naturel, repris-je, que l'âme appelant alors à son secours le raisonnement et l'intelligence tâche de se rendre compte si chacun de ces témoignages porte sur une chose ou sur deux. [Platon - La République]

Ce "psycho-drame à deux personnages" (Kahneman 2012, p.34) premièrement raconté par Platon et installé au coeur de sa pédagogie aura un glorieux avenir. Chez Aristote et et les millénaires qui vont suivre son nom sera "méthode DI-APOREMATIQUE", c'est à dire: chemin de formation/condensation d'une nouvelle connaissance grâce à une traversée enchaînant un après l'autre tous les états d'"APORIE" (embarras, perplexité) que le "conflit cognitif" entre notre intuition et notre raison engendre chez nous lorsque les phénomènes (et notre volonté et probité) nous empêchent de nous dérober.

Et en effet nos savants n'ont jamais arrêté de s'interroger sur ce moment crucial, lorsque le choc d'une "contradiction intolérable" [cf. mes notions de pulsation et de "génération et corruption" du sens] nous oblige à accoucher le monde des entités purement "intelligibles", que seule notre pensée rationnelle (le "Système 2" de Kahneman, cit.) peut appréhender.

Considérons par exemple la façon dont Henri Poincaré a parlé de la fécondité génératrice propre à l'"APORIE" face à un conflit sens-raison:

"On a observé qu'un poids A de 10 grammes et un poids B de 11 grammes produisaient des sensations identiques, que le poids B ne pouvait non plus être discerné d'un poids C de 12 grammes, mais que l'on distinguait facilement le poids A du poids C. Les résultats bruts de l'expérience peuvent donc s'exprimer par les relations suivantes : A = B, B = C, A < C , qui peuvent être regardées comme la formule du continu physique
Il y a là, avec le principe de contradiction un désaccord intolérable et c'est la nécessité de le faire cesser qui nous a contraints à inventer le continu mathématique. [Poincaré, La science et l'hypothèse]

Cette narration - évidemment feinte, car personne n'a jamais fait l'expérience de la "contradiction intolérable" dont parle Poincaré et de la "nécessité de la faire cesser", pas plus que personne n'a jamais fait l'expérience du choc cognitif dont parle Socrate juste en contemplant les doigts de sa main... - ... cette narration, dis-je, parcourt les siècles et les millénaires, et ça se comprend très bien.

Comme nous nous trouvons, évidemment, à l'intérieur d'un seul et même individu (car c'est bien LUI-MÊME, en son insécable unité/identité synthétique, qui seul peut ressentir la blessure de la "contradiction intolérable" entre A et non-A, le jetant dans l' "APORIE"...), les philosophes et les psychologues n'ont jamais pu éviter la transformation de notre conscience en une scène de théatre où plusieurs VOIX se font entendre, dont l'une (celle de l'âme "elle-même", en sa totalité) s'en appelle à la voix de la "raison" pour que celle-ci fasse cesser les absurdités effrontées que la voix de nos intuitions (sens+préjugés) nous inflige.

Or, les derniers 50 ans de notre âge ont vu une très importante mise à jour de cette passionnante histoire, et ce, grâce (entre autres) aux travaux du cité Daniel Kahneman (Nobel 2002) qui, en collaboration avec Amos Tverski, a découvert, donné un nom et mesuré les performances des deux voix platoniciennes ci-dessus. Il les a appelées (à la suite de Stanovich-West) "Système 1" et "Système 2", ce qui donne le titre de son best-seller de 2011, dans lequel il nous raconte un "psychodrame à deux personnages", dont voilà l'"intrigue":

"L'INTRIGUE - L'interaction entre les deux systèmes est un thème récurrent de ce livre, aussi un bref résumé me semble-t-il s'imposer.

Dans l'histoire que je vais vous raconter les systèmes 1 et 2 sont tous les deux actifs dès que nous sommes éveillés. Le Système 1 fonctionne automatiquement et le Système 2 est normalement installé dans un confortable mode mineur, qui n'implique qu'une fraction de ses capacités. Le Système 1 émet constamment des suggestions [NB! c'est la "VOIX" des sens dans Platon Rep.VII] pour le Système 2 : des impressions, des intuitions, des intentions et des sentiments. Si elles sont approuvées par le Système 2, les impressions et les intuitions se transforment en convictions, et les impulsions en actions délibérées.

Quand tout se passe bien [NB! C'est le cas chez Platon des "objets de la sensation les uns n'invitent point l'esprit à l'examen] le Système 2 adopte les suggestions du Système 1 avec peu de modifications ou presque. Vous avez généralement foi dans vos impressions et agissez en fonction de vos désirs, et c'est pour le mieux - la plupart du temps.

Quand le Système 1 se heurte à des difficultés, il fait appel au Système 2 pour se livrer à une gestion plus détaillée et adaptée qui peut résoudre le problème du moment. [NB! Ici Kahneman, qu'il le sache ou pas semble citer mot par mot le passage platonicien , où l'âme "appelle à son secours le raisonnement"]. Le Système 2 est mobilisé quand une question se pose à laquelle le Système 1 n'a pas de réponse , ce qui a dû vous arriver quand vous avez vu la multiplication 17 x 24. Vous pouvez également ressentir une montée d'attention consciente quand vous êtes surpris [NB - c'est l'APORIE ou "ETONNEMENT" platon/aristotelicienne, (thaumazeïn), voire l' "ADMIRATION chez Descartes, voire l"AMMIRAZIONE E RIPUGNANZA" chez Galilée (dont le Dialogue n'est qu'un enchaînement de "conflits cognitifs" S1-S2)].

Le Système 2 entre en action quand un événement est détecté qui rompt a"vec le modèle du monde que gère le Système 1. Dans ce monde, les lampes de bureau ne sautent pas, les chats n'aboient pas, et les gorilles ne traversent pas les terrains de basket. L'expérience du gorille démontre qu'il faut une certaine attention pour que ce stimulus surprenant soit détecté. La surprise actionne alors votre attention et l'oriente : vous allez vous mettre à scruter la scène et à fouiller dans votre mémoire pour trouver une histoire capable de donner du sens à l' événement qui vous surprend."

On peut donc ici bien constater avec quelle fidélité cette tradition de la pensée DI-APOREMATIQUE se transmet depuis Platon jusqu'à l'âge actuel

Bref, ce que Kahneman fait - et que les (neuro-)sciences cognitives poursuivent actuellement (en France notamment dans l'oeuvre de Olivier Houdé) est une puissante mise-à-jour de la plus efficace et vénérable des méthodes scientifiques, qui depuis toujours met TOUS d'accord: certes, Aristote "réfute" Platon; certes, Descartes et Galilée "réfutent" Aristote... mais TOUS dépuis toujours sont d'accord avec la nécessité du "choc cognitif" et de l "APORIE" étonnée et surprise pour que notre esprit-cerveau puissent créativement réorganiser ses forces de connaissance.

D'autre part, les orientaux aussi se trouvent pleinement d'accord sur ce point. L'AÏNIGMA qui choque l'âme platonicienne n'est autre, dans le bouddhisme japonnais, que le "KOAN": cette situation de mise-en échec de l'esprit si fertile pour que ce dernier puisse enfin arriver - depuis le Vide de cet apparent manque de sens - à voir le monde (=les problèmes qu'il se pose à propros du "monde") autrement. Le dynamisme Zen Koan --> Satori ("satori"=illumination réorganisatrice du Phénomène="samsara"="bardo"="voile-de-Maya"...) n'est qu'une façon de décrire l'essence identique de ce processus à l'intérieur de la culture du monachisme oriental.


MAIS ATTENTION! un virage important doit maintenant se faire pour qu'on comprenne le propre de ma position théorique et donc pratique.

Histoire s'étonner

Quelque chose d'immensement important concernant ma position théorique et pratique me rapproche de Platon, Aristote, Galilée et Kahneman, en m'éloignant nettement des neuro-sciences cognitives à peine évoquées.

Au fait, lorsque j'ai lu la dernière phrase de Kahneman, citée ci-dessus (et datant 2011) - "vous allez vous mettre à scruter la scène...pour trouver une histoire capable de donner du sens à l' événement qui vous surprend." je me suis (on peut l'imaginer!) tellement étonné et rejoui de la coïncidence exacte - mot à mot - avec ce qu'en 2008-201O j'ai appelé le "PSE" ou "Postulat du Sens de l'Evenement", à la fois dans mes conférences et dans mes ouvrages: dans La science et la voix de l'évenement. A la recherche du Sens (Paris, Harmattan 2010) et dans La genèse des mathématiques et la puissance dynamique du mental humain. Une démonstration d'existence. (Sarrenbruck, EUE,2011).

Quoi donc?

Ma conviction (exhaustivement argumentée dans mes ouvrages déjà publiées) est celle de la nature irréductiblement NARRATIVE - donc LITTERAIRE et CONTEMPLATIVE - de l'esprit humain et donc du cerveau ainsi compris.


C'est la même conviction de PLATON, qui fait commencer l'éducation par le "mythos", la narration, la fable passionnante (République, II-III), pour seulement ensuite y greffer le "logos": ce qui se comprend très bien si l'objectif est justement de faire en sorte que l'esprit de l'élève s'étonne (thaumazeïn) de ce qu'il voit. Car seulement une suite narrative d'évenements - une histoire effectivement racontée - peut faire jaillir devant nous le "thaumastos": le merveilleux, l'étonnant, le surprenant car INATTENDU.


C'est la même conviction d'ARISTOTE qui lui aussi, après avoir déclaré (Métaphysique A) que le début de toute connaissance est dans l'étonnement, dit clairement que le philosophe convoitant la connaissance est celui qui vit l'"aporie" face à l'inattendu, en reconnaissant par là même qu'il ne sait pas ce qu'il est en train de se passer... et que cette circontance (cette nature purement "cognitive" de l'état d'étonnement, ne survenant qu'au sein d'un processus visant la connaissance) montre que de sa part le "philo-mythos" lui-même (le passionné d'histoires passionnantes) n'est au fond que philo-sophos: "car une histoire n'est faite que de choses suprenantes (thaumasioon)" (982b18). Réciproquement, dans la Poétique Aristote enracinera la possibilité de l'éducation à la Science (sophia) dans les "raisonnements" (syllogismoï) que le jeune se fait en suivant la narration d'une tragédie ou d'un poème homérique (1448b15-17.Pour Aristote donc nulle connaissance, nulle science n'est possible en déhors d'une activité de narration,d'une fabula


C'est la même conviction de GALILEE, dont le Dialogue sur les grands systèmes du monde est BIEN SÛR un "dialogue" platonicien faisant sans cesse s'enchaîner des états d'"aporie" chez les dialoguants, où seulement s'enracine la possibilité que les "sensate esperienze" savamment conduites puissent faire se condenser un nouveau genre de phénomènes dans notre conscience, préalablement vidée des préjugés de notre "Système 1"... MAIS SURTOUT la totalité de ces expériences a une structure irréductiblement narrative: A) car tout le Dialogue s'eracine dans une histoire, et est une histoire: le récit "platonicien" de la genèse du Monde à partir du Chaos (Dialogue...Paris: Seuil, 1992, :"on pourrait aller jusqu'à conter une fable, que cela est arrivé pour le Chaos primitif... p.108)...C'est pourquoi si souvent Salviati rappelle à ses amis :"c'est comme si nous étions réunis pour raconter des histoires... (p.286); B) Car un "mouvement accéléré" n'est qu'une suite d'événements (vitesses instantanées), donc une histoire, qui seule (car on POSTULE la conservation de son sens et de sa cohérence) permet la "mathématisation" du monde, laquelle donc est tout d'abord une historicisation du monde. Sur tout cela, je renvoie à mes oeuvres publiées. Pour une démonstration rigoureuse de la nature narrative de la science et de l'esprit/cerveau qui s'en occupe, voir en particulier La genèse des mathématiques... IIIe Partie.


Et finalement, c'est bien la même conviction de DANIEL KAHNEMAN, lequel justement à la fin de son livre n'y ayant fait que peindre un "INTRIGUE" en nous "racontant l'histoire" (p.39) de 3 personnages (nous-mêmes + Système 1 + Système 2)... peut en conclure (Chap. 36)que "LA VIE EST UNE HISTORE":

On retrouve les mêmes éléments clés dans les règles du récit et dans les souvenirs que l'on peut avoir de coloscopies, de vacances ou de films. Voilà comment fonctionne le moi mémoriel : il compose des histoires et les met de côté pour qu'elles servent de références futures. Il n'y a pas qu'à l'opéra que nous pensons à la vie comme à une histoire et souhaitons qu'elle se termine bien...(p.598)

Au contraire, pour les neuro-sciences cognitves actuelles notre esprit est: 1) préalablement "calculateur" (notre cerveau calcule des éléments combinatoires pour parvenir à lire des histoires, tandis que pour moi le contraire est vrai); 2)originellement pratique/opératoire.

Un exemple éminent de cette situation est la façon dont Olivier Houdé défend son idée "opératoire" (=piagétienne) de l'esprit humain tout au long de son oeuvre, où il cite souvent le propos faustien "Au commecement était l'action": "Cette idée qui était au cœur de la psychologie piagétienne reste très actuelle" (Houdé ...2014, 2018).

Ce à quoi, en remarquant en passant que le Diable n'arrête pas d'être à nos trousses (voir ICI et ICI) je commence par riposter ce qui suit

.

En utilisant cette citation comme il le fait, M.Houdé trahit profondément l'oeuvre d'où il la découpe. Il se prévaut en effet - comme si elle était la bonne aux yeux de l'auteur (Goethe) de la lecture arbitraire et tendencieuse que le presque-suicidaire et dépressif Docteur Faust fait des premiers mots de l'Evangile de Jean (qu'il lit dans le "saint original") : "Au commencement était le LOGOS".

Cette scène célèbre entre toutes n'est rien de moins que celle où Méphistofélès en personne fait son apparition tonitruante car il réagit JUSTEMENT à cet arbitraire herméneutique du texte joanesque! Ce que nous lisons est qu'après une suite de traductions-trahisons surgissant de nulle-part, Faust décide de rendre "LOGOS" [en grec:VERBE, PAROLE, RAISON, PROPOS, PROPORTION, DEFINITION...] par "ACTION" (That). La suite arbitraire de transmutations opérées par Faust dans da traduction/trahison étant plus précisément: "LOGOS" --> SINN (=esprit/sens) --> KRAFT (=force) --> THAT (=ACTION)... ce qui - je répète, et il faut bien le remarquer! - fait réagir le chien-Méphistofélès déjà présent sur scène, qui commence à hurler, pour ensuite se trasformer en Méfistophélès lui-même sous apparence humaine lequel, comme toute première déclaration, remarquera que Faust n'a certes pas à lui demander son nom, étant donné son mépris pour la Parole (Wort).

"…Nous aspirons à une révélation, qui nulle part ne brille d’un éclat plus pur et plus beau que dans le Nouveau Testament. - J’ai envie d’ouvrir le texte, et m’abandonnant une fois à des impressions naïves, de traduire le saint original dans la langue allemande qui m’est si chère. (Il ouvre un volume, et s’arrête.)

Il est écrit : Au commencement était le verbe (Wort)!

Ici je m’arrête déjà ! Qui me soutiendra plus loin ? Il m’est impossible d’estimer assez ce mot, le verbe ! il faut que je le traduise autrement, si l’esprit daigne m’éclairer. Il est écrit : Au commencement était l’esprit (Sinn)!
Réfléchissons bien sur cette première ligne, et que la plume ne se hâte pas trop ! Est-ce bien l’esprit qui crée et conserve tout ? Il devrait y avoir : Au commencement était la force (Kraft) !
Cependant tout en écrivant ceci, quelque chose me dit que je ne dois pas m’arrêter à ce sens. L’esprit m’éclaire enfin ! L’inspiration descend sur moi, et j’écris consolé : Au commencement était l’action (That)!

Et bien, c'est à la suite de cette séquence tellement arbitraire et que rien ne justifie philologiquement - LOGOS=Verbe-->Sinn-->Kraft-->That - que le chien-diable déjà présent sur scène commence à hurler! Et Faust de lui crier à son tour: "S’il faut que je partage la chambre avec toi, barbet, cesse tes cris et tes hurlements !". Ce à quoi font suite une série de bruits efrrayants, le chien commence à devenir gigantesque... jusqu'à ce que... VOILA! Méphistophélès lui-même apparaît sous forme humaine... pour se plaindre d'une pareille barbarie hermeneutique!

FAUST:"Quel est ton nom?" - LE DIABLE "Die Frage scheint mir klein, Für einen, der das Wort so sehr verachtet... Et voilà une jolie question pour quelqu'un qui tellement méprise la Parole!..."

Et là: j'ai le Diable en personne qui est d'accord avec moi!

Non seulement, affirme-je, Faust a bien tort à tordre ansi la lettre d'un texte qui parle très clairement de LOGOS (d'où: Logique et Mathématique) et non pas de PRAXIS ni de POIESIS...d'ACTION ou d'OPERATION; mais toute cette tradition piagétienne et post-piagetienne a tort elle-aussi.

Ainsi que tous les philosophes/savants que j'ai cité - y compris Daniel Kahneman - j'affirme qu'avant d'être un opérateur/compteur de choses, notre esprit (et donc notre cerveau) est un contemplateur/conteur d'histoires.

Je suis donc absolument enthousiaste des découvertes neuroscientiques de l'âge actuel, qui confirment si fortement les millénaires de méthode "di-aporématique" qui les ont précédées... Et je suis aussi fortement en résonnance avec des initiatives pédagogiques comme celle de raconter à l'élève/Système 1 qui réagit mécaniquement aux stimulis perceptifs plutôt que s'étonner de ce que son esprit en attention voit devant soi, l' HISTOIRE de "Captain inhibition" pour qu'il puisse s'y identifier comme à un Actarus installé dans sa tête-Goldrake et accepter son état ZEN de Vide aporétique...

Mais j'affirme aussi (depuis 20 ans au moins) que cette science du "Système 3" rate ce que le créateur des Systèmes 1 et 2 a tellement bien dit: le "moi" de l'élève invité à se faire le "Capitaine de son Âme" est un "MOI MEMORIEL" car narrateur - donc un humain parlant et contemplatif - et NON PAS un moi calculateur et en "action".

Ma position a évidemment des précises conséquences pédagogiques: l'esprit de l'homme réagit à des histoires à comprendre et vivre en les incarnant,et non pas à des choses à "manipuler" pour accomplir des actions dont "ON" lui dit qu'elle ont "un sens", sans lui RACONTER lequel, au juste.

Mes cours sont donc toujours conduits sur le régistre narratif d'une Recherche du Sens.

Le PÉCHÉ CAPITALde toute pédagogie étant dans la phrase honteuse, lâche, acédieuse, esclavagiste "ON FAIT comme-cela... même si cela n'a AUCUN SENS que je sache t'expliquer... c'est une "CONVENTION" pour que nos OPERATIONS - nos MANIPULATIONS sourdes-muettes - réussissent selon nos buts pratiques/techniques/industriels/économiques".

Problem creating!

La question se pose enfin de comment faire en sorte que l'élève parvienne à résoudre créativement un "problème" qu' "ON" lui pose.

En héritant de l'ironie de Socrate dans le passage cité ci-dessus (sur la contemplation de nos trois doigts, censée nous attirer vers "l'intelligible") je réformule ma question.

Est ce que quelqu'un parmi TOU(TE)S ceux/celles qui lisent ces lignes si célèbres a jamais ressenti une "contradiction intolérable" (mots de Poincaré) en contemplant la longueur de ses doigts; ou même (dans l'exemple de Poincaré lui-même) en comparant entre eux trois poids de 10,11 et 12 grammes?

La réponse est NON: nous restons royalement indifférents face à ce qui étonne d'une façon si décisive les génies de Platon et de Poincaré

Et même une fois foudroyés sur la voie de Damas par nos trois doigts... essayons d'aller convanicre quelqu'un que nous avons un détecté un gros problème scientifique à... résoudre!

En réalité, face à ce constat rien ne vaut l'enquête piagetienne sur l'évolution de l'énfant quant aux "problèmes" qui ne se présentent devant lui qu'au moment où son esprit est mûr pour que LUI-MÊME puisse les répérer COMME problèmes, donc les créer de toutes pièces.

A propos de ses enfants qui ne trouvent aucunement intolérable qu'une même quantité de sirop ne soit pas... une même quantité de sirop, ni, réciproquement, qu'un ensemble d'oeufs impairs soit égal à un ensemble de coquetiers pairs et impairs Jean Piaget observe:

Notre problème n’est pas de découvrir pourquoi cette perception est trompeuse, mais pourquoi les sujets d'un certain niveau se fient a elle sans plus tandis que d'autres la corrigent et la completent par l'intelligence. [Piaget - La Genèse du Nombre chez l'Enfant]

CETTE QUESTION EST IMMENSE. C'est la question même du destin historique de l'Humanité, du choix qu'elle peut faire de rester attachée aux chaînes de sa stagnation dans l'acceptation bête de tout ce qui se passe, ou au contraire de s'en libérer en le remettant en question, en détectant des "contradictions intolérables" là où jusqu'alors personne n'avair rien remarqué de dérangeant.

Quelle réponse à cette question? POURQUOI le moment venu notre intelligence perçoit un problème?

De ma part... je n'en ai, bien évidemment, la MOINDRE IDEE!

Seules, je connais certaines conditions qui peuvent favoriser cette éclosion de "problèmes" libre et spontanée, et je les met en pratique dans n'importe lequel de mes cours. Ce dont je suis sûr: soit l'individu ressent le "problème à résoudre" comme SIEN, car c'est lui-même qui l'a formulé... soit il ne sera que le sot "manipulateur" de problèmes d'autrui, dont il ne comprend pas le sens, sans même savoir qu'il y aurait un sens à problématiser.

En réalité, n'importe quel fruit de la science ne surgit que lorsqu'un homme décide de créer un problème et dénoncer une contradiction là où personne n'avait rien rémarqué de bizarre, et que tout le monde se fiait "sans plus" à ses yeux: la science, et son éducation, est PROBLEM CREATING.